Nouvelle génération de fonds, élargissement du champ d’investissement, encadrement renforcé… Le projet de loi 03.25 reconfigure en profondeur le cadre de la gestion collective au Maroc. Objectif : faire des OPCVM un outil plus moderne, plus sécurisé et plus efficace au service du financement de l’économie.
Par Y. Seddik
Présentée récemment par la ministre de l’Économie et des Finances devant les parlementaires, la réforme des OPCVM, portée par le projet de loi 03.25, introduit un nouveau socle réglementaire pour la gestion collective au Maroc. Elle remplace le dispositif de 1993 et élargit les possibilités de structuration et d’investissement pour les sociétés de gestion, tout en renforçant les exigences prudentielles et le rôle de supervision de l’AMMC.
Le choix du législateur de proposer un texte entièrement nouveau (207 articles contre 126 dans l’ancien dispositif) constitue en soi un signal fort. Le projet ne se limite pas à combler les lacunes du régime actuel : il restructure l’ensemble du dispositif réglementaire, avec l’ambition claire d’ouvrir le marché à de nouvelles stratégies d’investissement, à des produits plus complexes et à une segmentation plus fine de la clientèle, tout en renforçant les filets de sécurité pour les investisseurs.
«C’est une réforme de poids qui remet l’industrie OPCVM nationale dans une logique d’ingénierie produit. Nous étions restés enfermés dans un cadre très rigide depuis 30 ans. Cette refonte nous donne enfin les leviers pour concevoir des solutions plus sophistiquées, adaptées aux besoins spécifiques des investisseurs institutionnels comme aux attentes des particuliers», nous commente un professionnel du marché.
Concrètement, le texte introduit une architecture plus modulaire des OPCVM, avec la possibilité de créer des fonds nourriciers, fonds maîtres, ETF (Exchange-Traded Funds) et fonds à compartiments multiples. Cette évolution permettra aux gérants d’aligner plus finement les véhicules d’investissement sur les profils de risque et les horizons de placement des investisseurs, notamment institutionnels. «La segmentation par type de client et par profil de risque était un angle mort. Cette réforme introduit enfin des véhicules adaptés à chaque segment, y compris les investisseurs qualifiés. Aussi, la reconnaissance des ETF et des fonds à compartiments multiples va transformer notre capacité à proposer des solutions calibrées. On passe d’une logique standardisée à une logique architecturée», observe le gérant.
Par ailleurs, l’ouverture à des instruments financiers à terme, à des actifs issus du financement participatif ou encore à des titres régis par des législations étrangères constitue une avancée notable. Les sociétés de gestion pourront ainsi élargir leur palette d’actifs éligibles, sous réserve d’un encadrement prudentiel renforcé, notamment sur les notions de liquidité, de valorisation et de concentration. «Nous pourrons enfin structurer des expositions synthétiques ou couvrir nos portefeuilles avec des produits dérivés dans un cadre local, ce qui est un élément clé pour gérer le risque dans un environnement volatil», déclare-t-il.
Des garde-fous renforcés
Pour répondre aux exigences de protection des porteurs de parts, tout en conservant la souplesse nécessaire à une gestion active, le texte affine les règles de gestion des risques. Il prévoit notamment le plafonnement des ordres de rachat, avec la possibilité de procéder à un paiement en titres en cas de tension sur la liquidité. Il introduit également un mécanisme dit de «Side Pocket» (séparation des actifs illiquides), bien connu des marchés anglo-saxons, qui permet d'isoler les titres en difficulté dans une structure parallèle, tout en maintenant la liquidité sur les actifs sains. Le projet renforce en outre les ratios d’exposition et de diversification, en limitant les investissements dans un même émetteur, dans une même classe d’actifs ou dans des fonds connexes, afin d’éviter les effets de cascade en cas de stress de marché. Enfin, les opérations d’emprunt et de prêt de titres font désormais l’objet d’un encadrement explicite, intégré dans les règles prudentielles. «Justement, le mécanisme de Side Pocket est une vraie avancée. Il nous donne un outil technique pour préserver la liquidité globale sans pénaliser tous les porteurs lors de situations exceptionnelles comme ce qui se fait à l’étranger», estime notre interlocuteur.
Une gouvernance et un contrôle réglementaire resserrés
Dans le même esprit, le projet de loi conforte l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC) dans son rôle de superviseur ex ante. Toute création, modification substantielle ou liquidation d’un fonds devra désormais obtenir un visa préalable, appuyé par un dossier technique incluant le règlement de gestion, le profil de risque et les conventions de commercialisation. Les sociétés de gestion seront également tenues de documenter leurs politiques de valorisation, de gestion des risques de liquidité et de sélection des instruments financiers, avec une obligation de mise à jour régulière et de communication aux porteurs.
Quant aux responsabilités du dépositaire, elles sont à la fois précisées et élargies. Pour les investisseurs qualifiés, cette réforme marque une inflexion stratégique. Elle ouvre la voie à une plus grande granularité dans la construction des portefeuilles, rendue possible grâce aux fonds à compartiments. Elle permet également l’accès à une gamme élargie de stratégies, notamment via les fonds à formule, à capital garanti ou encore les fonds indiciels cotés (ETF).
Enfin, elle garantit une sécurité juridique renforcée dans les opérations complexes, un élément crucial pour les institutions financières, compagnies d’assurances ou caisses de retraite, en raison du cadre consolidé mis en place pour les produits dérivés et les opérations transfrontalières. «Les caisses de retraite, compagnies d’assurances ou banques avaient besoin d’un cadre fiable pour s’exposer à des stratégies complexes, notamment en devises ou sur des indices étrangers. C’est chose faite. Maintenant il faudra former les équipes, adapter les systèmes d’information, et surtout revoir toute la chaîne de valeur : du montage juridique à la distribution. Le chantier est immense», conclut notre source.
Au final, le projet de loi 03.25 apporte aux gérants plus d’outils, aux investisseurs plus de garanties, et au marché une meilleure lisibilité. Dans un contexte où l’encours sous gestion a plus que doublé en dix ans (atteignant actuellement 750 milliards de dirhams en 2025), cette réforme arrive à point nommé pour soutenir l’essor du marché des capitaux, à condition que les acteurs opérationnels, dépositaires et distributeurs soient au rendez-vous de la mise en œuvre.
Nouvelles structures de fonds introduites par la réforme
Le projet de loi 03.25 introduit plusieurs catégories d’OPCVM jusque-là absentes du cadre juridique marocain. Ces structures permettent de mieux adapter les produits aux profils des investisseurs et d’aligner le marché sur les pratiques internationales : Fonds nourriciers / Fonds maîtres : autorisent la centralisation de la gestion au sein d’un fonds maître, auquel un ou plusieurs fonds nourriciers répliquent la stratégie. Cette structure facilite la gestion en architecture ouverte ou entre sociétés affiliées. OPCVM à compartiments : un seul fonds peut héberger plusieurs compartiments dotés de stratégies, d’indices de référence ou de politiques de gestion distinctes, tout en mutualisant certains frais. Utile pour segmenter les offres à destination de différentes cibles (institutionnels, retail, ESG…). Fonds à formule / à capital garanti : ces fonds proposent des mécanismes de performance définis à l’avance, souvent liés à un actif sous-jacent, avec ou sans garantie partielle ou totale du capital à échéance. Fonds indiciels cotés (ETF) : ces véhicules cotés en Bourse répliquent un indice et offrent une liquidité accrue grâce à leur négociation sur le marché secondaire. Ils permettent d’élargir l’offre d’instruments disponibles pour les investisseurs institutionnels comme pour les particuliers. Ces innovations s’inscrivent dans une logique de diversification de l’offre, de rationalisation des gammes, et de montée en sophistication du marché marocain de la gestion collective.