Réforme du prix des médicaments : «Le nouveau système proposé tranche radicalement avec celui en vigueur depuis 2014»

Réforme du prix des médicaments : «Le nouveau système proposé tranche radicalement avec celui en vigueur depuis 2014»

Le ministère de la Santé a récemment détaillé les contours du nouveau système de fixation des prix des médicaments. Ce modèle vise à renforcer l’accès aux traitements et à préserver les équilibres du système d’assurance maladie. Entretien avec Abdelmadjid Belaïche, expert en industrie pharmaceutique, analyste des marchés pharmaceutiques et membre de la société marocaine de l’économie des produits de santé.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : La réforme du système de fixation des prix des médicaments a été récemment détaillée par le ministère de la Santé. En quoi ce nouveau mécanisme diffère-t-il fondamentalement de l’ancien modèle, et quels en sont, selon vous, les principaux enjeux économiques ?

Abdelmadjid Belaïche : Le nouveau modèle de fixation des prix des médicaments repose sur 3 éléments essentiels. Premièrement, la fixation des prix publics de vente se fera uniquement pour les médicaments remboursés et pour ceux susceptibles d’être remboursés (médicaments qui ont un service médical rendu avéré) et pas les médicaments de «confort». Deuxièmement, la révision des prix publics de vente (P.P.V.) des princeps et des génériques actuels se fera sur la base d’une formule optimisée, entraînant une réduction de ces P.P.V. Troisièmement, la mise en place pour les médicaments budgétivores à la fois d’un prix facial divulgué et d’un prix négocié, remisé mais non divulgué. Les médicaments concernés par cette procédure sont ceux qui totalisent au moins 50% des montants remboursés par les caisses de l’assurance maladie. Dans le cas où les négociations sur un prix excessif d’un médicament princeps protégé par un brevet échouent, le nouveau système de fixation des prix envisage le recours à des licences obligatoires. Les autres nouveautés de ce modèle sont l’instauration et la régulation du droit de substitution pour les pharmaciens afin d’encourager l’utilisation des médicaments génériques et biosimilaires pour optimiser davantage les dépenses pour les caisses de l’assurance maladie, d’une part. Et d’autre part, pour favoriser l’accès des patients aux médicaments, mais aussi le traitement simultané de la procédure de l’admission des médicaments au remboursement et de la demande de l’autorisation de mise sur le marché (A.M.M.). Des changements seront aussi introduits au niveau du remboursement des médicaments, notamment la possibilité de dérembourser certains en cas de disponibilité de médicaments équivalents moins coûteux.

 

F. N. H. : Selon vous, dans quelle mesure la nouvelle tarification peut-elle contribuer à une meilleure accessibilité des médicaments pour les citoyens, sans compromettre l’équilibre du secteur ?

A. B. : Dans le nouveau système de fixation des prix des médicaments, il y a des dispositions très intéressantes pour améliorer l’accès des patients aux médicaments, tout en sauvegardant les équilibres budgétaires des caisses de l’assurance maladie. Cela concerne en particulier les médicaments les plus onéreux. Une analyse sur la répartition des remboursements a montré que 150 médicaments, soit 4% de l’ensemble des médicaments commercialisés au Maroc, absorbent 54% des remboursements de l’assurance maladie et que 17% des remboursements vont à des médicaments dont le prix public de vente (PPV) est supérieur à 10.000 dirhams par boîte. De même, une étude réalisée par la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS), en collaboration avec l’administration des douanes, avait mis en évidence de graves anomalies dans la fixation des prix des médicaments, notamment les plus coûteux, avec des différences importantes entre les prix déclarés à la douane et des cas où le benchmark des prix n’était pas appliqué. Et ce, en violation des dispositions du décret de fixation des prix des médicaments. Les décideurs en la matière viennent de comprendre que le danger pour les équilibres budgétaires de l’assurance maladie n’est pas représenté par l’ensemble des médicaments, mais par une poignée de médicaments, ceux qui sont les plus coûteux (médicaments de la 4ème tranche de prix). L’accès des patients aux soins, en général, et aux médicaments, en particulier, n’est possible qu’à travers une couverture sanitaire universelle (CSU) pérenne, avec autant que possible la réduction du reste à charge pour ces patients. Or, la pérennité du financement de la CSU est tributaire de prix justes, supportables et équilibrés par ce financement. C’est pour cela qu’a été introduit le principe du prix facial/prix négocié remisé non divulgué, comme cela se fait dans de nombreux pays européens, entre autres. Les Big pharmas détenteurs des médicaments, notamment les plus onéreux, refusent souvent de baisser les prix de leurs médicaments de peur que les prix proposés à la baisse ne soient benchmarkés par d’autres pays où les profits réalisés sont de loin plus importants que ceux réalisés au Maroc. De ce fait, leurs médicaments ne seront pas remboursés, d’où une perte pour ces laboratoires et, surtout, pour les patients qui ne pourront pas accéder à des innovations thérapeutiques majeures mais hors de prix. C’est pour éviter ce scénario catastrophique qu’a été mis en place le principe du prix facial et prix négocié remisé non divulgué. Ce procédé consiste à négocier un prix de cession largement inférieur au prix officiel facial, par exemple de 50% inférieur, mais ce prix de cession négocié remisé ne sera pas divulgué. Il restera secret, et donc aucun autre pays ne pourra le benchmarker. Ce système est très souvent accepté par les Big-pharmas et les systèmes de santé qui le pratiquent au profit de leurs patients, et y trouvent leur compte. En effet, ces Big-pharmas reversent à l’assurance maladie la remise consentie. Soit dans notre exemple, la moitié du chiffre d’affaires réalisé sur un médicament sur la base du prix officiel, dit facial. Bien entendu, ce système ne serait profitable aux patients qu’à travers un système de tiers payant où ils n’avanceraient pas un sou pour payer leurs médicaments totalement pris en charge par l’assurance maladie. Par contre, les marges des grossistes-répartiteurs et des pharmaciens ne seraient pas impactées, puisque calculées sur la base du prix facial et non pas sur le prix remisé. Une autre disposition tout aussi intéressante est celle qui consiste à envisager la possibilité d’accorder à un laboratoire local une licence obligatoire pour lui permettre de fabriquer ou d’importer un médicament à un prix de loin inférieur à celui imposé par la Big-pharma, en cas d’échec des négociations sur les remises des prix de médicaments coûteux. Enfin, l’encouragement de l’utilisation des médicaments génériques à travers le droit de substitution qui sera accordé aux pharmaciens. Ceci permettra de réaliser de substantielles économies aussi bien pour les patients que pour les caisses de l’assurance-maladie.

 

F. N. H. : Cette révision de la tarification nationale de référence suscite la grogne, notamment chez les pharmaciens qui dénoncent un manque de concertation. Comment analysez-vous cette réaction, et que révèle-t-elle sur le dialogue entre les autorités et les acteurs de la chaîne du médicament ?

A. B. : La réaction des pharmaciens face à la révision de la tarification nationale de référence pose la problématique de la qualité du dialogue entre les autorités de tutelle et les acteurs du secteur pharmaceutique, notamment les pharmaciens d’officine. Ces pharmaciens estiment être marginalisés et non impliqués dans un processus de concertation sur des éléments déterminants pour l’avenir et la viabilité des pharmacies d’officine. Malgré tous les avantages apportés pour les pharmaciens, cette réforme du système de fixation des prix souffre, d’une part, d’une non-inclusivité et, d’autre part, d’un défaut de communication et de pédagogie envers ces acteurs pharmaceutiques. En effet, le nouveau système proposé est radicalement différent du système en cours depuis 2014 à ce jour. Système qui a été largement critiqué depuis sa mise en place. Pourtant, une question demeure : comment satisfaire les besoins et les attentes des différentes parties impliquées dans le dossier du prix des médicaments ? D’un côté, les patients attendent un meilleur accès économique et une réduction du reste à charge (out-of-pocket). De l’autre, les caisses de l’assurance maladie cherchent à préserver leurs équilibres financiers et leur pérennité. Les pharmaciens d’officine et les grossistes, quant à eux, sont préoccupés par leur survie économique. L’industrie pharmaceutique vise à maintenir sa rentabilité, à se développer et à répondre aux exigences de souveraineté pharmaceutique. C’est donc une équation complexe à résoudre et aucune partie ne peut être satisfaite à 100%. Le plus important, c’est de voir si le nouveau système de fixation des prix est économiquement meilleur ou, au contraire, pire pour les pharmaciens d’officine que le précédent. Objectivement, le nouveau système de fixation des prix des médicaments apporte, par rapport à l’ancien, des améliorations notables, et je vais en citer quelques-unes. La première, c’est qu’il s’agit de la toute première fois où le ministère de tutelle reconnaît, de manière explicite et écrite, l’importante crise économique que traverse le secteur officinal. La deuxième avancée concerne la reconnaissance du droit de substitution accordé aux pharmaciens, même si les modalités de ce droit restent à préciser. Et enfin, la troisième amélioration est significative. En effet, seuls les médicaments remboursables, ou susceptibles de l’être, feront désormais l’objet d’une fixation de prix par les autorités. Les autres n’étant pas concernés, l’impact négatif sur le chiffre d’affaires des officines s’en trouvera ainsi atténué.

 

F. N. H. : La réforme prévoit également une simplification des procédures et une meilleure transparence dans la fixation des prix. Pensez-vous que ces changements peuvent réellement améliorer la gouvernance du secteur pharmaceutique au Maroc ?

A. B. : Les changements apportés dans le nouveau système de fixation des prix des médicaments peuvent améliorer la gouvernance du secteur pharmaceutique au Maroc. Ces améliorations concernent principalement la transparence et la simplification des procédures administratives. La rapidité d’obtention d’une autorisation de mise sur le marché (A.M.M.) est primordiale pour permettre un accès plus rapide des patients à des médicaments innovants et/ou économiques. Cela permet de sauvegarder la santé ou de sauver des vies. Ainsi, le nouveau système propose de traiter simultanément la procédure d’A.M.M. et celle du remboursement, un gain de temps précieux aussi bien pour les patients que pour les équilibres budgétaires de l’assurance-maladie. Dans le système qui a prévalu à ce jour, la procédure du remboursement ne peut démarrer qu’à partir du moment où le médicament a déjà obtenu son A.M.M., souvent au bout de plusieurs mois. La procédure pour le remboursement est aussi un long processus, avec passage devant la commission de transparence des médicaments pour avoir un Service médical rendu (SMR) important ou modéré, qui rend le médicament potentiellement éligible au remboursement, ou un SMR faible ou insuffisant, qui le rend inéligible au remboursement. Cette commission statue aussi sur une éventuelle amélioration du SMR apportée par ce médicament par rapport aux équivalents thérapeutiques existants. Ensuite, c’est le passage devant la commission d’évaluation économique et financière des produits de santé (CEEFPS) pour admettre ou pas le médicament au remboursement en raison de son coût pour l’AMO. Ces 2 commissions ne se réunissaient qu’un jour par mois pendant 2 heures, ce qui limitait le nombre des dossiers traités, d’où un allongement considérable du temps d’obtention de l’A.M.M., puis du remboursement. Le nouveau système du traitement simultané A.M.M/ remboursement, permettra de raccourcir ce temps si précieux pour toutes les entités, et notamment les patients qui pourront accéder plus rapidement aux nouveaux médicaments. 

 

 

 

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