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L’inflation mondiale: chronologie d’un épiphénomène de la pandémie

L’inflation mondiale: chronologie d’un épiphénomène de la pandémie

La pandémie de la Covid-19 continue de frapper de plein fouet l’économie mondiale et cause des dommages néfastes, notamment une flambée planétaire des prix. L'inflation désigne la perte du pouvoir d'achat de la monnaie et se matérialise par une augmentation générale et durable des prix. Cette perte du pouvoir d’achat de la monnaie peut être mesurée, partiellement, par l’indice des prix à la consommation.

Cette flambée des prix des denrées alimentaires et de l’énergie pénalise le pouvoir d’achat des classes moyennes et pauvres et contribue à l’enrichissement des porteurs d’actifs. Fragilisés par les dégâts de la pandémie, les ménages encaissent lourdement les conséquences de l’inflation, notamment au niveau des denrées alimentaires et du prix de l’énergie. D’après l’économiste Jean-Yves Naudet, «l’inflation  est un masque : elle donne l’illusion de l’aisance, elle gomme les erreurs, elle n’enrichit que les spéculateurs, elle est prime à l’insouciance, potion à court terme et poison à long terme, victoire de la cigale sur la fourmi».

L’épiphénomène de l’inflation a commencé à se mettre en place depuis l’année 2021, mais il s’est accentué en 2022. D’après le Consumer Price Index – CPI des États-Unis, de février 2022, le taux d’inflation a atteint son plus haut niveau depuis 1982 et s’établit désormais à 7,9%. Et pour tenter de résorber cette montée des prix, le président de la Réserve fédérale américaine (FED), Jerome Powell, se dit enclin à proposer six hausses de taux successives de 25 points de base. La finalité recherchée est de faire reculer la consommation par des crédits plus chers et baisser ainsi la tension sur les prix. En France, et selon les dernières estimations de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), le taux d’inflation pourrait dépasser 4,5% en un an en mars 2022. L’institution attribue cette hausse fulgurante à la flambée des prix à la pompe et l’incertitude des approvisionnements à cause de la guerre en Ukraine. Et dans la zone Euro, l’inflation poursuit son envolée et s’établit à 5,8%.

D’après les derniers chiffres fournis par l'Office statistique de l'Union européenne (Eurostat), la forte évolution de l’inflation est due en grande partie à la composante énergie qui accuse une augmentation vertigineuse de 31,7%. Mais pour comprendre les chiffres actuels de l’inflation, nous proposons dans ce qui suit une analyse de la chronologie des mouvements des prix et des ajustements adoptés depuis le début de la pandémie. La généralisation des mesures restrictives comme le télétravail, la baisse de l’activité touristique et l’arrêt soudain de l’activité économique, notamment durant le confinement, ont conduit à une baisse fulgurante dans la demande mondiale en produits énergétiques. La consommation mondiale du pétrole a ainsi baissé de 22% entre la fin de l’année 2019 et le début du deuxième trimestre de l’année 2020.

La discorde initiale entre les membres de l'organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et leurs partenaires externes OPEP+ sur la baisse de l’offre a aggravé la situation de l’instabilité des prix. En effet, la Russie s’est opposée, catégoriquement, à la proposition d’abaisser la production quotidienne mondiale de 1,5 million de barils et estimait que la crise de l’épidémie serait passagère. Cette dissonance a creusé la chute du prix de l’or noir sur les marchés financiers, le baril perd alors 10% de sa valeur. En réponse au refus russe, l’Arabie Saoudite a cassé les prix en appliquant le tarif de 10,25 dollars le baril.

Ces deux grands chocs ont concomitamment contribué à la dégringolade des prix du pétrole sur les marchés financiers, une baisse aggravée par l’effondrement de la demande mondiale. Et ce n’est qu’à partir du 1er mai 2020 que les pays de l’OPEP+ ont conclu leur accord historique de régresser la production mondiale de 10%. D’après les informations fournies par l’Institut de Hambourg (HWWI), l’indice des prix des denrées alimentaires n’a reculé que de 9,3% entre avril 2019 et mai 2020 contre une baisse spectaculaire de 60% en termes de produits énergétiques. Les mesures restrictives appliquées ont en effet peu affecté la consommation des ménages comparativement à la consommation industrielle en énergie. Cette déflation provoquée par le ralentissement de l’offre et de la demande en Europe et aux USA avait alors pour canal principal la baisse des prix de l’énergie et des produits indexés sur le pétrole comme le gazol et le gaz domestique (Le Bayon et Péléraux, 2021). Pareillement, la mesure d’abaissement temporaire de la TVA, adoptée par l’Allemagne entre juillet et décembre 2020 pour soutenir la consommation des ménages, a contribué à la décroissance des prix dans la zone Euro. Il s’agissait de baisser le taux normal de 19% à 16% et de baisser le taux réduit de 7% à 5%.

L’année 2021 a apporté un grand rattrapage économique et a inversé la tendance récessive de l’année 2020. Les prix des matières premières alimentaires ont augmenté de 55% tandis que ceux des matières premières énergétiques ont enregistré un rebond spectaculaire de 330%. Cette forte tendance haussière des prix des produits énergétiques est due essentiellement à la baisse graduelle consentie par l’OPEP+, une situation qui a créé un décalage entre l’offre et la demande mondiale. Cette hausse des prix de l’énergie a entraîné une montée des prix des engrais et des produits céréaliers. En effet, le gaz naturel constitue un input essentiel pour la production d’ammoniac élément commun de la plupart des engrais azotés. L’indice FAO (Food and Agriculture Organization) des prix des produits alimentaires a atteint une valeur moyenne de 140,7 points en février 2022, soit une hausse de plus de 20% par rapport à l’année dernière.

Cette augmentation fulgurante provient de la montée des sous indices des prix des huiles végétales, des produits laitiers, des prix des céréales et de la viande. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), ces hausses des produits alimentaires sont dues à plusieurs facteurs, à savoir l’incertitude sur les approvisionnements en provenance de l’Ukraine et de la Russie, les deux principaux pays exportateurs mondiaux du blé. L’organisation cite également la sécheresse prolongée ayant affecté la culture céréalière des trois principaux producteurs de céréales de l’Amérique du Sud dont l’Argentine, le Brésil et le Paraguay. Et enfin, la FAO cite l’accroissement de la demande mondiale et l’appréciation de la devise de certains pays exportateurs comme un autre facteur ayant contribué à l’envolée des prix. Par ailleurs, et parallèlement aux déséquilibres entre l’offre et la demande, la théorie quantitative de la monnaie (Nicolas Copernic et Jean Bodin) fournit une autre explication au phénomène de l’inflation. Selon cette théorie, l’augmentation de la masse monétaire en circulation conduit inexorablement à la hausse des prix. Selon Milton Friedman, «l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire en ce sens qu’elle est et qu’elle ne peut être générée que par une augmentation de la quantité de monnaie plus rapide que celle de la production».

Par ailleurs, pour les Keynésiens, la hausse de la quantité de monnaie en circulation apportée par une politique expansionniste de l’État en vue de juguler la crise induira deux effets. Un effet stimulateur pour l’économie à court terme. Cependant, cette politique générera une inflation à moyen terme due essentiellement à la révision des agents de leurs comportements économiques. Pendant la pandémie, la politique des Banques centrales axée sur le rachat des dettes et l’octroi des aides directes a engendré, selon les monétaristes, une masse monétaire sans contrepartie réelle dans l’économie. En plus des nombreuses aides et subventions apportées aux entreprises et aux ménages pour limiter les dégâts de la pandémie, la Banque centrale européenne (BCE) a initié le programme temporaire de rachat de titres d’urgence (Pandemic Emergency Purchase Programm, PEPP). Cette mesure a été lancée le 18 mars 2020 et est dotée d’une enveloppe globale de 1.850 milliards d’euros à débloquer en 4 échéances, de mars 2020 à mars 2022. Il s’agit d’une politique financière dite non conventionnelle car les taux directeurs sur lesquels on peut agir habituellement pour relancer l’économie sont déjà bas. L’objectif est alors d’injecter des liquidités dans l’eurosystème pour redynamiser l’économie, en contrepartie, de l’achat de titres préalablement émis par les entreprises et les États européens. Et comme il est interdit par les traités européens de procéder aux achats directs des dettes auprès des États sur le marché secondaire, la BCE crédite alors les comptes courants des institutions financières européennes par de la création monétaire équivalente à la valeur des titres (PEPP).

Au niveau comptable, les titres achetés augmentent les actifs de la BCE tandis que les inscriptions sur les comptes courants passeront au passif. La BCE a ainsi racheté près de 80% des dettes Covid des pays membres en finançant cette opération par de la création monétaire, c’est la fameuse expression de «la planche à billets» de Jean Bodin. Ainsi sur la zone Euro, le taux de la masse monétaire M3 est passé de 5% à près de 12% entre 2019 et 2020. Cette hausse illustre un flux annuel de 1.589 milliards d’euros, il s’agit de la plus forte augmentation depuis la création de l’Euro. Pareillement, aux USA le taux de croissance de la masse monétaire a atteint 25% en 2020, presque le double du taux le plus élevé jamais atteint depuis 1970. Cette forte croissance est expliquée par la politique de transferts et d’aides aux ménages et aux entreprises financée par de la création monétaire. Le département du Trésor a émis 4.582 milliards de dollars de titres publics en 2020. La Réserve fédérale a procédé ainsi à l’achat de 2.533  milliards de dollars de bons du Trésor. Morgan Stanley déclarait : «La Fed pourrait ne pas avoir le contrôle de la croissance de la masse monétaire, ce qui signifie qu’elle n’aura pas non plus le contrôle de l’inflation, si elle se déclenche». (Bulletin de la Banque de France, janvier-février 2022).

Une chose est sûre, les effets de la guerre en Ukraine et les sanctions économiques exercées par l’Europe et les USA sur la Russie vont créer de la méfiance et un effet domino pour l’économie internationale. La dédolarisation orchestrée par la Russie sera probablement poursuivie par la Chine afin de cesser l’hégémonie exercée par l’extraterritorialité du Dollar américain. Depuis le boycott américain des Jeux olympiques organisés par Pékin et en représailles, la Chine a procédé à la vente de près de 6 milliards de dollars de bons du Trésor américains. Par ailleurs, depuis le début du mois de mars 2022, les pourparlers entre l’Arabie Saoudite et la Chine convergent vers une possible acceptation du paiement des achats du pétrole de Ryad en Yuan. En même temps, la vente massive de bons du Trésor américains détenus par la Chine, lesquels s’élèvent actuellement à 1.062 milliards de dollars, aura des effets très néfastes sur l’économie américaine et le Dollar sans oublier la myriade de produits dérivés liés aux actifs russes et chinois et les dommages collatéraux  des groupes multinationaux. 

 

Par Sara Elouadi

Enseignante-Chercheuse, Université Hassan II Casablanca

 

 

 

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