Investissement: la nouvelle charte est «innovante, mais reste encore inachevée»

Investissement: la nouvelle charte est «innovante, mais reste encore inachevée»

Les investisseurs ont désormais une visibilité plus large grâce au 1er décret d’application de la loi-cadre portant charte de l’investissement, dévoilée fin janvier.

Entretien avec Me Nesrine Roudane, avocate au barreau de Casablanca, présidente de la commission startup et capital risque de l’Union internationale des avocats (UIA), et associée responsable Roudane Law Firm, en collaboration avec Al Tamimi & Co.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : Quels sont les principaux objectifs de la loi-cadre n° 03-22 formant charte de l’investissement ? En quoi constitue-t-elle une rupture par rapport à celle de 1995 ?

Me Nesrine Roudane : La loi-cadre n° 03-22 du 9 décembre 2022 formant charte de l’investissement a été publiée au Bulletin officiel n°7151 du 12 décembre 2022 (la Charte d’Investissement). Elle vise à soutenir les projets d'investissement répondant à des critères définis, à réduire les disparités entre les provinces et les préfectures du Royaume en matière d’attraction des investissements et à développer l’investissement dans les secteurs d’activité prioritaires. La nouvelle charte de l’investissement est composée de 42 articles et elle fixe neuf objectifs fondamentaux de l’État pour le développement et l’encouragement des investissements, à savoir :

• La création de postes d’emploi stables; • la réduction des disparités entre les provinces et les préfectures du Royaume en matière d’attraction des investissements; • l’orientation des investissements vers les activités prioritaires et les métiers d’avenir; • le renforcement de l’attractivité du Royaume dans l’objectif d’en faire un pôle régional et international d’investissements directs étrangers (IDE); • l’encouragement des exportations et de l’implantation des entreprises marocaines au niveau international; • l’encouragement de la substitution des importations par la production locale; • la réalisation des objectifs de développement durable; • l’amélioration du climat des affaires; • et l’accroissement de la contribution de l’investissement privé national et international.

La charte de l’investissement, depuis son entrée en vigueur, a abrogé la loi cadre n°18-95 du 8 novembre 1995 formant charte de l’investissement. Néanmoins, ses textes d’application sont restés en vigueur jusqu’à leur abrogation et leur remplacement par les textes d’application de la nouvelle charte de l’investissement, sachant que l’Etat s’est engagé à publier les textes d’application de la loi-cadre 03-22 conformément à un calen drier précis. La charte de l’investissement veut rompre avec la précédente qui visait essentiellement à soulager la pression fiscale, et se veut plus stratégique à travers un cadre transparent et intelligible à l’investisseur structuré autour de trois axes :

• Quatre dispositifs de soutien à l’investissement en instaurant un système de soutien complet à travers 4 dispositifs; • Amélioration du climat des affaires en prévoyant 7 chantiers prioritaires (Simplification des procédures et déconcentration administrative - Facilitation de l’accès au foncier - Renforcement de la compétitivité logistique - Facilitation de l’accès à l’énergie verte - Mise en place d’offres de formation adaptées - Promotion des activités de R&D et d’accès aux nouvelles technologies - Diversification des modes de financement). • Gouvernance unifiée autour du Chef du gouvernement et territorialisée de l’investissement (Département dédié à l’investissement – CRI guichets uniques – Commission nationale de l’investissement). Cette charte de l’investissement réforme «la politique de l’Etat en matière de développement et de promotion de l’investissement, en vue de l’adapter aux exigences du nouveau modèle de développement et aux profondes mutations institutionnelles, économiques, sociales, environnementales et technologiques qui s’opèrent à l’échelle nationale et internationale.»

 

F.N.H. : Pouvez-vous nous parler des dispositifs de soutien compris dans la nouvelle charte de l’investissement ? 

Me N. R. : Afin d’ériger le Maroc en hub continental et international attractif pour les investissements, la nouvelle charte de l’investissement instaure un système de soutien complet à travers 4 dispositifs (dispositif principal et dispositifs spécifiques). Le dispositif principal vise à soutenir les projets d’investissement répondant à des critères définis, à réduire les disparités entre les provinces et les préfectures du Royaume en matière d’attraction des investissements et à développer l’investissement dans les secteurs d’activité prioritaires. S’agissant des dispositifs spécifiques, ils tendent à soutenir les projets d’investissement à caractère stratégique, les très petites, petites et moyennes entreprises et le développement des entreprises marocaines à l’international.

1. Dispositif principal consistant en des primes pouvant aller jusqu’à 30% du montant d’investissement comprenant :

• Cinq primes communes à l’investissement : Ratio emploi /Capex (de 5% à 10% de l’investissement éligible), approche genre (3%), emplois d’avenir et montée en gamme (3%), développement durable (3%) et intégration locale (3%); • Une prime additionnelle à l’investissement dite «prime territoriale» accordée aux projets d’investissement réalisés dans les provinces ou les préfectures par voie réglementaire : un bonus de 10% pour les investissements réalisés dans la catégorie A des provinces ou préfectures, et 15% pour ceux réalisés dans la catégorie B; • Une prime additionnelle à l’investissement dite «prime sectorielle», accordée aux projets d’investissement réalisés dans les secteurs d’activité prioritaires : un bonus de 5% de l’investissement éligible réalisé dans des secteurs prioritaires (tourisme, industrie, numérique, transport, outsourcing, logistique, industrie culturelle, aquaculture, énergies renouvelables et valorisation des déchets).

Peuvent bénéficier du dispositif de soutien principal ci-dessus les projets d’investissement dont le montant total ou le nombre d’emplois stables à créer sont égaux ou supérieurs aux seuils fixés par voie réglementaire. Ainsi, les deux critères d’éligibilité sont :

• soit exclusivement par le nombre d’emplois créés qui doit être supérieur à 150 emplois, sans exigence d’un seuil pour le montant d’investissement, • soit conjointement par le montant de l'investissement (≥ 50 millions de DH) et d’un nombre d’emplois créés situé entre 50 et 149.

2. Un dispositif spécifique pour les projets stratégiques. Dans ce cas, l’investissement en question doit justifier d’un montant supérieur ou égal à 2 milliards de DH et satisfaire à l’un des critères suivants : • Contribuer significativement à la sécurité hydrique, énergétique, alimentaire ou de santé du pays; • Contribuer au rayonnement économique du Maroc et à son positionnement à l’international; • Créer un nombre important d’emplois; • Impacter significativement le développement des écosystèmes industriels; • Contribuer significativement au développement des technologies;

3. Un dispositif spécifique visant à encourager le développement des entreprises marocaines à l’international, apportant des mesures pour renforcer le rayonnement économique du Maroc à travers le monde et soutenir notamment le rayonnement économique marocain en Afrique. 4. Un dispositif spécifique visant les très petites, petites et moyennes entreprises (TPME) afin de simplifier l’accès au financement avec des mesures d’accompagnement pour dynamiser une nouvelle génération d’entrepreneurs.

 

F.N.H. : Début mars, le chef du gouvernement a signé 3 arrêtés relatifs à la mise en œuvre du dispositif principal de soutien à l'investissement. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Me N. R. : Comme vous le savez, la charte de l’investissement a annoncé un calendrier précis pour la mise en place des textes d’application, pour justement éviter les déboires d’un agenda imprécis. Le 2 mars 2023, le chef du gouvernement a signé les trois arrêtés relatifs à la loi-cadre 03.22 formant charte de l’investissement pour compléter le dispositif de soutien principal et qui ont été publiés au Bulletin officiel du 13 mars 2023. Ces arrêtés apportent le détail des primes prévues par le dispositif principal de soutien tel que décrit ci-dessus. Le 1er arrêté concerne la mise en œuvre des dispositions de l'article 6 du décret 2-23-1 relatif à la mise en œuvre du dispositif de soutien principal à l’investissement et du dispositif de soutien spécifique applicable aux projets d’investissement à caractère stratégique adopté le 26 janvier 2023 (le Décret) en fixant le seuil. Sont ainsi éligibles aux primes prévues par le dispositif principal de soutien à l'investissement, les projets avec un investissement supérieur ou égal à 50 millions de dirhams et créant un nombre d'emplois situé entre un seuil ultérieurement fixé par arrêté du chef du gouvernement.

Cet arrêté fixe le seuil précité à 50 postes d'emploi stables. Le 2ème arrêté concerne les articles 1 et 7 du décret fixant le seuil minimum d’intégration locale prévu par le décret à 20% pour les projets d'investissement réalisés dans les secteurs de l'agro-industrie alimentaire, de l’industrie pharmaceutique et de l’industrie des dispositifs médicaux, et à 40% pour les projets d'investissement réalisés dans les autres activités industrielles. Le 3ème arrêté classifie les préfectures et provinces dans les deux catégories stipulées par l'article 8 du décret précité permettant aux projets d'investissement réalisés sur le territoire de ces préfectures et provinces, de bénéficier de primes territoriales à l'investissement équivalentes à 10% ou 15% du montant de l'investissement éligible à ces primes.

 

F.N.H. : En plus de ces arrêtés, la loi-cadre 03-22 formant charte de l’investissement dans son chapitre 6 (article 40) a défini un calendrier précis de mise en œuvre d’autres textes législatifs et réglementaires nécessaires à son application. Lesquels ? Et que devraient-ils apporter de plus ? 

Me N. R. : L’État s’est engagé à publier les textes pris pour l’application de la nouvelle loi-cadre formant charte de l’investissement dans les délais suivants : • Délai maximum de 3 mois pour les textes relatifs à la mise en œuvre du système de soutien de base et du système de soutien spécial appliqué aux projets d’investissement à caractère stratégique; • Délai maximum de 6 mois pour les textes relatifs à la mise en œuvre du système de soutien spécial axé sur l’encouragement de la présence des entreprises marocaines au niveau international; • Délai maximum de 12 mois pour la mise en œuvre du dispositif d’accompagnement spécifique dédié aux TPE et PME. Ces délais commencent à compter de la date de publication de la loi-cadre n°03-22 au Bulletin officiel, à savoir le 12 décembre 2022.

 

F.N.H. : Qui dit amélioration de l’arsenal législatif, dit promotion de l’investissement dans sa globalité. Qu’en est-il ? 

Me N. R. : Il est vrai que la dynamisation de l’investissement privé est au cœur de la stratégie de relance économique du Royaume qui repose sur les principes de bonne gouvernance, de sécurité juridique, d’égalité de traitement des investisseurs, quelle que soit leur nationalité, sur la liberté d’entreprendre ainsi que la libre concurrence et la transparence. Si les dispositifs de soutien à l’investissement sont au cœur de la politique de l’État en matière de développement et de promotion de l’investissement, il n’en demeure pas moins que des réformes parallèles doivent être poursuivies ou engagées en matière d’accès au financement, de renforcement de la compétitivité du secteur de la logistique, de recours aux énergies renouvelables, d’accès au foncier et de facilitation de l’acte d’investir.

La mise en œuvre de ces réformes parallèles auxquelles renvoie la charte de l’investissement contribuera, sans nul doute, à renforcer l’attractivité du Royaume et à accroître la part de l’investissement privé, national et international, dans le total des investissements réalisés qui demeurent fortement caractérisés par la prédominance de l’investissement public. Certes, les politiques publiques en matière de développement et de promotion de l’investissement sont définies par l’Etat. Leur déclinaison et mise en œuvre sont assurées, selon le cas, à l’échelle nationale ou territoriale, par les autorités gouvernementales compétentes en matière d’investissement, les établissements et entreprises publics concernés et la commission ministérielle, chacun en ce qui le concerne; les Centres régionaux d’investissement et les Commissions régionales unifiées d’investissement, chacun dans les limites de son ressort territorial.

Les régions jouent aussi un rôle essentiel et contribuent à la réalisation de ces objectifs dans le cadre des compétences qui leur sont dévolues en matière de soutien aux entreprises et d’attraction des investissements. Vu la multiplicité des intervenants, l’avenir nous dira si les actions de l’ensemble des intervenants en matière de développement, de promotion et d’attraction des investissements se sont exercées dans un cadre de cohérence, de convergence et de complémentarité. Moralité : la charte de l'investissement est innovante, mais reste encore inachevée. Ne dit-on pas que le diable se cache dans les détails… 

 

 

 

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