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Banque: «Malgré la succession des crises, le secteur a montré qu’il est résilient»

Banque: «Malgré la succession des crises, le secteur a montré qu’il est résilient»

Dans cet entretien, Lahcen El Ameli, professeur universitaire d’économie, nous présente son livre sur le système bancaire marocain et nous donne un avis éclairé sur l’évolution du secteur ces dernières années.

 

Propos recueillis par C. Jaidani

Finances News Hebdo : Vous avez publié récemment un livre sur le système bancaire marocain. Pouvez-vous nous présenter brièvement l’ouvrage ?

Lahcen El Ameli : Dans le livre que je viens de publier récemment sous le titre : «Le système bancaire marocain», j’ai essayé d’analyser, sur une longue période, l’évolution des structures et la dynamique de mise en valeur du capital bancaire au Maroc ainsi que l’apport de ce système à l’économie nationale. Trois parties structurent cet ouvrage. La première partie a été consacrée à la présentation de quelques grands repères et aspects saillants ayant marqué l’histoire de la banque au Maroc depuis la mise en place des premiers établissements bancaires à la fin du 19ième siècle jusqu’’à présent, une longue période riche d’enseignements. Dans cette rétrospective, il nous a été donné de relever : i- la présence ininterrompue du capital français dans le paysage bancaire, certes dans le cadre d’un mouvement de flux et de reflux; ii- un grand mouvement de restructuration du paysage bancaire à partir de la décennie 1990 qui a pris plusieurs formes, dont la disparition d’une grande banque de développement (la Banque nationale pour le développement économique ou BNDE), la privatisation de deux grandes banques publiques : la BMCE et la Banque Populaire, un grand mouvement de fusionsacquisitions; iii- le rôle prépondérant de l’Etat dans le mouvement de restructuration du système bancaire; iv- un sous-financement chronique de pans entiers de l’économie nationale, particulièrement l’agriculture, les très petites et moyennes entreprises (TPME).

Dans le cadre de la seconde partie où l’analyse a porté sur la période 2000-2021, deux questions centrales ont été traitées : la première question a trait au mouvement de croissance du capital bancaire, la seconde s’est penchée sur l’analyse des différents axes de la mise en valeur de ce capital. Dans le cadre de la première question, ont fait l’objet d’analyse l’évolution du nombre de banques, certaines caractéristiques globales, dont la densité du réseau bancaire, le capital social, l’actionnariat des banques, les rythmes de croissance du capital bancaire, l’exportation du capital. Au niveau de la deuxième question, le travail s’est focalisé sur l’analyse des canaux de mise en valeur du capital bancaire. Y a été analysée en profondeur l’évolution de la structure financière des banques (éléments du bilan et de l’hors-bilan) où chaque poste constitue en fait un axe de mise en valeur du capital. L’analyse concerne dans un premier temps les banques classiques ou conventionnelles, et dans le second les banques relevant de la finance dite participative qui constitue depuis 2017 un compartiment du champ bancaire au Maroc.

Cette partie (la seconde) a été l’occasion de rendre compte d’importants phénomènes en rapport avec la question de la mise en valeur du capital, à savoir, entre autres, le développement de grands groupes bancaires, les changements dans la structure de propriété du capital (capital privé marocain, capital privé étranger, capital public), le mouvement des prises de participations dans différentes entreprises relevant de différents secteurs d’activité économique, le processus de filialisation qui caractérise les banques et qui constitue un bon canal pour la centralisation du capital argent, les différents vecteurs ou supports de connexions entre les banques, tels que les participations croisées, les participations communes dans différentes entreprises, le financement de banques par d’autres banques, etc., l’ampleur du phénomène de concentration sous différentes formes (coefficient de concentration concernant le capital, les crédits, les dépôts, concentration des crédits sur un petit nombre de grands débiteurs, concentration géographique), la massification du capital par les différentes banques (importance et différenciation interbancaire) et le pouvoir économique des différentes banques, l’exportation du capital (signification, ampleur, orientation et retour sur capital), l’évolution du poids du capital bancaire (total bilan) dans le PIB, la «mobiliérisation» des bilans bancaires, l’importance, la structure et la portée du financement bancaire de l’économie, l’évolution du poids des dépôts bancaires dans les ressources des banques et plus particulièrement des ressources gratuites (dépôts à vue), l’évolution et la différenciation existant entre les banques en matière de ratios de transformation (encours des crédits/encours des dépôts), la différenciation entre les banques en matière du recours au marché interbancaire et au financement de la Banque centrale, la question de l’inclusion financière, les spécificités du «cluster» bancaire marocain comme champ de coopération et de concurrence.

Dans la troisième partie, je me suis interrogé sur les résultats de la mise en valeur du capital bancaire. Ont fait l’objet d’analyse les résultats de gestion des banques [le produit net bancaire ou PNB (importance et structure), le coefficient d’exploitation ou ce qui met en rapport les charges générales d’exploitation et le PNB (CGE/ PNB), le résultat brut d’exploitation ou RBE, le résultat net ou RN, la productivité et la rentabilité des banques (Return On Equity ou ROE= RN/capitaux propres, et Return On Assets ou ROA = RN/Actif)], la différenciation de ces résultats au sein du système bancaire (entre les différentes banques), la contribution des filiales aux résultats des banques de même que la perception des dividendes des différentes filiales.

 

F.N.H. : Quel regard portezvous sur le système bancaire marocain comparativement à d’autres pays ?

L. E. A. : De prime abord, soulignons que le système bancaire marocain a connu au cours des 30 dernières années un développement considérable aussi bien en matière de capital engagé, d’extension du réseau et donc de la densité bancaire, de la diversification des produits, de développement du financement et de la collecte des dépôts, de l’extension du champ d’intervention, que de l’exportation du capital particulièrement en Afrique. Le système bancaire se trouve en bonne position au sein du Maghreb et dans le continent africain tant par la taille du capital engagé que par la densité du réseau bancaire. S’agissant du capital engagé, le rapport c bancaire (Actif total) / PIB pour le Maroc est le plus élevé au niveau des pays du Maghreb. Il s’élève en 2020 à 138% contre 82% dans le cas de l’Algérie et 129% pour la Tunisie. Ce ratio ne fait qu’augmenter avec le temps; la croissance du capital bancaire est supérieure à celle du PIB. Dans le cas de la France, pays développé à degré de développement de la sphère bancaire élevé, le ratio s’est établi la même année à 423%. La position du Maroc sur la base du crédit intérieur fourni au secteur privé par les banques en pourcentage du PIB, est assez bonne. Le ratio concerné s’élève à 70% contre 62,4% pour l’Afrique du Sud, 27,1% pour l’Egypte, 29,7% pour l’Algérie, 70,2% pour le Brésil, 54,8% pour l’Inde, 69,2% pour la Tunisie, 57% pour l’Afrique du Nord et Moyen-Orient, 54,7% pour le monde arabe, 45,6% pour les pays à revenu intermédiaire tranche inférieure. Les trois premières banques marocaines (AWB, BCP et BOA) qui ont exporté leur capital à différents pays du monde et plus particulièrement en Afrique, s’imposent de plus en plus dans ce continent comme de grands groupes financiers et comme de grands acteurs économiques.

En 2020, le classement Jeune Afrique des 200 premières banques en Afrique indique que AWB est à la 7ème position, la BCP et BOA ont occupé respectivement le 9ème et le 12ème rang du classement. En tête du classement se trouvent positionnées trois banques de l’Afrique du Sud. Les crédits à la clientèle ont certes connu un développement important, mais une bonne proportion du tissu productif national est ou sous financée ou exclue du financement. Bien que différentes mesures aient été prises par l’Etat pour encourager le financement des TPME, la réalité sur le terrain montre qu’une grande proportion de ces dernières ne bénéficient pas de financement bancaire ou n’en bénéficient que très peu. Le coût du financement bancaire demeure encore relativement élevé. Malgré les progrès réalisés sur différents plans par le système bancaire, le Maroc enregistre un grand retard en matière d’inclusion financière. Le marché bancaire est caractérisé par une concentration de plus en plus élevée, et ce au niveau du capital engagé, des crédits et des dépôts. C’est un oligopole asymétrique en ce sens que très peu de banques concentrent l’essentiel du capital et de l’activité bancaire. La concentration des crédits sur un petit nombre de gros débiteurs n’est pas sans inquiéter les régulateurs sur le plan de la stabilité financière. La concentration géographique caractérise aussi le système bancaire national. Tout en supervisant régulièrement l’activité des banques, la Banque centrale apporte un soutien régulier et considérable à ces dernières. Nous considérons que Bank Al-Maghrib peut de loin faire mieux sur différents plans, dont la supervision bancaire (ex : améliorer la surveillance des expositions bancaires sur les gros débiteurs, un suivi régulier et minutieux des expositions des banques à l’étranger, notamment en Afrique), le financement (mécanismes pour pousser les banques à améliorer le financement en direction des TPME, coût du financement…).

 

F.N.H. : Quels sont les services de la banque dans lesquels notre pays a réalisé de nettes avancées. Et à contrario, quels sont ceux où il y a encore du chemin à parcourir ?

L. E. A. : Au niveau de l’activité d’intermédiation classique (crédits, dépôts), le système bancaire marocain a réalisé d’importantes avancées : l’offre de produits est de plus en plus diversifiée, plus particulièrement pour les crédits : différentes formules pour les crédits à l’investissement et de même pour les crédits d’exploitation ou de fonctionnement. Le financement des opérations à l’étranger a connu au cours des 30 dernières années une expansion importante. S’agissant des opérations dites de marché (émission de titres, achats et ventes de titres …), leur part dans le bilan des banques pèse de plus en plus. Concernant les opérations hors-bilan (engagements de financement et engagements de garanties, reçus et donnés), les produits adéquats à destination des petites et microentreprises et les produits participatifs (des banques participatives), il y a encore du chemin à parcourir.

 

F.N.H. : Malgré la succession des crises (pandémie, guerre en Ukraine, sécheresse…), le secteur bancaire marocain a montré une certaine résilience. Quelle est votre explication ?

L. E. A. : Oui, malgré la succession des crises que vous évoquez, le secteur bancaire a montré qu’il est résilient. J’ajoute que les banques font de bons profits même en période de croissance atone. Cela s’explique tout simplement par une série de facteurs dont l’augmentation de l’activité, les niveaux importants des marges d’intérêts (intérêts débiteurs – intérêts créditeurs), étant précisé que l’essentiel des ressources des banques est constitué des ressources gratuites (dépôts non rémunérés), la diversité des commissions bancaires dont la liste s’allonge régulièrement, le refinancement pratiquement automatique et à très bon marché auprès de la Banque centrale.

 

F.N.H. : Comment expliquez-vous les niveaux de rentabilité du secteur qui n'ont jamais été atteints auparavant ?

L. E. A. : Au cours des deux dernières décennies, à l’exception de l’année 2020 (Covid 19), les niveaux de rentabilité du secteur permettent aux banques de se reproduire confortablement et d’étendre leurs activités. En fait, auparavant, elles réalisaient souvent des taux de rentabilité aussi sinon plus importants. Dans cet ouvrage, d’importants détails ont été consacrés à cette question de la rentabilité des banques. Les raisons à l’origine des niveaux atteints en matière de rentabilité ont été évoquées au niveau de la question précédente.

 

F.N.H. : A l’instar de plusieurs secteurs, le système bancaire marocain capitalise sur le digital pour son développement. Comment jugez-vous cette transition ?

L. E. A. : Oui, le système bancaire marocain s’est lancé, depuis plusieurs années déjà, dans le digital, pour se développer. L’introduction des nouvelles technologies s’est imposée pour deux objectifs : 1- gagner en efficience et en productivité; 2- réduire les coûts, et plus particulièrement le coût de la force de travail. Gagner des points sur ces deux objectifs permettrait à la banque non seulement d’améliorer sa rentabilité, mais aussi d’être compétitive et créer un avantage concurrentiel l’autorisant à mieux se positionner sur le marché. Nous rentrons dans un paradigme de production nouveau dont l’une des grandes conséquences est la réduction de l’emploi bancaire, une question qui a été abordée dans notre ouvrage.

 

F.N.H. : Quel est votre avis sur l’expérience des banques participatives au Maroc ?

L. E. A. : Il faut rappeler que les banques participatives sont de création récente (2017). De plus, il a fallu du temps pour compléter le dispositif réglementaire les concernant (dont la question des garanties). Si l’actif et l’activité des banques participatives connaissent une croissance régulière, elles ne représentent en 2022 qu’une très faible proportion de l’actif et de l’activité de l’ensemble des banques. En effet, au cours de cette année (2022), l’actif total des banques participatives était de 27 milliards DH contre 1.680 milliards DH pour l’ensemble des banques, soit une part de 1,6%. Leur encours des crédits à la clientèle s’était élevé à 23,55 milliards DH contre un encours de 913,54 milliards DH pour l’ensemble des banques, ce qui correspond à une proportion de 2,57%. Plusieurs contraintes pèsent sur leur croissance, dont notamment :1- la faiblesse de leur capital (en 2022, leur capital social était de 3,93 milliards DH sur un total passif de 27 milliards DH; 2- l’offre limitée des produits; 3- les dépôts sont très faibles en comparaison avec l’encours du financement. Pour 2022, alors que les crédits à la clientèle avaient atteint un niveau de 23,55 milliards DH, les dépôts de la clientèle n’étaient que de 7,5 milliards DH. 

 

 

 

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