Les experts préfèrent plutôt parler d’actionnariat salarié. Voici leurs arguments.
Par A. Diouf
Sur proposition d’Abdelghani Youmni, économiste et professeur au Business School de l’université Mundiapolis, qui a modéré la rencontre, trois personnalités du monde des affaires étaient invitées pour débattre du thème : «Le dividende salarié : mesure d’équité ou partage de gouvernance», le jeudi 27 avril. Il s’agit de Leïla El Andaloussi, directrice du cabinet ABS Consulting et expertcomptable, Mohammed Oulkhouir, avocat international au cabinet Chassenay Waterlot & Associés, et Hicham Amadi, Directeur général de Heetch Maroc.
Disons-le tout de suite : il n’y a pas eu débat ! En effet, comme nous le verrons plus loin, malgré l’introduction de Youmni dans laquelle il a brillamment campé le décor, les intervenants sont restés alignés.
Selon Youmni donc, «la question de la répartition des valeurs et du profit est un sujet qui interpelle dans un Maroc qui change. Elle se pose de plus en plus pas seulement au Maroc, mais aussi un peu partout dans le monde. Sur le papier, l’idée d’un dividende salarié est très attractive. Mais, en réalité, c’est très complexe de la mettre en place pour des raisons fiscales, juridiques et de partage de richesse. Avec l’impôt, le partage est facile. Par contre avec le capital, c’est plus compliqué».
Au Maroc, le dividende salarié existe dans certaines entreprises, notamment dans les banques. Et Youmni de demander : «Faut-il le généraliser avec des recommandations et une relance de la réforme du Code du travail ? Est-ce que le dividende salarié est une rémunération ou une prime ?». Nous allons nous arrêter à ces deux interrogations dont les réponses ont suffi, à notre sens, à résumer la rencontre. En effet, dès l’ouverture de la conférence, les trois panélistes ont tous déclaré être mal à l’aise avec le terme de dividende salarié. Le dispositif de partage de valeur, «trouvaille du président français Emmanuel Macron», également dénommée «le profit pour tous» par son ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, n’a donc pas trouvé grâce auprès d’eux. Ils lui ont préféré celui d’«actionnariat salarié».
L’actionnariat salarié offre plus d’implications
«Le capital humain est fondamental dans la création de valeur. Mais je trouve que partager cette valeur qui est le dividende est quelque chose d’anachronique. Parce que ce n’est pas conventionnel, ce n’est pas défini dans un contrat de travail», a souligné Leïla El Andaloussi, qui a tout de suite tranché qu’il s’agit d’une rémunération. De son côté, l’avocat Mohammed Oulkhouir a commencé par citer Albert Camus qui disait «Mal nommer les choses, c’est rajouter au malheur du monde».
Ensuite, poursuivant son propos, il a expliqué que «j’ai l’impression qu’avec le dividende salarié, on commet cette erreur. Cela n’a pas de sens effectivement et je pense que la thématique, c’est plutôt l’actionnariat salarié, car le dividende salarié renvoie uniquement à un aspect financier, ce qui est somme toute très réducteur et marginal. A la place, je lui préfère l’actionnariat salarié qui a plus d’implications en termes de prise de décision, de représentation, de droit de vote, etc.».
Pour Hicham Amadi, «le terme de dividende salarié est à mon sens assez séduisant pour les salariés, mais il pose un faux problème puisqu’il n’y a que les sociétés protégées par l’Etat, notamment les grandes entreprises, les banques et les sociétés pétrolières qui distribuent des dividendes salariés. Les PME ne le font pas, or le tissu économique marocain est constitué à hauteur de 95% de PME». Selon le patron de Heetch, l’entrée au capital d’une société doit se faire en amont. Bref, étant donné que l’actionnariat salarié a été préféré au dividende salarié au Maroc, par où faut-il alors commencer pour le mettre en place ? La réponse qui a eu l’unanimité, est par la réforme du Code du travail.
«Certes, ce texte est très jeune au Maroc, puisqu’il date juste de 2008, mais son contenu est complètement dépassé». En attendant cette réforme que la CGEM appelle aussi de tous ses vœux, le seul regret relevé lors de cette conférence était qu’il n’y avait pas de syndicaliste parmi les panélistes. Du coup, le point de vue du salarié, qui était pourtant au cœur de la thématique, n’a pas été entendu. Abdelghani Youmni s’en explique : «nous avons volontairement fait le choix de ne pas inviter de représentant des salariés, parce que notre but était de rester dans une démarche plutôt académique, didactique. D’ailleurs, comme vous l’avez constaté, l’audience était majoritairement composée d’étudiants».