◆ Risque de voir émerger de plus en plus de salariés sans contrats de travail ou même sans acquis sociaux.
◆ Les difficultés financières des entreprises et le manque de visibilité favoriseraient l’appel aux travailleurs indépendants.
Par B. Chaou
L’économie mondiale vit actuellement sa pire récession et les gouvernements tentent tant bien que mal de réagir afin de limiter les coûts sociaux et économiques de la crise de l’emploi qui en découle. Au Maroc, les indicateurs du marché de travail sont tous dans le rouge.
Les récents chiffres publiés par le haut-commissariat au Plan (HCP) en attestent, avec une augmentation du nombre de sans-emploi de 368.000 personnes entre le troisième trimestre de 2019 et celui de 2020, pour un total qui passe de 1.114.000 à 1.492.000 chômeurs (+33%). De ce fait, le taux de chômage au Maroc est aujourd’hui aux alentours de 12,7%.
Cette crise de l’emploi est clairement ressentie du côté des professionnels du marché de travail. «Au début de la crise, nous ne l’avons pas sentie tout de suite parce qu’il y avait des aides. Mais dès que celles-ci ont étés retirées, les entreprises ont commencé à entamer des plans sociaux et des licenciements pour réduire les effectifs. Malheureusement, les chiffres du HCP sont là pour confirmer ce constat. Nous sentons aussi qu’il y a plus de candidats dispo-nibles sur le marché», explique Naïm Bentaleb, co-fondateur et Directeur général d’Xpertize Africa, cabinet spécialisé en solutions RH.
Il est incontestable que les mesures prises jusqu’ici par les autorités pour permettre aux entreprises de faire face à cette double crise économique et sanitaire n’ont pas pu préserver les emplois. Ce qui était prévisible, surtout dans des secteurs qui étaient complètement à l’arrêt, à l’image du tourisme.
Risque sur la qualité de travail
Les fortes vagues de licenciements qu’a connues le marché de l’emploi national, en plus de ses différents problèmes structuraux révélés par la crise ne sont pas de bon augure pour le futur de l’employabilité au Maroc. Et ce, dans la mesure où les craintes aujourd’hui ne concernent pas uniquement la destruction des postes, mais aussi la qualité de travail.
Autrement dit, on pourrait voir émerger de plus en plus de salariés sans contrat ou même sans acquis sociaux. «C’est quand même important de donner aux gens un contrat de travail, une couverture médicale et d’autres acquis sociaux. C’est aussi comme cela que l’on développe son entreprise… Mais effectivement, il y a un risque d’une certaine ubérisation du travail dans le sens où certaines entreprises iraient plus vers les autoentrepreneurs et les freelances par exemple».
Justement, souffrant pour la majorité d’entre elles de crises de liquidités, et n’ayant aucune visibilité sur l’avenir économique, plusieurs entreprises préfèrent ne pas recruter et font appel à des services en freelance. Ce qui serait en faveur des travailleurs indépendants, mais détériorerait la qualité de l’emploi au Maroc. Il devient ainsi crucial de mener des politiques sociales adaptées afin d’atténuer la recrudescence du chômage, et d’aider les personnes ayant perdu leur emploi à se réinsérer dans de bonnes conditions.
Cette hausse du taux de chômage constitue pour le Royaume un test critique à affronter pour améliorer davantage la qualité de l’employabilité, qui passerait par un nouveau cadre juridique plus adapté au contexte actuel favorisant et encadrant de nouvelles pratiques comme le travail partiel par exemple. A ce titre, pour relancer l’employabilité, Bentaleb estime qu’«il faudrait trouver des moyens afin de relancer la commande pu-blique. Peut-être via de l’endettement qui ne servirait pas qu’à couvrir les dépenses d’Etat, mais qui favoriserait l’investissement public pour des projets à long terme et structurants».
«Cela doit ensuite inciter l’Etat à faire appel à des entreprises nationales, surtout celles qui s’engageraient dans une optique de recrutement. Ce qui doit être basé sur la confiance vis-à-vis des entrepreneurs marocains et leurs capacités à mener à bien un projet. Ils sont aujourd’hui bien outillés pour cela et disposent des moyens nécessaires», conclut-il.