Intelligence artificielle : une chance à saisir pour les talents oubliés ?

Intelligence artificielle : une chance à saisir pour les talents oubliés ?

Les non-diplômés marocains font face à l’essor de l’IA, qui bouleverse le monde du savoir et redéfinit les compétences. Au-delà des outils, elle transforme le marché du travail et les repères éducatifs. Dans un pays marqué par une jeunesse nombreuse et des inégalités d’accès à la formation, cette révolution peut devenir un puissant levier d’inclusion… ou au contraire creuser davantage l’écart.

Entretien avec Abdelkhalek Hassini, enseignant-formateur, conférencier, et acteur de terrain.

FNH : Comment repenser les parcours d’insertion à l’ère de l’intelligence artificielle ?

Abdelkhalek Hassini : Je crois qu’il faut d’abord déconstruire une illusion : ce ne sont pas les jeunes qui sont loin de l’école, c’est souvent l’école qui s’est éloignée d’eux. Quand on parle de jeunes non diplômés, on évoque trop souvent un déficit. Mais je vois surtout des potentiels étouffés, des talents empêchés, des curiosités qui n’ont pas trouvé leur chemin. L’IA, si elle est bien pensée, peut justement redessiner ces chemins-là. Il ne s’agit pas de plaquer des modules en ligne ou de distribuer des tablettes. Il s’agit de construire des parcours de dignité. Des formats de formation qui respectent les rythmes, les fragilités, les contextes de vie. L’IA peut y contribuer à condition d’être accompagnée,contextualisée, incarnée. Je rêve d’un modèle d’insertion qui soit souple sans être flou, structurant sans être rigide, et profondément humain. C’est possible si l’on sort du schéma : savoir = diplôme = emploi. Aujourd’hui, on peut apprendre et transmettre autrement.

 

FNH : L’IA peut-elle devenir un outil de valorisation des talents invisibles ?

 

A.A : Absolument. Mais seulement si elle est au service d’un projet de société inclusif. L’IA peut traduire, simuler, guider. Elle peut aussi révéler à condition qu’on lui assigne cette mission. Je pense à ces jeunes qui créent des visuels puissants sur leurs téléphones, qui montent des vidéos sans jamais avoir mis les pieds dans une école d’audiovisuel. À ceux qui rédigent des textes, codent des scripts, animent des pages sans avoir de CV. Ce sont eux les talents invisibles. Et l’IA peut devenir leur révélateur.

Mais pour cela, il faut oser briser certains réflexes profondément ancrés. D’abord, sortir de l’idée que seul le diplôme fait foi. Ensuite, créer des cadres de validation publics, souples et lisibles, à savoir badges numériques, portfolios de projets, certifications modulaires alignées sur les besoins réels du terrain. Et surtout, former ceux qui forment, accompagner les médiateurs, sensibiliser les institutions à cette nouvelle culture de l’apprentissage horizontal. Une culture où l’on apprend autant entre pairs qu’auprès d’experts, où la valeur d’un savoir se mesure à son utilité, à sa transmission, à sa capacité d’émancipation.

 

FNH : Comment penser la formation comme levier d’accès et non de sélection ?

A.A : Quand on parle de formation, il ne s’agit pas seulement de transmettre un contenu. Il s’agit d’ouvrir un espace de possibilité, de redonner confiance, de reconnaître les parcours y compris les plus cabossés et les plus discontinus. Je ne compte plus les jeunes qui arrivent avec des rêves abîmés, des compétences sous-estimées, une absence totale de reconnaissance. Certains maîtrisent des logiciels, montent des vidéos, animent des communautés, mais personne ne leur a jamais dit que cela avait de la valeur. Je suis convaincu que l’IA peut nous aider à renverser cette logique d’exclusion. Pas en remplaçant les éducateurs. Mais en amplifiant leur action, en personnalisant les apprentissages, en élargissant l’accès à des ressources jusqu’ici inaccessibles. Former, aujourd’hui, ce n’est plus délivrer un programme figé. C’est relier les jeunes aux bons outils et aux bons acteurs. C’est imaginer des formats qui ne punissent pas l’erreur, qui encouragent la tentative et qui valorisent l’effort. Rien de cela n’est possible sans accompagnement humain. Et c’est là que tout se joue, il est important de faire circuler la confiance, les outils, le droit d’essayer. L’IA peut soutenir cette dynamique, mais ne la remplace jamais.

 

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