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Private equity : «La mise en action du Fonds Mohammed VI va changer la donne en 2024»

Private equity : «La mise en action du Fonds Mohammed VI va changer la donne en 2024»

Le capital investissement est un soutien indispensable pour les entreprises marocaines. Pour rappel, à fin 2022, les investissements réalisés dans 260 entreprises s'élevaient à 11,4 milliards de dirhams. Le Fonds Mohammed VI pour l'investissement devrait être le principal catalyseur du secteur pour les prochaines années. Entretien avec Khalid Doumou, analyste économique et financier.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : Comment évolue le secteur du private equity au Maroc ? Et pourquoi est-il vital aujourd’hui de le faire croître ?

Khalid Doumou : Le private equity (PE) ou capital-investissement consiste à prendre des participations majoritaires ou minoritaires dans le capital de sociétés non cotées en Bourse. Le terme private equity s’oppose à celui de public equity, qui désigne des titres qui ont fait l’objet de procédures de cotation publique. L’objectif pour les investisseurs est de réaliser des plus-values à plus ou moins long terme grâce à la cession ou à la vente d’une partie ou de l’intégralité de leurs participations. L’industrie du capital-investissement a fait ses premiers pas au Maroc il y a aujourd’hui une vingtaine d’années. Avec le très fort taux de chômage des jeunes et l’importance grandissante de la nouvelle économie utilisatrice de la toile, il devient impératif d’insuffler un nouvel élan à l’entrepreneuriat. Et cela par le biais de l’accompagnement en termes de gouvernance et de financement d’entreprises jeunes et dynamiques, dotées de moyens technologiques et humains. Dans le domaine de la startup technologique, il est de notoriété publique que c’est la poule qui a précédé l’œuf, car dans cet espace hyper concurrentiel et ultra-compétitif à l’échelle globale, c’est atteindre ton indépendance financière dans les plus brefs délais ou attends-toi à disparaître.

Deux indicateurs clés de performance sont généralement évalués quand il s’agit de sociétés de gestion de capital-investissement : la liquidité de ce marché, qui se mesure à l’aune des fins de vie de fonds (Exits : sorties de fonds ou désinvestissements) et l’entrée en Bourse des entreprises accompagnées par un pilotage technico-financier jalonné par plusieurs versements de fonds, contraints par une qualité de performance et échelonnés sur le moyen et long terme. En 2022, le marché du private equity a connu 1,4 Md de dirhams de cessions réalisées contre 900 millions de DH une année auparavant. Le rachat des parts de sociétés se fait par cession de gré à gré, par l’entrée en Bourse ou à travers du rachat par le management de la société (Leverage buy-out). Le second KPI (Key Performance Indicator) est l’investissement global dans cette classe d’actifs destinée à faire croître très vite des TPME, des TPE et des entreprises de taille intermédiaire (ETI). En termes d’investissements, 900 millions de DH ont été déployés sur tous les segments de marché. Pour ce qui est de la taille moyenne du deal en 2022, elle était de 30 millions de DH, incluant les deals en venture capital dont la taille se situe entre 5 et 10 millions de DH. Retraité ces opérations, on est plutôt dans une moyenne de 100 millions de DH par deal. Le capital-investissement est un mode d'investissement où l'investisseur consacre des capitaux (propres ou sous gestion) au développement ou au rachat d'une société ou d'une division ayant des besoins de croissance (Growth companies), de transmission (dans le cadre de changement de direction, de succession), ou encore de redressement (Distressed companies).

Pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI) désireuses de s'étendre à l'international, mais qui ne disposent pas des ressources administratives, financières et de la bonne connaissance des marchés étrangers, une société d'investissements privée peut remplir cette fonction de levée de fonds par effet de levier bancaire. La nouveauté qui va changer la donne en 2024 est la mise en action du Fonds Mohammed VI, dont la création a été préconisée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI dans son discours du 9 octobre 2020. Il s’agit d’un fonds d’investissement stratégique destiné à jouer le rôle de locomotive dans le plan de relance économique post-Covid. Pour ce qui est du private equity, certaines entreprises ont besoin de faire appel à l'épargne privée, c'est-à-dire qu'elles interviennent sur un marché financier non coté en Bourse et également non sujet à une réglementation très contraignante. Ces sociétés d'investissements, familières du milieu bancaire, travaillent en général sur trois grands volets, à savoir le M&A (fusions et acquisitions), le Securities Trading (négociation de titres financiers sur des Bourses d'échange) et l'Asset management (la gestion d'actifs financiers dite aussi gestion de portefeuilles). Le capital-investissement est vital pour des entreprises jeunes en forte croissance, pour des entreprises installées qui veulent intégrer de nouveaux marchés étrangers (expansion par prise de participations), et pour des entreprises en besoin de restructuration ou de remise à niveau sur le plan de la gouvernance au sens large du terme.

 

F.N.H. : Comment le Fonds Mohammed VI peut-il contribuer à la création d'un écosystème favorable au développement du capital-investissement ?

Kh. D. : Le Fonds Mohammed VI pour l’investissement (FM6I), notre fonds souverain doté de 20 milliards de DH, devrait doubler, voire tripler la capacité financière de la place de Casablanca. Ce Fonds annonce la présélection d’une première liste de 17 sociétés de gestion de fonds sectoriels et thématiques arrêtée à l’occasion de la tenue du Conseil d’administration et du Comité de stratégie et d’investissement du fonds. Cette sélection s'inscrit dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt lancé par le FM6I pour la sélection de sociétés de gestion de fonds sectoriels et thématiques dont l’objet est de catalyser l’investissement, d'accélérer la croissance et de favoriser la création d’emplois. Ces fonds contribueront à l’émergence d’une industrie du capital-investissement robuste au Maroc, aux meilleurs standards internationaux. La taille projetée en cumulé de ces premiers fonds sectoriels et thématiques est estimée à un minimum de 20 milliards de DH. Le FM6I contribuera jusqu’à 33% de la taille de chaque fonds dans le cadre d’une enveloppe globale de l’ordre de 6 milliards de DH. Le reliquat sera levé par les sociétés de gestion présélectionnées auprès d’investisseurs tiers, locaux ou étrangers. Il s’agit là d’un des principaux objectifs du FM6I d’exercer un effet multiplicateur sur les montants investis par ses soins. La première liste de sociétés de gestion présélectionnées comprend 3 sociétés de gestion dans l’industrie, 2 dans le tourisme, 1 dans l’agriculture, 1 dans le transport et la logistique et 10 généralistes. Les fonds généralistes ont été segmentés en plusieurs catégories en fonction des tailles d’entreprises ciblées et ont été choisis de sorte à assurer une couverture de l’ensemble des catégories, en particulier les petites et moyennes entreprises.

 

F.N.H. : Selon vous, quelles sont les principales barrières à l'entrée pour les nouveaux acteurs du private equity ?

Kh. D. : Le Maroc a bénéficié ces dernières années d’une Learning Curve qui fait des sociétés de gestion marocaines, aujourd’hui, des sociétés aguerries dans l’utilisation de ce véhicule financier plus souple que le recours à un crédit bancaire classique. Ce dernier suppose souvent le recours à des garanties réelles ou personnelles. Le recours à ce genre d’outil de financement et de gouvernance efficiente a connu des accrocs à ses débuts dans les années 2003 à 2005, et certains institutionnels marocains ont malheureusement tourné le dos au financement de l’économie réelle. Aujourd’hui, le Maroc a besoin plus que jamais de créer de la croissance et de l’emploi, et les Family Businesses, les fonds de pension et les sociétés d’assurances marocains doivent accepter de miser plus de billes dans la croissance domestique par le financement de startups technologiques très capitalistiques, ou dans des sociétés en besoin de restructuration partielle ou totale. C’est la manière dont une société de gestion se rémunère de ses efforts de rapprochement entre investisseurs et entrepreneurs et de ses devoirs de conseil et d’accompagnement. La fiscalité et la TVA à 20% appliquée à des sociétés qui génèrent des dividendes et des plus-values de cessions, le cas échéant, dérange toujours aux entournures les professionnels de la gestion du capital-investissement, dont les marges bénéficiaires non réinvesties sont érodées de 0,4% à 0,5%, ce qu’ils estiment être de l’iniquité fiscale. Il existe aujourd’hui encore des pans entiers qui se situent dans des deals entre 50 et 100 millions de DH qui sont insuffisamment adressés. Avec sa participation à 33% dans les nouveaux fonds formés par le Fonds Mohammed VI, le volume des transactions ainsi que la taille de celles-ci pourront s’accroître. Les business managers évoluent aujourd’hui avec des tailles de fonds d’une fourchette se situant entre 800 millions et 1 milliard de DH pour 15 à 20 opérations par société. L’appui technique et financier du fonds stratégique Mohammed VI devrait aider à adresser des opérations de moins de 150 millions et pouvant aller jusqu’à 800 millions de DH et au-delà.

 

F.N.H. : En quoi le développement du private equity peut-il contribuer à la création d'emplois et à la croissance inclusive au Maroc ?

Kh. D. : Le private equity est inclusif dans le sens où la qualité du projet choisi n’a plus rien à voir avec la profondeur du portefeuille ou la notoriété de l’emprunteur ou de ses proches parents, mais est plutôt soumise à un avis d’experts technologiques, administratifs, juridiques et financiers. Ces derniers se prononcent sur la propension d’un projet à prendre son envol dans un délai de moyen à long terme (2 à 10 ans) dans un segment de marché particulier, souvent hyperconcurrentiel et à retour sur investissement (TRI se situant entre 8 et 10% dans le cas du Maroc), compte tenu du projet défendu et de la qualité des porteurs de celui-ci. Le graal étant bien entendu de pouvoir créer des champions nationaux ou internationaux (licornes avec un chiffre d’affaires d’un milliard de dollars) dans des secteurs à très forte valeur ajoutée ou capables de se tailler une part substantielle d’un gâteau à l’échelle mondiale. Le private equity peut créer de l’emploi durable dans des secteurs très pointus de la tech, ou dans des métiers très en vogue en relation avec la nécessité de «verdir notre économie». Dans un monde qui évolue à vitesse grand V, être capable de prendre le train en marche des industries industrialisantes est un must. Que ce soit dans le renouvelable, les énergies propres, l’électrique, l’eau, la lutte contre le réchauffement climatique, les ordinateurs quantiques, les nanotechnologies, les terres rares et leur utilisation idoine, la connectivité et les différents métiers mondiaux du Maroc (automobile, aéronautique et textile), nous avons encore besoin de monter en gamme de produits et en compétence au niveau de notre courbe d’apprentissage, et de degré d’intégration de nos industries. Pour réussir ces challenges dans l’économie du savoir et de la connaissance, les startups ont parfois besoin de coups de pouce financiers, fussent-ils libérés par étapes (Milestones aux différents stades de développement des sociétés séries A, B et C et pré-IPO). Le private equity traverse en général 12 phases avant la signature d’un accord : prospection et teasers, signature d'une clause de confidentialité, due diligence initiale, proposition d'investissement, l'offre de premier tour de table, due diligence approfondie, création d'un model opérationnel interne, mémorandum d'investissement préliminaire, due diligence finale, approbation du comité d'investissement, offre finale puis signature de l'accord. Une firme de capital-investissement est appelée General Partner (GP) et ses investisseurs qui engagent leur capital, des Limited partners (LPs). Les Limited partners investissent généralement dans des fonds de pension, des grands comptes institutionnels (tels les Endowments de grandes universités américaines, ou des sociétés d’assurances) et des Wealthy individuals (Family offices).

 

F.N.H. : Enfin, les opportunités et les défis qu’offre le capital- investissement sont énormes, notamment en matière d’amélioration de la gouvernance et en termes de structure bilancielle. Cependant, l’évolution d’un nouveau cadre règlementaire est primordiale pour dynamiser le secteur. Quelle lecture en faites-vous ?

Kh. D. : La grande mode pour les pays les plus avancés de la planète et le groupe de Development finance international (DFI) est de solliciter ces pays pour qu’ils apprennent à se développer lentement et en dehors de l’utilisation de l’énergie nucléaire, des énergies fossiles et des richesses du plateau continental. La structure bilancielle des sociétés demandeuses est bien entendue épluchée sur la base de critères financiers et non-financiers (17 objectifs de développement durable). Les critères économiques, sociaux et de gouvernance (ESG) qui, parfois, peuvent s’avérer subjectifs ou laissés à la discrétion de tiers pas toujours de confiance rendent encore plus difficile l’entreprise de sélection des heureux gagnants de la loterie du private equity. Le capital-investissement fait office de refuge pour les investisseurs qui fuient les taux bas. 80% des volumes de la dette privée (non cotée) se font par le biais de fonds d'investissements privés (private equity), et non pas par l'intermédiaire des banques. Les prêts aux PME et GME (Groupement momentané d'entreprises, qui passent entre elles une offre commune en réponse à un marché pour une durée déterminée) sont faits par le biais de ces sociétés qui, également, rachètent des parts sociales de sociétés majoritaires. Ces sociétés investissent à horizon de 5 à 10 ans sans trop se focaliser sur les rapports trimestriels, et réalisent des rendements de 15 à 20% annuels dans le monde entier. Le facteur de réussite principal en finance est le recours aux surdoués (Quant ou analyste quantitatif). La thèse d'investissement initiale se fait sur la base de la découverte des secteurs en croissance potentielle forte, et que l'on peut renforcer par l'acquisition de petites sociétés spécialisées peu onéreuses à acquérir (une acquisition ciblée pouvant augmenter l'EBITDA de 30 à 35%). L'approche d'investissement n'a rien de scientifique, mais repose sur l'humain, la compétence, l'expérience et la familiarité avec des sociétés mises en vente.

Le Covenant-Light Loan (Cov-Lite) est dans le jargon financier un accord de prêt qui ne contient pas les clauses de protection habituelles au profit de la partie prêteuse, et qui permet donc d'acheter facilement avec du LBO (Leverage Buy-Out, où l'on achète par un montage juridico-financier avec fort taux d'endettement). En outre, les agences de notation et les organismes supranationaux qui établissent les standards et les normes des secteurs primaire, secondaire et tertiaire à l'échelle internationale élisent tous domicile dans les pays de l’ancien monde dit libre. Tout comme est ressenti toujours aussi amèrement par certains grands pays le privilège exorbitant du Dollar. C’est pour cela que les BRICS, l’Organisation de coopération de Shangai et le G77 s’érigent en groupe de pression pour atténuer cette inégalité de traitement à leurs yeux jugée inique. Il faut savoir que le domaine du private equity brassait en 2020 quelque 580 milliards de dollars à l’échelle mondiale; il en a brassé 800 millions en 2022. Pour le continent africain, le montant du private equity est passé de 4 milliards de dollars en 2021 à 2 Mds de dollars en 2022. Ceci étant dû en partie à un renversement vers les pays de l’Est avec le conflit en Ukraine, mais également à la lutte accrue contre le réchauffement climatique. Enfin, il faut savoir que le leader incontesté en Afrique de cette classe d’actifs est l’Île Maurice pour des raisons de fiscalité, incitation d’une part et de flexibilité accrue de leur régime de change et de rapatriement de plus-values réalisées par des fonds à vocation régionale ou internationale.

 

 

 

 

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