◆ Plusieurs données objectives montrent les limites des différentes stratégies nationales mises en place au cours des dernières années afin de doper les exportations marocaines.
◆ 5% des exportateurs réalisent les quatre-cinquièmes des exportations totales du Royaume (77%).
◆ Hassan Sentissi, président de l’Association marocaine des exportateurs, et Abdellatif Maâzouz, ancien ministre du Commerce extérieur et membre actif de l’Istiqlal, livrent leurs appréciations sur bon nombre de dysfonctionnements de nature à brider les exportations nationales.
Par M. Diao
Les raisons tangibles pour le Maroc de mettre en place des politiques publiques efficaces afin de booster de façon marquée les exportations nationales sont nombreuses. Le pays, résolument tourné vers la substitution d’une partie des importations par la production locale, est obligé de remédier au caractère structurel du déficit de sa balance commerciale.
Les chiffres mis en relief dans le budget économique exploratoire 2021 montrent que le déficit commercial, qui a culminé, en 2019, à 18,2% du PIB, devrait se situer à 16,3% du PIB en 2020 et 16,9% du PIB en 2021. Abdellatif Maâzouz, ancien ministre du Commerce extérieur et membre actif du parti de l’Istiqlal, est formel.
«L’un des moyens efficaces à court et moyen terme permettant de remédier au déficit commercial de notre pays est le développement des exportations. D’autant plus que, pour l’heure, il existe plusieurs importations incompressibles, relatives, entre autres, aux hydrocarbures et aux biens d’équipements non fabriqués localement». Au cours des dernières décennies, force est de constater que les pouvoirs publics ont mis en place plusieurs stratégies ou politiques visant notamment le renforcement des parts de marché des exportations marocaines, la diversification de l’offre exportable ainsi que l’accroissement du stock des entreprises exportatrices. Toujours est-il que l’on peut légitimement déduire du rapport de l’Institut marocain d’intelligence stratégique (IMIS) intitulé «Maroc 2020- 2030, la décennie de la montée en puissance», que les résultats des différentes stratégies mises en place afin de renforcer la puissance exportatrice du Maroc sont mitigés.
Le rapport, qui suggère le rééquilibrage de la compétitivité commerciale du Royaume, met en évidence le nombre réduit et stagnant d’exportateurs que compte le Maroc (entre 5.000 et 6.000). Sachant qu’un pays comme le Portugal, peuplé de 10 millions d’habitants, dénombrent 25.000 exportateurs. Le même document mentionne aussi qu’1% des exportateurs marocains, soit une cinquantaine de sociétés, réalise plus de la moitié (55%) du total des exportations. 5% des exportateurs réalisent les quatre-cinquièmes des exportations totales du pays (77%).
Interrogé sur ces chiffres qui interpellent, l’économiste et ancien ministre du Commerce extérieur, confie que «le plus grave est le nombre réduit d’acteurs à l’export en comparaison à celui des importateurs, 20 fois plus élevé».
Maâzouz fait également remarquer que la diversité des produits importés est plus importante que celle des articles marocains exportés. Hassan Sentissi, président de l’Association marocaine des exportateurs (Asmex), qui s’interroge sur la pertinence de la comparaison du stock des exportateurs marocains et portugais, concède tout de même que le Maroc ne pèse que 0,14% des exportations mondiales. Le pays ne vend ses produits qu’au tiers du monde. Il souligne dans le même temps la nécessité pour les exportateurs marocains d’investir le marché Halal qui pèse près de 2.800 milliards de dollars.
Le document de l’IMIS susmentionné ne manque pas de pointer du doigt le fait que sur le plan géographique, les exportations nationales sont concentrées dans des pays européens comme la France et l’Espagne. Or, ces marchés «matures» ont vu le taux de croissance de leurs importations baisser depuis la crise de 2008. La même source rappelle également que le Maroc a réussi à se positionner sur des marchés plus dynamiques comme le Brésil, mais sa performance à l’export reste en deçà de son potentiel sur les marchés tels que la Chine et l’Inde. Sur ce point, l’avis de Maâzouz, qui regrette l’absence d’une stratégie nationale relative à l’export, pilotée par un ministère à part entière et dédié au Commerce extérieur, est intéressant à plusieurs égards.
Le marché européen doit rester une priorité
«Il est clair que le Maroc se positionne de plus en plus sur les marchés émergents (Brésil, Inde) grâce aux exportations de phosphates qui sont particulières. Mais il ne faut pas oublier que nous faisons partie des chaînes de valeur de l’Europe», rappelle l’ancien ministre.
Et d’ajouter en substance : «Aujourd’hui, le contexte pandémique, qui va pousser les Européens à repositionner leurs sources d’approvisionnement dans des bastions plus proches, notamment le Maroc, montre qu’il existe encore une marge de progression des exportations nationales sur le Vieux continent».
Au regard des barrières logistiques existantes, Hassan Sentissi et Abdellatif Maâzouz émettent des réserves quant à la capacité des exportateurs marocains (hors secteur des phosphates) de s’imposer dans des marchés lointains (Inde, Brésil, Chine), qui abritent une forte concurrence. «Il faut donner la priorité aux marchés proches (Europe, Afrique) et bâtir une stratégie quick win», recommande l’istiqlalien. «Les trois marchés que sont l’Inde, le Brésil et la Chine sont à l’autre bout du monde. Sur le plan logistique, nos exportateurs ne sont pas suffisamment armés. Le Maroc ne dispose que de deux cargos pour le fret aérien au moment où l’Ethiopie en dénombre 40», analyse Hassan Sentissi, offusqué par la vente de la Comanav et la disparition de la flotte maritime nationale.
Le président de l’Asmex attire également l’attention sur le fait que beaucoup d’entreprises exportatrices sont généralement de petite ou moyenne taille, préférant parfois opérer sur le marché local à cause par exemple de la prégnance des difficultés d’ordre logistique.
L’intelligence des marchés, une variable cruciale
Outre le renforcement de la dimension recherche-innovation et la facilitation de l’emploi de compétences de haute valeur, le rapport de l’IMIS propose, entre autres, la modernisation du système incitatif de l’export en le basant sur des appuis en intelligence des marchés.
L’ancien ministre du Commerce extérieur est également favorable à la mise en place d’un tableau de bord de suivi de l’offre exportable marocaine et de la compétitivité à l’export via un système d’information performant. «Il est nécessaire que les pouvoirs publics veillent à la construction d’un SI performant permettant la construction de l’intelligence des marchés, mais pourvu que celle-ci soit exploitée par les exportateurs eux-mêmes», avance l’homme politique et économiste.
Pour sa part, Hassan Sentissi tire une énième sonnette d’alarme. «Les dernières Lois de Finances ne contiennent aucune disposition en faveur de l’export. Bien au contraire, les avantages dont bénéficiaient les exportateurs et qui doivent être considérés comme un soutien légitime et opportun, au regard de la centralité de l’export pour l’économie nationale, ont tout simplement été supprimés», assure-t-il.