Autoproduction électrique : décentraliser pour mieux économiser

Autoproduction électrique : décentraliser pour mieux économiser

L’autoproduction électrique au Maroc reste un enjeu central pour la compétitivité et la transition énergétique.

 

Par Désy M.

Alors que le Maroc ambitionne de réduire sa dépendance énergétique et de protéger ses ménages et ses industries face à la volatilité des prix de l’électricité, l’autoproduction électrique, notamment via le photovoltaïque se dessine comme un levier stratégique. Elle devrait permettre aux particuliers, PME et industriels de produire une partie de leur propre énergie, avec des retombées positives sur la facture et la compétitivité.

Mais si le cadre réglementaire progresse, il reste marqué par des contradictions qui freinent encore le décollage du secteur. Promulguée en février 2023, la loi 82-21 devait poser les bases d’une production décentralisée. Plus d’un an et demi plus tard, son application reste partielle, faute de décrets d’application. Cette situation a conduit le Conseil de la concurrence à tirer la sonnette d’alarme, affirmant que le Maroc dispose d’un levier efficace pour réduire ses coûts de production électrique, mais celui-ci est largement sous-exploité.

En effet, selon ses estimations, l’essor de l’autoconsommation, couplé à une meilleure régulation du marché, pourrait faire baisser le prix moyen du kilowattheure (Kw/h) de 0,9 à 0,6 dirham. Conscient du potentiel énorme que peut garantir la décentralisation du secteur de la production électrique, le ministère de la Transition énergétique et du Développement durable avait annoncé en juillet dernier l’imminente publication de quatre décrets d’application inhérents à cette loi. Ajoutant qu’ils seraient déjà sur «la table du secrétariat général du gouvernement pour finalisation et éventuellement promulgation».

L’ensemble de ces textes vise à clarifier les modalités techniques et administratives de l’autoproduction (installation, raccordement, stockage, écrêtement et revente des excédents), ainsi qu’à imposer des compteurs intelligents et des certificats d’origine garantissant la traçabilité de l’énergie produite. En publiant ces textes, entreprises, ménages et industriels pourront produire, stocker et vendre leur propre électricité. L’un des décrets prévoit l’abaissement du seuil de 20 MW à 5 MW pour les installations industrielles, ce qui représenterait une aubaine pour les acteurs du secteur.

«En abaissant le seuil à 5 MW, de nombreuses PME industrielles peuvent désormais produire une partie de leur électricité. Cela se traduira directement par une baisse de la facture, et donc par une meilleure compétitivité, dans un contexte où l’énergie pèse lourd dans les charges», souligne Anas El Bouyousfi, PDG d’Isolbox, spécialiste de l’efficacité énergétique. De plus, le cadre clarifie aussi la production pour les particuliers, ouvrant la voie à un recours plus massif au solaire domestique. En effet, plus de 50.000 installations existent déjà dans le secteur agricole, mais restaient sous-exploitées en raison d’un manque de régulation favorable.

El Bouyousfi ajoute que «pour un foyer, quelques kilowatts de panneaux photovoltaïques suffisent à couvrir une partie importante de la consommation de jour, avec à la clé une baisse sensible de la facture. Pour les petites entreprises, qui consomment surtout en journée, le bénéfice est encore plus marqué  : celui de transformer une charge incompressible en une économie récurrente». Au-delà de la baisse immédiate des coûts, le patron d’Isolbox insiste sur un autre atout : «La baisse continue des coûts des équipements accélérera l’amortissement des installations, tandis que l’autoproduction offrira une véritable protection contre la hausse future des tarifs».

Pallier l’envers du décor

Il est évident que cette réforme, attendue depuis plusieurs années, pourrait bouleverser le paysage énergétique national et contribuer à alléger une facture électrique parmi les plus lourdes de la région. Encore faut-il que certains goulots d’étranglement soient ôtés et que les ambitions annoncées répondent réellement aux défis des auto producteurs.

Pour Saïd Guemra, expert en énergie, la loi en elle-même contient des failles structurelles. «Contrairement à plusieurs pays, cette loi ne rémunère que 20% de l’énergie produite par l’utilisateur. Or, dans le cas des ménages, voire même de certaines industries, et en raison du décalage entre la production du jour et la consommation du soir, le besoin d’injection peut atteindre jusqu’à 60% de l’électricité produite. Si le distributeur ne rémunère son client qu’à hauteur de 20%, un pourcentage pouvant atteindre 40% peut être perdu par l’auto producteur au profit du distributeur», explique-t-il.

De plus, le coût initial élevé des installations photovoltaïques et de stockage, bien que réduit par les incitations fiscales, constitue un obstacle financier important pour les ménages modestes. Par ailleurs, des limites techniques s’ajoutent aux contraintes financières. Pour l’expert, le fait de plafonner la limite de la puissance à 11 kW pour les ménages, seuil minimal de 5 MW en moyenne tension, exclut la majorité des industries, surtout en milieu rural. Et un «arrêté des enveloppes» qui limite la part de l’autoproduction à moins de 2% de la production nationale réduit son impact, alerte Guemra.

Que faut-il faire alors ?

Pour tirer profit de ce secteur, le Conseil de la concurrence préconise de favoriser massivement l’autoproduction domestique, notamment la basse tension pour rendre les consommateurs «producteurs» d’électricité verte.

Et pour se faire, il recommande de rendre le marché de l’électricité plus ouvert et plus efficace en simplifiant les procédures administratives, en assouplissant les plafonds de revente et en renforçant les infrastructures de stockage. Le Conseil appelle à développer une filière nationale de batteries et à intégrer les véhicules électriques comme outil de flexibilité énergétique. Et enfin de créer une véritable filière nationale autour de ce secteur.

«Si le Maroc développe un tissu industriel local dans le solaire (fabrication de composants, solutions de stockage, services de maintenance), le coût des installations diminuera mécaniquement. Cela réduira notre dépendance aux importations, stabilisera les prix de l’électricité et offrira plus de flexibilité au réseau», conclut El Bouyousfi. 

 

 

 

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