Flambée de l’or : conjoncture passagère ou signe d’un déséquilibre global ?

Flambée de l’or : conjoncture passagère ou signe d’un déséquilibre global ?

La hausse spectaculaire du prix de l’or secoue le marché mondial et relance le débat sur les véritables causes de cette envolée. Au Maroc, l’or 18 carats frôle désormais les 950 dirhams le gramme, un niveau jamais atteint. Entretien avec Mohamed Benchekroun, expert en économie et professeur de management.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo: Le prix de l’or atteint des niveaux record à l’échelle mondiale. Cette flambée est-elle conjoncturelle ou reflète-t-elle des tensions plus profondes dans l’économie mondiale ?

Mohamed Benchekroun : La hausse spectaculaire du prix de l’or s’explique par une combinaison de facteurs conjoncturels et structurels. À court terme, nous assistons à un phénomène lié aux anticipations monétaires. Ainsi, dans un contexte où les grandes Banques centrales s’orientent vers des baisses de taux, l’or devient mécaniquement plus attractif, car son coût d’opportunité diminue. Mais au-delà de cet effet conjoncturel, des dynamiques de fond viennent nourrir la tendance. Parmi elles, les achats massifs d’or par les Banques centrales, qui cherchent à diversifier leurs réserves face aux incertitudes géopolitiques et à l’instabilité monétaire. Cela traduit une forme de méfiance structurelle vis-àvis du système monétaire international dominé par le Dollar. On peut donc dire que cette flambée est à la fois le produit d’un contexte monétaire particulier et le reflet de déséquilibres plus profonds dans l’économie mondiale.

 

F. N. H. : Quels sont les principaux facteurs qui alimentent cette hausse significative ?

M. B. : On peut distinguer trois grandes familles de facteurs qui expliquent cette envolée. En premier lieu, les facteurs économiques et monétaires jouent un rôle important. En effet, la baisse des rendements obligataires dans les économies développées réduit l’attrait des placements traditionnels et pousse les investisseurs vers l’or. Par ailleurs, la crainte d’une résurgence de l’inflation incite à privilégier ce métal, perçu comme un rempart contre l’érosion monétaire. Ensuite, viennent les facteurs institutionnels. Notamment, les Banques centrales, en particulier dans les pays émergents comme la Chine, l’Inde ou la Turquie, renforcent leurs réserves en or pour se protéger de la volatilité des devises et limiter leur dépendance au Dollar. Ces achats structurent durablement la demande et contribuent à raréfier l’offre disponible sur les marchés. Enfin, il y a les facteurs géopolitiques. Les tensions persistantes, qu’il s’agisse de conflits régionaux, de rivalités commerciales ou de sanctions économiques, renforcent l’incertitude. Dans ce contexte, l’or est recherché comme valeur refuge par les investisseurs institutionnels et particuliers. La conjonction de ces trois dynamiques crée ainsi une pression haussière qui dépasse la simple logique spéculative de court terme.

 

F. N. H. : Dans quelle mesure cette hausse des cours internationaux se répercute-t-elle directement sur le marché marocain ? Le Maroc est-il particulièrement vulnérable à ces fluctuations ?

M. B. : Le Maroc n’est pas producteur d’or et dépend donc entièrement des importations pour alimenter son marché local. Cela signifie que toute variation du prix international se répercute quasi automatiquement sur les prix pratiqués dans le Royaume, après conversion en dirhams. La vulnérabilité marocaine est double. D’une part, elle tient à la dépendance vis-à-vis du marché mondial. D’autre part, elle réside dans la structure interne du marché, qui reste fragmentée, marquée par une forte présence informelle et par une traçabilité encore incomplète des flux. Cette configuration amplifie les chocs. En effet, quand les prix internationaux augmentent, la hausse se transmet de manière souvent disproportionnée au consommateur marocain. En somme, l’absence de mécanismes de régulation et la prépondérance de l’informel accentuent la sensibilité du marché marocain aux fluctuations mondiales.

 

F. N. H. : Comment expliquez-vous que cette flambée coïncide avec des soupçons de spéculation sur le marché local? Le manque de transparence peutil réellement aggraver l’impact pour le consommateur marocain ?

M. B. : En effet, un marché peu transparent favorise mécaniquement les comportements spéculatifs. Lorsqu’il n’existe pas de prix de référence officiel et actualisé, les intermédiaires disposent d’une marge de manœuvre pour fixer des prix qui ne reflètent pas fidèlement l’évolution internationale. Dans un tel contexte, les rumeurs, la rareté perçue ou même la rétention volontaire de stocks peuvent suffire à alimenter une hausse artificielle des prix. Pour le consommateur, cela se traduit par un surcoût injustifié et une perte de confiance. De plus, le caractère informel d’une partie importante du commerce de l’or au Maroc empêche l’État de suivre avec précision les volumes et les transactions, ce qui rend la régulation plus difficile. L’absence de transparence est donc un facteur aggravant qui peut transformer une hausse mondiale inévitable en une flambée locale disproportionnée.

 

F. N. H. : L’or est souvent perçu comme une valeur refuge, notamment en période d’inflation. Avec la hausse actuelle, ne risque-t-il pas de devenir un actif réservé à une certaine élite ?

M. B. : C’est une question centrale. Historiquement, l’or a toujours été un moyen d’épargne accessible, même pour les ménages modestes, à travers la bijouterie ou de petites unités d’investissement. Mais avec la flambée actuelle, la quantité d’or que peut acquérir une famille de la classe moyenne se réduit considérablement. Pour donner un ordre d’idées, l’or 18 carats se négocie aujourd’hui entre 900 et 950 dirhams le gramme au Maroc, alors qu’il valait moins de 500 dirhams il y a quelques années à peine. Cela pose le risque que l’or devienne un actif de plus en plus élitiste, réservé à ceux qui ont une capacité d’épargne importante. Toutefois, ce risque peut être atténué si le marché propose des produits adaptés. Par exemple, des lingotins de quelques grammes, des bijoux d’investissement standardisés ou même des produits financiers adossés à l’or permettent d’investir de petites sommes. L’enjeu est de maintenir l’accessibilité de l’or comme valeur refuge démocratique, et non pas de le laisser devenir un instrument exclusivement réservé aux grandes fortunes.

 

F. N. H. : Quelles mesures pourraient être mises en place pour réguler le marché marocain de l’or et protéger à la fois les consommateurs et les petits acteurs du secteur ?

M. B. : Plusieurs pistes concrètes peuvent être envisagées, à savoir :

• Transparence et prix de référence : la publication quotidienne d’un cours officiel de l’or en dirhams permettrait aux consommateurs de comparer et de limiter les abus.

• Traçabilité et formalisation : instaurer un système de certification et d’étiquetage des produits, afin de lutter contre la contrebande et la contrefaçon. Cela protégerait le consommateur tout en renforçant la confiance dans la filière.

• Encadrement des pratiques commerciales : fixer des normes sur l’information donnée aux clients (poids, carats, marges appliquées) et imposer des sanctions en cas de pratiques trompeuses.

• Protection des petits acteurs : accompagner les bijoutiers et artisans en facilitant leur accès à l’or via des canaux officiels, en leur offrant des formations sur la gestion des risques et en encourageant leur intégration dans des coopératives ou associations professionnelles.

• Innovation financière : développer des produits d’épargne-or accessibles en petites coupures pour éviter que l’or ne devienne inaccessible aux classes moyennes.

• Concertation public-privé : mettre en place un cadre institutionnel de dialogue réunissant les autorités, les fédérations professionnelles et les associations de consommateurs pour assurer un suivi régulier du marché.

En combinant ces mesures, le Maroc pourrait réduire la spéculation, protéger les consommateurs, renforcer la transparence et moderniser une filière qui reste essentielle à la fois économiquement et culturellement. 

 

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