Dakhla s’impose progressivement comme l’un des projets territoriaux les plus ambitieux du Royaume. Soutenue par des investissements publics et privés, la ville ambitionne, à l’horizon 2030-2035, de devenir un hub logistique et économique reliant le Maroc à l’Afrique atlantique.Entretien avec Khalid Kabbadj, économiste et expert en investissement et en gestion de patrimoine.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Dakhla évolue rapidement grâce aux investissements massifs et au futur plan urbain de la CDG prévu pour 2026. Quels effets concrets ces projets auront-ils sur l’économie locale et les opportunités pour les entreprises ?
Khalid Kabbadj : Dakhla est engagée dans une transformation stratégique de grande ampleur. Les investissements publics structurants, combinés à l’intérêt croissant d’investisseurs étrangers, positionnent la ville comme un futur pôle économique atlantique. Le plan urbain de la CDG apporte un cadre clair et sécurisé, tandis que le futur port de Dakhla, dont la mise en service est prévue pour janvier 2028, constitue un levier décisif. Il ouvrira des opportunités majeures pour les entreprises dans le transport maritime, la logistique internationale, l’industrie portuaire et les activités liées à la pêche et à la transformation des produits de la mer.
F. N. H. : La ville est encore considérée comme «vierge» sur le plan urbain et économique. Quels sont les principaux atouts à valoriser et les erreurs à éviter pour réussir cette transformation ?
Kh. K. : Le caractère encore vierge de Dakhla constitue un avantage stratégique exceptionnel, à condition d’être exploité avec méthode et vision. L’atout majeur réside dans la possibilité de concevoir une ville nouvelle durable dès l’origine, sans subir les erreurs structurelles des grandes métropoles. Dakhla bénéficie de conditions naturelles uniques, notamment un régime de vent quasi permanent, près de 300 jours par an, qui offre un potentiel considérable pour l’énergie éolienne et pour une urbanisation sobre en carbone. Cet avantage climatique doit être intégré au cœur du projet urbain et économique, à savoir production d’énergie verte, alimentation des zones d’activités et du port, mobilité propre et bâtiments à haute performance énergétique. La durabilité n’est pas un supplément, elle doit constituer l’ADN de la ville. Il faut également valoriser l’espace, la qualité de vie, la proximité avec l’océan et la préservation des écosystèmes marins et désertiques. L’erreur à éviter serait de reproduire des modèles urbains classiques, énergivores et peu adaptés à l’environnement local. Une croissance rapide, non maîtrisée, déconnectée des capacités naturelles et sociales du territoire, compromettrait l’attractivité internationale de Dakhla. À l’inverse, une planification rigoureuse, fondée sur l’écologie, la transition énergétique et l’équilibre entre développement économique et environnemental, permettra à Dakhla de devenir un modèle de ville nouvelle durable et résiliente.
F. N. H. : À l’horizon 2030- 2035, Dakhla veut devenir une plateforme moderne et un hub logistique. Quels secteurs stratégiques sont prioritaires pour atteindre cet objectif ?
Kh. K. : Le positionnement de Dakhla comme hub logistique doit reposer sur une approche intégrée, à la fois économique, maritime et académique. Le premier pilier est naturellement la logistique portuaire et le transport maritime international, appuyés par le port de Dakhla. Celuici permettra de structurer des flux commerciaux entre l’Europe, l’Afrique de l’Ouest et l’Atlantique du Sud, en particulier vers des zones encore peu connectées. Mais au-delà des infrastructures, un secteur stratégique encore sousexploité est celui du savoir et de la formation. Dakhla a vocation à devenir un hub académique reliant le Maroc et l’Atlantique du Sud, dessinant ainsi un nouveau corridor stratégique atlantique. Ce corridor, aujourd’hui largement inexploité, peut favoriser les échanges universitaires, la recherche appliquée, l’innovation maritime, énergétique et logistique, ainsi que la formation de compétences adaptées aux besoins des économies atlantiques. À cela s’ajoutent les énergies renouvelables, l’hydrogène vert, l’économie maritime, la pêche et les industries de transformation halieutique. L’articulation entre infrastructures, production de savoir et innovation permettra à Dakhla de dépasser le simple rôle de plateforme de transit pour devenir un véritable centre de création de valeur et compétitif à l’échelle internationale.
F. N. H. : Comment les conventions stratégiques et les investissements privés contribueront-ils à positionner Dakhla comme un moteur économique pour l’ensemble des provinces du Sud ?
Kh. K. : Dakhla se positionne comme un hub technologique, durable et commercial grâce à des conventions stratégiques et des investissements privés majeurs dans le cloud, l’intelligence artificielle, les énergies renouvelables et la logistique portuaire. Le Green Data Center «Igoudar Dakhla» et l’Institut «Jazari» incarnent ce leadership technologique, formant une main-d’œuvre qualifiée dont les compétences se diffusent vers l’ensemble des provinces du Sud, créant une montée en compétences et d’innovation régionale. Le Port de Dakhla Atlantique dynamise les échanges commerciaux internationaux, intégrant la région dans des chaînes de valeur globales et stimulant l’économie locale et voisine. La stratégie énergétique fondée sur les renouvelables garantit autonomie et durabilité, avec un transfert des bonnes pratiques énergétiques vers les territoires voisins. L’attractivité internationale, portée par des investisseurs émiratis et américains, génère un afflux de capitaux et de savoir-faire qui irriguent toute la région. Ainsi, Dakhla ne se limite pas à son développement urbain, mais devient un moteur économique régional, renvoyant un effet boomerang positif et évolutif vers l’ensemble des provinces du Sud, impulsant un développement harmonieux sur l’ensemble du Royaume.
F. N. H. : La transition énergétique et le potentiel maritime constituent des leviers majeurs pour Dakhla. Comment ces atouts peuvent-ils être exploités pour soutenir une économie solide et compétitive ?
Kh. K. : La transition énergétique et le potentiel maritime offrent à Dakhla une opportunité stratégique pour bâtir une économie résiliente et compétitive. D’une part, la transition énergétique peut s’appuyer sur des ressources naturelles exceptionnelles, notamment le vent et l’ensoleillement. Le développement des énergies renouvelables (éolien, solaire, hydrogène vert) permettrait de sécuriser l’approvisionnement énergétique, de réduire les coûts pour les entreprises et d’attirer des investissements industriels à forte valeur ajoutée. Cette dynamique favoriserait également la création d’emplois qualifiés et le positionnement de Dakhla comme pôle régional de l’énergie propre. D’autre part, le potentiel maritime constitue un moteur économique majeur. La pêche et l’aquaculture peuvent être renforcées par une transformation locale des produits, augmentant ainsi les exportations. Par ailleurs, le développement des activités portuaires, logistiques et du transport maritime renforcerait l’intégration de Dakhla dans les chaînes commerciales régionales et internationales. Le tourisme nautique et écologique représente également un levier important de diversification économique. La convergence entre transition énergétique et économie maritime est enfin un facteur clé de compétitivité. L’utilisation d’énergies propres pour les activités portuaires, industrielles et touristiques renforcerait l’attractivité du territoire, tout en répondant aux exigences environnementales internationales.
F. N. H. : Quel rôle l’innovation et les technologies numériques peuvent-elles jouer dans la structuration et la modernisation de Dakhla à l’horizon 2030-2035 ?
Kh. K. : L’innovation et les technologies numériques, en particulier l’intelligence artificielle, peuvent jouer un rôle structurant dans la modernisation de Dakhla à l’horizon 2030-2035. En premier lieu, le numérique constitue un levier majeur d’amélioration de la gouvernance territoriale. Les solutions basées sur l’IA permettent d’optimiser la planification urbaine, la gestion des infrastructures, de l’eau et de l’énergie, ainsi que la mobilité. Une ville intelligente, appuyée sur la donnée, renforcerait l’efficacité des services publics et la qualité de vie des habitants. Par ailleurs, l’innovation technologique peut accélérer la compétitivité économique. Dans les secteurs clés de Dakhla comme la pêche, l’aquaculture, la logistique portuaire, les énergies renouvelables et le tourisme, l’IA permet d’optimiser la production, la traçabilité, la maintenance prédictive et la gestion des flux. Le numérique favorise également l’émergence de start-up locales et l’attraction d’entreprises innovantes, créant ainsi des emplois qualifiés et durables. Les technologies numériques jouent aussi un rôle essentiel dans l’inclusion et le développement des compétences. Le déploiement de plateformes de formation, de téléenseignement et de services dématérialisés facilite l’accès au savoir, à l’emploi et à l’entrepreneuriat, notamment pour les jeunes. Cela contribue à ancrer les talents sur le territoire et à limiter l’exode des compétences. L’innovation et l’IA renforcent le positionnement stratégique de Dakhla à l’échelle régionale et internationale. En devenant un pôle d’expérimentation et d’innovation en Afrique atlantique, la ville peut attirer des partenariats, des investissements technologiques et des projets à forte valeur ajoutée. À l’horizon 2030-2035, le numérique et l’IA peuvent ainsi constituer des piliers essentiels d’un développement moderne et durable pour Dakhla.
F. N. H. : Quel impact ces transformations auront-elles sur la qualité de vie des habitants et sur le développement social de Dakhla ?
Kh. K. : Les transformations économiques, énergétiques et technologiques engagées à Dakhla auront un impact profond sur la qualité de vie des habitants ainsi que sur le développement social du territoire. En premier lieu, l’amélioration des infrastructures et des services publics renforcera le bien-être quotidien. La modernisation des réseaux de transport, d’énergie, d’eau et de connectivité numérique facilitera l’accès aux services essentiels, réduira les inégalités territoriales et rendra la ville plus fonctionnelle et attractive. Une meilleure planification urbaine contribuera également à un cadre de vie plus sain et plus sécurisé. Sur le plan social, le développement de nouvelles filières économiques créera des emplois diversifiés et qualifiés, notamment pour les jeunes. L’essor des énergies renouvelables, de l’économie maritime, du numérique et de l’innovation favorisera l’insertion professionnelle, la montée en compétences et la stabilisation des populations locales. Cette dynamique renforcera le pouvoir d’achat et la cohésion sociale. Par ailleurs, l’accès élargi à la formation, à l’éducation et aux services numériques jouera un rôle déterminant dans le développement humain. Les outils technologiques faciliteront l’apprentissage, la formation continue et l’accès à l’information, contribuant ainsi à une société plus inclusive et mieux préparée aux évolutions économiques. Enfin, ces transformations auront un impact positif sur l’environnement et la santé. Le recours aux énergies propres, une gestion plus durable des ressources et la valorisation des espaces naturels amélioreront la qualité de l’air, la préservation des écosystèmes et l’attractivité du territoire. À terme, Dakhla pourra ainsi offrir un modèle de développement équilibré, conciliant croissance économique, progrès social et qualité de vie durable pour ses habitants. C’est à cette condition que Dakhla ne se contentera pas de se développer, mais s’imposera comme une référence d’avenir : une ville nouvelle et inclusive, où l’ambition économique se conjugue avec le progrès social et la qualité de vie.