Depuis les attaques massives lancées par le Hamas contre Israël le 7 octobre dernier et la réponse militaire plus que controversée de Tsahal contre Gaza, le groupe français Carrefour est la cible de groupes militants pro-palestiniens en France, en Europe et dans l’ensemble du monde arabe. L’entreprise française fait l’objet de nombreuses critiques pour son soutien présumé à la politique israélienne. Qu’en est-il vraiment ?
Une photo Instagram qui fait scandale
A l’origine, une simple photo, postée en octobre 2023 sur Instagram, quelques jours après le raid sanglant du Hamas en territoire israélien. Elle montre un employé de Carrefour en Israël distribuant de la nourriture gratuite à des soldats de Tsahal. La capacité de viralisation des réseaux sociaux a fait le reste. Plusieurs dizaines de milliers de commentaires et likes plus tard, le distributeur est accusé de soutenir officiellement la politique israélienne par le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), tête de proue de la mobilisation.
«Carrefour devient officiellement une cible prioritaire du mouvement avec la publication début novembre d’un guide de campagne du Comité national palestinien qui appelle à concentrer l’effort sur quelques cibles symboliques plutôt qu’à établir de “vastes listes de boycott” pour maximiser l’impact de la mobilisation», soulignent deux chercheurs de l’Observatoire stratégique de l’information (OSI), organe spécialiste des mouvements militants en ligne, dans une étude publiée en ligne en mars.
Associé à l’image de la France à l’étranger, Carrefour est la cible parfaite. «Certaines enseignes sont perçues comme incarnant un État», confirme Matthieu Anquez, spécialiste de la région, pour la revue de géopolitique Conflits. A travers Carrefour, ce serait donc le soutien- de plus en plus critique- de la France à Israël qui serait contesté.
Le démenti du groupe, qui explique qu’il ne se joint pas à l’initiative isolée du salarié de l’un de ses franchisés, menée sans l’accord de la direction de l’entreprise, reste insuffisant pour convaincre au sein des cercles militants pro-palestiniens. Et pourtant, «(soutenir officiellement Tsahal) aurait relevé de l’absurde, le distributeur étant implanté dans de nombreux pays musulmans», souligne Matthieu Anquez. Difficile, en effet, d’imputer directement la responsabilité d’un franchisé indépendant à la maison-mère, qui a depuis interdit toute forme de prise de position publique en son nom sur le sujet.
Carrefour déjà ciblée par les réseaux militants pro-palestiniens
La réputation du groupe était déjà, de longue date, entachée en raison de sa présence dans la région. Depuis plusieurs années, Carrefour est en effet accusé d’être implanté au sein des “territoires palestiniens occupés». Une appellation générique utilisée par l’Organisation des Nations Unies, qui désigne certaines zones officiellement sous contrôle de l’Autorité palestinienne, mais en réalité illégalement occupées par Tsahal depuis la guerre des Six jours de 1967. De quoi mobiliser les réseaux militants pro- palestiniens, notamment le BDS, et appeler au boycott de Carrefour.
De son côté, Carrefour dément toute implantation dans les territoires palestiniens occupés. La carte officielle des magasins du groupe en Israël semble en effet démontrer que le groupe n’en possède pas. Autre élément à décharge : il n’est pas inscrit sur la liste officielle des entreprises implantées dans les territoires illégalement occupés par Israël en Palestine. Ce document, issu d’un rapport du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, fait pourtant la part belle aux grands groupes internationaux.
Selon Libération, à l’origine d’un article de débunkage sur le sujet publié le 30 octobre 2023, Carrefour entretiendrait cependant des relations avec Electra Consumer Products, un groupe israélien, dont l’une des filiales possède effectivement des magasins dans les colonies israéliennes, selon la liste onusienne.
Entretenir des liens commerciaux avec un groupe, dont l’une des filiales est en effet implantée dans les colonies, rend-il Carrefour coupable de complicité avec les actions illégales d’Israël dans les colonies ? Oui, selon certains réseaux militants pro-palestiniens. Non, selon le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU. Une bataille de récits qui entraîne, bien malgré lui, le groupe Carrefour dans le conflit.
Un objectif plus large dans les campagnes de boycott
Mais les campagnes de boycott semblent promouvoir une vision politique plus large pour les militants pro-palestiniens. «Leur objectif est d’inverser la balance bénéfices- risques d’un investissement en Israël en faisant passer un message sous-jacent : si vous vous implantez en Israël, vous perdrez non seulement des clients en Occident, mais aussi sur l’ensemble de vos marchés arabes et musulmans. Êtes-vous certain que c’est économiquement rationnel ? À terme, l’objectif est d’affaiblir économiquement Israël», souligne ainsi Matthieu Anquez.