«La sidérurgie est un secteur stratégique auquel nous tenons. Nous serons à vos côtés, sans relâche». Ces paroles déterminées, à l’attention des sidérurgistes marocains émanent de Moulay Hafid Elalamy, ministre de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie numérique. Il s’exprimait en ouverture du séminaire stratégique «Steel Impulse», un véhicule de réflexion et de sensibilisation développé par l’Association des sidérurgistes au Maroc (ASM), dans le but d’accompagner la filière.
Les mots forts et sans ambiguïtés du ministre ont eu l’effet escompté. Les professionnels du secteur sont ravis, soulagés même. «C’est un discours extrêmement rassurant», confie, en marge du séminaire, un influent opérateur.
Ce qui apaise tant les membres de l’ASM, c’est que le ministère se dit prêt à prolonger les mesures de sauvegarde et d’antidumping, mises en place depuis 2013, et qui arrivent à leur terme en 2018 et 2019, si la situation internationale l’oblige. «Si les concurrents internationaux continuent à faire du dumping et à agresser nos fleurons, ils trouveront l’Etat marocain face à eux», prévient ainsi MHE. Voilà qui est clair.
«Pas l’idiot du village»…
Il faut dire que le marché mondial de l’acier est depuis quelques années extrêmement chahuté du fait de sa surcapacité. Les leaders mondiaux, notamment l’ogre chinois, mettent une pression monstre sur leurs concurrents. Dans un marché où la demande s’est fortement contractée depuis 2008, certains opérateurs vendent à perte leur excédent pour gagner des parts de marché. La baisse des prix a fait mal à beaucoup d’entreprises, plusieurs d’entres elles ont dû déposer le bilan.
Pour le ministère, il n’est pas concevable de mettre en péril un secteur transversal à beaucoup d’autres industries (aéronautique, automobile, énergies renouvelables, etc.). La sidérurgie a réalisé en 2016 un chiffre d’affaires de 10 milliards de DH pour une valeur ajoutée de 1,1 Md de DH. Le secteur emploie 5.000 personnes directement (12.000 indirectement) et a mobilisé des investissements de 15 milliards de DH. Il ne faut pas se laisser faire, quitte à se faire des ennemis, en mettant en place des mesures antidumping et de sauvegarde totalement justifiées.
«A mon arrivée au ministère, on m’a attaqué de toutes parts, accusant le Maroc d’être un pays protectionniste. Vous n’êtes pas sans savoir que c’est un secteur où il y a des lobbies très forts. On a essayé de nous intimider. Mais nous avons démontré que le dumping était avéré», raconte le ministre. Le Maroc n’est pas un pays protectionniste, tient-il néanmoins à préciser. «Si les entreprises sont mauvaises, pas compétitives, je ne peux rien faire pour elles. Mais si elles sont agressées, nous les défendrons. Nous respectons les règles de l’OMC. Mais être un bon élève ne signifie pas être l’idiot du village», martèle MHE.
Avec le recul, le Maroc a été bien inspiré de protéger son industrie menacée. Car, ces mesures, couplées à une profonde restructuration des entreprises du secteur et à la réduction des coûts de production, ont visiblement porté leurs fruits.
«Les comptes d’exploitation s’améliorent», souligne le ministre et pour 2020, les perspectives sont bonnes. «Aujourd’hui, on note un balbutiement favorable, avec une hausse de la demande en Europe, aux Etats-Unis, et en Inde. Le marché reprend des couleurs», explique-t-il.
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Les leviers de compétitivité
Un constat étayé par Amine Louali, Directeur général délégué de Maghreb Steel et président de l’ASM. «Sur le marché mondial, on revient sur des choses plus raisonnables. On espère une répercussion positive sur l’équilibre entre l’offre et la demande», indique-t-il.
Au niveau national, le marché marocain recèle encore un fort potentiel. La consommation annuelle d’acier dans le Royaume n’excède pas 50 kg d’acier par habitant. En Afrique du Nord, cette moyenne est de 100 kg. Ell est de 400 kg en Turquie.
Des leviers de compétitivité ont par ailleurs été identifiés par les professionnels à travers une enquête menée par Steel Impulse. Il s’agit notamment de mettre en place une gestion moderne de la fonction logistique (création d’une zone logistique dédiée, d’une centrale d’achat), de se diversifier (se rapprocher des industries automobiles et aéronautiques), ou encore de se tourner davantage vers l’international (création d’un Groupement d’intérêt économique dédié à l’international).
Deux autres opportunités se présentent par ailleurs pour le secteur : d’une part, la loi 13-09 sur la libéralisation de l’énergie et l’autoproduction qui doit permettre de réaliser des économies importantes sur les coûts énergétiques, l’un des principaux postes de dépenses pour les industriels, et d’autre part, l’adhésion prochaine du Maroc à la CEDEAO. Cette intégration devrait ouvrir des perspectives nouvelles selon les sidérurgistes marocains. « Nous serons l’un des seuls producteurs de la région», fait savoir A. Louali. De quoi entrevoir l’avenir un peu plus sereinement, après une période particulièrement critique. ■
Amine Elkadiri