La complexité du projet de recyclage des créances en souffrance a retardé sa mise en place.
Actuellement, la seule façon d'investir dans un portefeuille de prêts non performants au Maroc est de recourir à une structure de titrisation.
Par Y. Seddik
Alimenté par les effets de la crise sanitaire, le stock de créances en souffrance ne cesse de grossir au Maroc. D’un côté, il pèse sur la rentabilité des banques, et de l’autre, il entrave leur capacité à financer proprement l’économie. La mise en place d’un marché secondaire s’est imposée comme l’unique solution pour libérer les bilans des banques des prêts non performants.
Dans sa dernière sortie médiatique, fin décembre, le Wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, a assuré que le chantier est sur la bonne voie. «La commission va se mettre en place. Nous avons travaillé les plans fiscal, juridique et du recouvrement. Nous avons également travaillé avec les banques pour qu’elles se préparent à l’évaluation du stock des créances», a-t-il indiqué. L'objectif étant que les créances douteuses soient évaluées au plus près possible de leur valeur de marché et être cédées pour libérer des capacités financières chez les banques. Et de poursuivre : «Maintenant, on accélère la cadence (…). Avec le lead du SGG (secrétariat général du gouvernement, ndlr), nous allons rattraper le temps perdu et pouvoir, au cours de cette année (2022, ndlr), boucler ce marché secondaire des créances en souffrance». Il faut dire qu’au vu de sa complexité, tant sur les aspects légaux, fiscaux et institutionnels y afférents, le projet demande encore beaucoup d’efforts et de temps.
C’est aussi le constat établi par le cabinet Abdelatif Laamrani, dans une étude sur la cession des prêts non performants (PNP) au Maroc. Ce dernier explique que «dans le contexte juridique, prudentiel et institutionnel marocain actuel, plusieurs facteurs constituent autant d'obstacles à la cession des PNP». Parmi les obstacles juridiques relevés par Abdelatif Laamrani, avocat aux Barreaux de Casablanca, Paris et Montréal et docteur en droit, celui du monopole bancaire : «ce principe s’opposerait à ce que des fonds d’investissement étrangers fassent l’acquisition de créances de crédit au Maroc».
Ces derniers doivent, s’ils le souhaitent, être soit adossés à des établissements de crédits agréés, soit solliciter l’agrément de Bank Al-Maghrib. L’autre obstacle juridique a trait à l'article 192 du DOC qui «exige l'assentiment du débiteur en cas de créance litigieuse. L'alinéa 2 du même article définit la créance litigieuse comme celle faisant l'objet d'un litige sur le fond même du droit ou de la créance au moment de la vente ou de la cession, ou bien lorsqu'il existe des circonstances de nature à faire prévaloir des contestations judiciaires sérieuses sur le fond même du droit. Dans la réalité, cet accord a peu de chances d'être obtenu».
Du côté des contraintes fiscales, il faut noter, entre autres, que la règlementation ne se prononce pas sur la question des ventes de prêts non performants en décote, c’est-à-dire en dessous de leur valeur comptable. «Il faut préciser à cet égard que si des PNP sont cédées au cours des 5 premières années de leur identification comme tel, l'administration fiscale pourrait exiger des établissements de crédit l'annulation des déductions fiscales qu'ils ont appliquées lors de la constitution des provisions sur ces PNP», lit-on dans l’étude. Enfin, Laamrani relève que l'une des contraintes majeures au Maroc à la création d'un marché secondaire des PNP réside dans l'inexistence d'un cadre juridique du recouvrement et les difficultés des voies d'exécution
Les solutions possibles ?
Actuellement, la seule façon d'investir dans un portefeuille de PNP au Maroc est de recourir à une structure de titrisation, «mais le mécanisme apparaît relativement dispendieux». La structure de titrisation marocaine présente toutefois des inconvénients par rapport aux réglementations régissant l'achat de portefeuilles PNP dans d'autres juridictions. «Il peut s'agir notamment de la vente directe de portefeuilles de PNP à des structures ad hoc (SPV) qui émettent des titres aux investisseurs dans le cadre d'un régime de placement privé, dans des juridictions fiscalement avantageuses et fréquemment utilisées pour les investissements dans des PNP», explique Me Laamrani.
Ces structures ne sont toutefois pas possibles en vertu de la loi marocaine, qui impose des obligations d'informations complètes, y compris le dépôt d'un mémorandum d'information et/ou d'un prospectus. L’autre alternative possible est la création d’une structure de défaisance qui devrait voir le jour dès cette année, selon le Wali. Aujourd’hui, le secteur bancaire marocain ploie sous un stock de crédits en souffrance supérieur à 85 milliards de DH, avec un taux de sinistralité qui se situe à 8,8%.