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Baisse de l’impôt sur le revenu: «La démarche est courageuse parce qu’elle est risquée»

Baisse de l’impôt sur le revenu: «La démarche est courageuse parce qu’elle est risquée»

Le gouvernement a annoncé une baisse de l’impôt sur les revenus au titre des dispositions figurant dans le projet de Loi de Finances 2023.

Me Nesrine Roudane, avocate au Barreau de Casablanca, médiatrice commerciale, arbitre - associée gérante Roudane & Partners Law Firm /Al Tamimi & Co, décortique les enjeux de cette mesure.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : Fouzi Lekjaa, ministre du Budget, a présenté son plan de réforme pour la baisse de l’impôt sur les revenus en s'appuyant sur les recommandations des troisièmes Assises nationales sur la fiscalité. Quelle lecture en faites-vous ?

Me Nesrine Roudane : La baisse de l’impôt sur les revenus (IR) est au cœur du plan de relance économique nécessaire pour soutenir le pouvoir d’achat des Marocains, dans un contexte d’inflation galopante liée essentiellement à une flambée du coût des matières premières suite, notamment, au déclenchement de la guerre en Ukraine. Ma lecture du plan de réforme m’amène à conclure de manière préliminaire que, face à la pression sociale croissante et aux difficultés des entreprises, exprimées lors des assises nationales, le gouvernement doit réagir et entend bien le faire. Les moyens choisis concerneraient essentiellement la révision des seuils des différentes tranches de revenus soumis à l’IR, le relèvement du taux d’abattement pour frais professionnels déductibles et le taux d’exonération des pensions. Mais, pour l’heure, il ne s’agit que d’annonces concernant la politique gouvernementale et il est préférable d’attendre le projet de Loi de Finances pour se prononcer sur l’ampleur et l’impact des mesures gouvernementales à venir.

 

F.N.H. : Atténuer la pression fiscale sur le citoyen dans un contexte inflationniste à travers une baisse de l'impôt sur le revenu, peut-on qualifier cette démarche gouvernementale de courageuse ou de risquée ?

Me N. R. : Dans le contexte actuel, il ne s’agit pas de stimuler la demande à proprement parler, ce qui aurait un effet inflationniste additionnel, mais de rétablir le pouvoir d’achat pour maintenir la demande sur tous les marchés et ainsi éviter un ralentissement économique, voire une récession. N’empêche, la démarche est courageuse parce qu’elle est risquée. En plus de devoir faire face à une inflation galopante, la plupart des Marocains doivent aussi reconstituer leurs économies, mises à mal pendant deux ans de pandémie; et donc une baisse de l’IR ne se traduira pas nécessairement par une augmentation équivalente des dépenses des ménages et des recettes de TVA, ce qui permettrait d’atténuer les effets de la baisse de l’IR sur le budget de l’Etat. Toute augmentation des taux d’intérêts, si elle permettra également de freiner les effets inflationnistes de la réforme proposée, accentuera davantage cette perte de recettes publiques.

 

F.N.H. : Avec cette baisse attendue de l’IR, quels sont les grands changements qui vont s’opérer notamment en matière de salaires et de retraites ?

Me N. R. : La baisse de l’IR (par un relèvement de seuil ou une baisse de taux) devrait normalement correspondre, pour tous les salariés, à une baisse des montants retenus à la source par leur employeur et par conséquent une augmentation de leurs revenus nets et, c’est l’objectif économique, une augmentation de leurs dépenses. En même temps, cela réduit la pression sur les employeurs en ce qui concerne les augmentations de salaire qui resteront néanmoins nécessaires dans bien des cas. Cette mesure soulève une question juridique importante, qui revient à chaque fois qu’une baisse de l’IR est envisagée: à qui, de l’employeur ou du salarié, doit bénéficier la baisse de l’IR lorsque le salaire prévu au contrat de travail est stipulé net ? La pratique est encore assez répandue, contrairement à ce que l’on pourrait croire, et la question n’est pas tranchée du point de vue législatif, réglementaire ou jurisprudentiel, même si elle l’est (en faveur du salarié) du point de vue administratif. Par exemple, dans bien des cas, la CNSS n’admettra pas une modification du salaire mensuel brut déclaré. Aussi, sauf à ce que le législateur impose clairement que l’économie qui résulterait d’une baisse de l’IR doit être versée en intégralité au salarié, nonobstant toute stipulation contractuelle ou conventionnelle à l’effet contraire, la mesure envisagée pourrait ne pas avoir l’effet économique escompté. Pour les retraités dépendant de la CNSS, un relèvement du seuil d’exonération aura un effet immédiat sur leurs revenus mensuels nets et, ainsi, sur leur pouvoir d’achat.

 

F.N.H. : Est-il envisageable que le gouvernement revoie à la baisse les taux d’imposition appliqués à d’autres catégories de salariés et pourquoi ?

Me N. R. : Je ne peux rien affirmer concernant l’ampleur des mesures gouvernementales à venir, mais c’est certainement envisageable et c’est peutêtre même nécessaire, si le but est de rétablir, au moins partiellement, le pouvoir d’achat de la majorité des contribuables. Avec un salaire mensuel médian autour de 17.000 dirhams, il faudrait au moins que la partie de la population en-dessous de cette moyenne nationale (50% par définition) puisse en profiter réellement. Les autres salariés en bénéficieraient également, mais dans une moindre mesure, ce qui me paraît assez raisonnable. Mais l’impact sur le budget de l’Etat pourrait être trop important et il faudra donc sans doute faire un arbitrage et apporter une réponse économique plus nuancée. Le droit fiscal est, par sa nature, arbitraire dans son élaboration. En tout état de cause, les résultats du dialogue social, dont on perçoit aujourd’hui les échos, restent à être mis en œuvre par des mesures fiscales effectives; et leurs résultats concrets pourraient prendre plusieurs mois avant de pouvoir être constatés et analysés.

 

F.N.H. : Cette année, le gouvernement a augmenté le salaire minimum de 5%, une autre hausse de 5% est prévue l'an prochain, en plus de la hausse de 10% du SMAG actée également cette année. Quels impacts ces éléments peuvent-ils avoir sur le pouvoir d’achat des ménages ?

Me N. R. : En effet, le décret n° 2-22-606 du 10 safar 1444 (7 septembre 2022) portant fixation des montants du salaire minimum légal dans l’industrie, le commerce, les professions libérales et l’agriculture, qui a été publié au bulletin officiel n° 7125 du 12 septembre 2022, a concrétisé l’accord intervenu dans le cadre du dialogue social conclu en avril 2022. Ainsi, pour le secteur de l’industrie, du commerce et des professions libérales, le salaire minimum légal pour chaque heure du travail est désormais fixé à 15,55 dirhams, soit près de 3.000 dirhams par mois. L’augmentation du SMIG et du SMAG devrait normalement entraîner une augmentation du pouvoir d’achat des ménages et, partant, de leur consommation en soutien au développement économique. Cela reste toutefois à vérifier dans le contexte actuel où l’inflation reste largement supérieure à la revalorisation des salaires nets envisagée et où le spectre d’une nouvelle pandémie peut amener les contribuables les plus vulnérables à économiser plutôt qu’à augmenter le niveau de leurs dépenses. 

 

 

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