Bourse & Finances

Tous les articles

Capital-investissement : «Le Maroc doit travailler sur ses propres facteurs de succès en misant sur des investissements bien ciblés»

Capital-investissement : «Le Maroc doit travailler sur ses propres facteurs de succès en misant sur des investissements bien ciblés»

Avec une montée significative des investissements dans des secteurs clés comme les nouvelles technologies, la santé et l'éducation, le capital-investissement apparaît comme un moteur potentiel de croissance économique. Entretien avec Khalid Doumou, économiste et expert financier

 

Propos recueillis par M. Boukhari

Finances News Hebdo : Depuis plus de 20 ans, le Maroc réalise une performance non négligeable dans le secteur du capital-investissement, ce qui a favorisé l'émergence de bon nombre d'acteurs de renom dans divers domaines clés. Que pouvez-vous nous en dire ?

Khalid Doumou : Tout d’abord, il faut savoir que la taille du marché marocain du capital-investissement, pris à lui tout seul, ne peut pas impacter significativement le marché du capital-investissement (Private equity) à l’échelle régionale ou mondiale. Dans ses cinq segments de marché, capital amorçage, capital-risque, capital développement, capital transmission et capital retournement, les montants investis à fin 2023 ne dépassent guère 2,542 milliards de dirhams. Nous en sommes à la fin de la quatrième génération de fonds au Maroc. Après une baisse de la part des investisseurs marocains entre la première et la troisième génération de fonds (de 73% entre 2000 et 2005, à 25% entre 2012 et 2016), les capitaux levés auprès des investisseurs marocains ont enregistré une hausse marquée entre 2016 et 2023, représentant ainsi 45% des levées totales de fonds sur la période. Les levées de fonds ont atteint un montant global de 9 milliards de dirhams sur la période 2018-2023, soit plus du double des fonds levés sur la période 2012-2017. Il faut savoir que la durée moyenne de détention des participations est de 5,8 ans. Les sorties effectuées au cours des 6 dernières années (2018-2023) ont atteint 4,62 milliards de dirhams, soit plus que le montant enregistré lors de la période précédente (2012-2017) qui était de 1,98 milliard de dirhams

Pour 2023, les désinvestissements ont atteint 1,012 milliard de dirhams. Par mode de désinvestissement, après une chute marquée entre 2012 et 2017, les introductions en Bourse ont connu un regain d’activité durant les 6 dernières années, passant entre 9% entre 2012 et 2017 à 14% pour la période s’étendant de 2018 à 2023. Il faut savoir que quand la sortie du fonds coïncide avec un IPO (Initial public offering), cela signifie que la croissance rapide recherchée a été atteinte dans un laps de temps restreint, et que la société a atteint un degré de maturité lui permettant de faire son entrée en Bourse. Et lorsqu’on considère la dynamique interne de ce type de véhicule alternatif d’investissement, qu’est le capitalinvestissement, on se rend compte que 41 actes d’investissement ont été effectués en 2023, 25 étant des investissements nouveaux et 16 des réinvestissements. Huit nouveaux investissements ont eu lieu dans la phase d’amorçage et de risque, et plus particulièrement dans les secteurs des nouvelles technologies (Fintech, Health tech et Ed tech), ce qui souligne une appétence plus grande pour l’investissement dans la croissance rapide des startups technologiques sous nos cieux. Il faut en outre souligner le fait que deux records ont été enregistrés en 2023. D’une part, le total des levées de capitaux mobilisés a atteint un total de 3,009 milliards de dirhams, dont un record d’investissement pour le financement de projets de croissance d’entreprises au Maroc. Oui, le capital-investissement bien senti peut être très impactant, et permettre de faire naître de nouveaux champions nationaux dans de nombreux domaines, et notamment dans les NTIC (nouvelles technologies de l’information et des communications).

 

F.N.H. : Selon l'Association marocaine des investisseurs en capital (AMIC), à fin 2023, les investissements réalisés dans 280 entreprises s’élèvent à 14 milliards de dirhams. Quelle lecture en faites-vous ?

Kh. D. : La nouvelle charte de l’investissement vise à maximiser les impacts de l'investissement, en particulier en termes de création d'emplois stables, de développement équitable des territoires, de priorisation des secteurs porteurs pour l'économie nationale et de développement durable. Le capital-investissement marocain est un véhicule d’investissement composé de 13 sociétés de gestion et de 11 fonds d’investissement qui devraient permettre d’aider à répondre aux objectifs de cette charte. Mais l’écosystème du Private equity au Maroc reste réduit. À fin 2022, les investissements réalisés dans 260 entreprises s’élevaient à 11,4 milliards de dirhams. Une année plus tard, 20 entreprises de plus ont été investies, pour un montant global de 14 milliards de dirhams. Ce marché est donc sur un trend haussier. Dans un pays en phase de développement rapide et plurisectoriel tel que le nôtre, parvenir à lever des fonds de capital-investissement pour les secteurs stratégiques que sont la santé et l’éducation, est une réalisation que nous ne pouvons qu’applaudir des deux mains. Il en est de même pour le financement des grands chantiers d’infrastructures dont le Maroc a besoin dans le court et le moyen terme. Mais pour le financement des startups innovantes, un grand effort doit encore être réalisé pour que les jeunes geeks, développeurs et autres quants marocains puissent s’exprimer de manière plus impactante dans des sociétés innovantes «Made in Morocco».

 

F.N.H. : Comment les tendances actuelles en capital-investissement pourraient-elles influencer le développement des secteurs clés comme la santé, les TIC et les services dans le futur ?

Kh. D. : Les tendances actuelles sont haussières, mais de nombreux défis attendent les sociétés d’investissement marocaines qui voudraient attirer le capital local des investisseurs institutionnels, des banques et des Family offices (gestion de fortunes familiales) et autres High net worth individuals (individus très fortunés) dans des projets de développement à retour sur investissements jugés satisfaisants. Dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la construction d’infrastructures d’envergure, nous disposons de quelques retours d’expériences intéressants qui peuvent revêtir valeur d’exemple, mais pour la high-tech, les entreprises marocaines tardent à réaliser leur plein potentiel de croissance. Bien sûr, il est plus facile d’investir dans des sociétés qui ont pignon sur rue et un track record (historique de vente) qui parlent pour elles. La gestion de bon père de famille est celle qui privilégie les rendements moyens, avec des coefficients de risques financiers jugés raisonnables. Or, dans le Private equity, les meilleurs rendements sur capital investi reviennent en général à des investisseurs qui ont une grande appétence au risque, et qui osent avancer des fonds importants même si la probabilité de succès peut paraître, au premier abord, minime. Car en réalité, le capital-investissement, c’est la capacité d’accompagner des entreprises dans leur développement, sans la tyrannie des fins de trimestres où les entreprises doivent présenter leurs rapports d’activité à leurs actionnaires et aux médias (entreprises cotées en Bourse). Mais bien sûr, le Maroc doit travailler sur ses propres facteurs de succès, c’està-dire en misant sur des investissements bien ciblés, fléchés, maîtrisés, et surtout bien exécutés.

Le capital-investissement demeure avant tout un «People’s business», c’est-à-dire une activité fongible qui dépend de la bonne ou de la mauvaise gestion des fonds mis à disposition par des actionnaires professionnels plus ou moins engagés et disciplinés dans l’accompagnement d’entrepreneurs désireux de réussir dans des activités souvent soit totalement nouvelles, soit exercées dans un domaine à forte intensité capitalistique et hyper-concurrentiel. Le capital-investissement est un accélérateur de croissance pour des entreprises qui, en 5 ou 6 ans, peuvent faire ce qu’elles pourraient faire seules, mais en 10 ou 15 ans. Il faut savoir que l’investissement en capital dans des sociétés non cotées en Bourse est vertueux, car ce sont des sommes directement investies dans l’économie réelle, mais le versant de cela, c’est que ce marché du capital-investissement est par nature illiquide, car l’investisseur ne peut pas revendre ses actions ou ses obligations quand cela lui chante sur un marché organisé à cet effet. Les sociétés nouvellement créées ne distribuent pas de dividendes, mais créent de la valeur en

interne, laquelle valeur va être réinvestie dans l’entreprise pour faire décoller les ventes dans les plus brefs délais. Et la plus-value des individus formant société pourra se préciser quand ceux-ci cèderont leurs parts sociales à d’autres fonds, ou dans le cadre de M&A (fusions ou acquisitions). Le système financier, avec le ministère de l’Economie et des Finances, le département du Budget, la Banque centrale, les banques secondaires, le Fonds Mohammed VI pour l’investissement, CDG Invest, Casablanca Finance City, la Bourse et les sociétés de gestion de patrimoine et d’investissements et les divers régulateurs, constitue la colonne vertébrale de notre économie. Les prises de bénéfices de nos banques marocaines en 2023 ont atteint des records de rentabilité, selon l’Agence de notation Fitch. Selon les données de cette agence, les 7 plus grandes banques marocaines ont enregistré une augmentation substantielle de 28% en glissement annuel de leur revenu net agrégé pour le premier semestre de 2023. Cette hausse peut être attribuée principalement à une augmentation des revenus, avec une croissance

notable des revenus d’intérêts nets de 7%. Les taux d’emprunt ont atteint leurs niveaux les plus élevés depuis 2017, contribuant de manière significative à cette réussite financière. L'agence de notation internationale Fitch Ratings a maintenu la notation du Maroc à «BB+» sur le long terme avec une perspective stable. Les politiques macroéconomiques saines du Royaume ont permis d'être résilients face aux chocs successifs qui ont impacté le Maroc, et permis les notations «BB+» du Maroc. Dans le domaine du Private equity, notre pays accuse encore du retard sur des pays tels que l’Egypte, le Nigeria, le Kenya, ou encore Madagascar. Notre stabilité politique et celle de notre devise, ainsi que la vitalité de notre économie et l’amélioration de notre climat des affaires représentent autant d’atouts majeurs pour l’attraction de capital-risqueurs chez nous.

La transition énergétique mondiale et le web représentent de nouveaux défis et opportunités pour le capital-investissement. Dans le domaine des investissements dits verts ou à impact social et environnemental positif, dans l’éolien offshore, le solaire, l’hydrogène et l’ammoniac vert, le dessalement de l’eau, les batteries électriques, les études et implantations d’espèces végétales résilientes en milieu aride (plantes dites succulentes), la transformation et la vente du cannabis à effet thérapeutique, de nombreuses opportunités s’offrent encore aux plus visionnaires et téméraires des investisseurs. Selon le rapport de Bain & Company, un des plus grands cabinets de conseils en stratégie et management mondial, le Private equity bénéficie d'un niveau de capitaux propres sans précédent. À la fin de 2022, le Dry Powder (x capitaux non investis ou l'argent «en attente» que les sociétés de capital-investissement ont à leur disposition pour des investissements futurs) atteignait 3.700 milliards de dollars, en hausse par rapport aux 3.200 milliards de dollars de l'année précédente. Malgré un environnement difficile marqué par l'inflation et la hausse des taux d'intérêt, les perspectives à long terme pour le Private equity restent solides. Toutefois, l'incertitude actuelle pourrait freiner l'activité de transaction, en particulier pour les plus grandes transactions qui nécessitent le plus d'effet de levier. Le rapport de PitchBook, quant à lui, souligne que la différence entre le capital déployé dans les startups et le capital levé par les fonds de capital-risque a atteint 84,2 milliards d'euros en 2021 et 74,6 milliards d'euros en 2022. Avec le capital sortant des fonds à des taux records ces dernières années, des défis pour maintenir les niveaux de collecte de fonds pour financer les futurs investissements pourraient émerger. Les niveaux de dry powder pourraient diminuer et une pénurie de capital pourrait survenir dans les années à venir. 

 

 

 

Articles qui pourraient vous intéresser

Mardi 05 Novembre 2024

Formation par alternance : une réponse à la crise de l’emploi ?

Mardi 05 Novembre 2024

CNSS : nouveaux dispositifs pour le contrôle de vie des pensionnés en 2024

Mardi 05 Novembre 2024

Naziha Belkeziz nommée Présidente directrice générale de la BCP

Mardi 05 Novembre 2024

VIDEO. Noureddine Bensouda : «Les Finances publiques sont éminemment politiques»

L’Actu en continu

Hors-séries & Spéciaux