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La réforme universitaire Bachelor: gap entre les promesses et la réalité socioéconomique

La réforme universitaire Bachelor: gap entre les promesses et la réalité socioéconomique

Par Hicham El Bouanani, enseignant chercheur à l'université Hassan II de Casablanca, & Sara Elouadi, enseignante-chercheuse à l’université Hassan II de Casablanca.

 

L’enseignement est un facteur clé du développement économique des pays. Son objectif est de former les citoyens à prendre les bonnes décisions dans un environnement en perpétuel changement. Le rôle accru joué par les systèmes de formation dans le développement durable des nations justifie le recours permanent aux réformes instaurées par les Etats en vue d’adapter et d’améliorer le contenu et la qualité des programmes universitaires. A l’international, le degré d’attractivité des universités et établissements de formation est lié à la réputation de leurs diplômés sur le marché du travail et la renommée scientifique de leurs enseignants chercheurs.

La floraison des écoles et universités privées au Maroc est expliquée par plusieurs raisons : les établissements privés se targuent d’offrir un encadrement de meilleure qualité avec des classes à taille humaine, favorisant, ainsi, le développement des soft skills dont, notamment, les compétences linguistiques très prisées sur le marché du travail. Et grâce à leurs partenariats avec plusieurs établissements à l’étranger, ils proposent à leurs étudiants des programmes d’échange et une double diplômation. L’essor de l’enseignement privé au Maroc a été favorisé par l’encouragement du ministère de l’Education nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, qui a proposé aux acteurs privés des procédures d’accréditation et de reconnaissance.

Si l’accréditation signifie que l’établissement respecte les normes et les standards techniques et qualitatifs pour délivrer un diplôme, la reconnaissance constitue, en revanche, une ultime certification qui permet aux lauréats de l’établissement privé de participer aux concours du secteur public et poursuivre leurs études dans les établissements étatiques. La prolifération des établissements privés et le retard accusé par les organismes publics, notamment en matière de taux d’encadrement et d’ouverture à l’environnement économique, créent un phénomène de ségrégation sociale et engendrent une polarisation sur le marché du travail. En effet, les établissements privés attirent les classes les mieux nanties, tandis que leurs homologues publics à accès ouvert concentrent les couches sociales les plus défavorisées en masse.

Ce phénomène de massification dégrade la qualité de l’enseignement délivré par les organismes publics et accentue les inégalités sur le marché du travail. Faute d’investir dans l’amélioration du système public, le Royaume a pris le pari de la libéralisation de l’enseignement en ouvrant ainsi la porte aux acteurs privés marocains et étrangers. Le secteur a alors connu des mouvements de délocalisation de plusieurs Business School et universités étrangères et l’implantation de facultés de médecine et d’écoles d’ingénieurs privées. Le foisonnement de ces établissements, qui promettent monts et merveilles aux parents et étudiants, plombe davantage les inégalités sociales entre les lauréats du privé et du public.

Cette problématique rebute les familles et les pousse vers le privé, quitte à couvrir les frais de scolarité au moyen de crédits bancaires. Les défenseurs de la libéralisation de l’enseignement brandissent les résultats de l’expérience américaine. En effet, les EtatsUnis s’accaparent 17 des 20 premières universités selon le classement de Shanghai. Qu’en est-il des autres pays du monde et est-ce que la libéralisation rime-t-elle toujours avec l’excellence ? En empruntant le classement des Etatsprovidence de Gosta Esping-Andersen, Moulin (2014) met en avant l’existence de trois systèmes institutionnels en matière d’enseignement universitaire. Le régime social-démocrate, le régime libéral et le régime conservateur. Le régime social-démocrate existe dans les pays scandinaves, à savoir le Danemark, la Finlande, la Norvège et la Suède. Il se caractérise par l’absence de frais de scolarité et la mise en place de dispositifs d’aides directes aux étudiants, comme les bourses d’études et les allocations. Ce régime a permis le développement d’un enseignement hautement qualifié qui prône, notamment, l’autonomie et l’innovation.

Le régime libéral se caractérise par la «marchandisation» de l’enseignement. Les étudiants supportent les frais élevés de leurs études en ayant recours à l’endettement bancaire. Les principaux pays qui adoptent ce modèle sont les Etats-Unis, l’Angleterre, le Japon et la Nouvelle Zélande. Les études sont alors assimilées à un investissement financier qui sera rentabilisé après l’embauche. En dépit de l’efficacité de ce régime reflétée, notamment, par les classements des universités, ce modèle engendre un lourd endettement pour les étudiants et leurs familles et favorise ainsi le décrochage et le gap social. Le régime conservateur constitue une voie charnière entre les deux modèles précédents. Il propose aux étudiants un enseignement avec des frais inférieurs à ceux pratiqués par le régime libéral, mais n’accorde pas le même niveau d’aides que le modèle social-démocrate. Ce système est appliqué par quelques pays européens dont la France, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie.

Les classements et les statistiques affichent des résultats inférieurs aux deux modèles précédents. Au Maroc, la réforme globale actuelle de l’enseignement supérieur épouse les principes du modèle conservateur. Le projet promet des changements, a priori, à partir de la rentrée 2021, dans l’architecture pédagogique avec l’instauration d’un diplôme de Bachelor dans les établissements à accès ouvert. Déjà introduit par certaines écoles de commerce marocaines, dans le cadre de leurs formules de double diplômation, il s’agit d’un diplôme dispensé en trois années équivalent à la licence. Comme pour la licence, il est aussi accessible aux diplômés de BTS, DUT et DTS (OFPPT), avec des possibilités d’accès aux étudiants ayant validé le concours de sortie des classes préparatoires.

C’est la version déjà disponible au Maroc et dans une grande partie de l’Europe. La version anglo-saxonne «Bachelor of Business Administration» est dispensée en quatre ans. C’est justement ce que la réforme marocaine propose pour finir avec la licence fondamentale et professionnelle. Ce cycle d’études, instauré dans pas mal de grandes écoles de commerce, est porté sur une ouverture à l’international avec des programmes de mobilité et des programmes d’échange.

Le Bachelor promet aux diplômés un cycle de formation avec des connaissances théoriques et pratiques suffisantes pour démarrer une carrière professionnelle. Il permet, dans sa version théorique, de doter l’étudiant des compétences comportementales, à savoir la communication, les langues, l’innovation, le marketing de soi et les aptitudes professionnelles, comme le travail en équipe et la gestion de la crise. Il s’y rajoute à cela l’expérience professionnelle acquise grâce à l’intégration des stages et des formations en alternance. A ce titre, le projet Bachelor proposé au Maroc est une version anglo-saxonne avec quatre années, dont huit modules seront dédiés aux soft skills et trois à quatre modules aux langues. Cela donne un total de 11 à 12 modules expliquant le passage de trois années à quatre. Contrairement aux critiques, le projet Bachelor ne touche pas au volume horaire dédié aux modules de spécialité et outils.

En revanche, la proposition ne corrige pas les dysfonctionnements actuels de notre système pédagogique universitaire, sinon, il rajoute d’autres difficultés. A savoir, seulement un tiers du programme académique sera dispensé en présentiel, tandis que les deux tiers seront transmis, à distance, via les plateformes de e-learning. Il faut noter que pendant la crise de la Covid19, le corps professoral a été confronté, à maintes reprises, à la rupture des cours à distance en raison de la vulnérabilité électronique des plateformes actuelles liée aux incidents récurrents de pannes et des saturations de réseau. Ainsi, l’instauration de la réforme Bachelor au Maroc se heurte à plusieurs contraintes :

• Le taux d’encadrement pédagogique est quasi catastrophique dans les établissements publics, notamment au niveau des facultés des sciences économiques et de gestion. Sans le renforcement structurel des effectifs des enseignants, le problème risquera de s’aggraver avec la vague actuelle des départs à la retraite.

• Le projet Bachelor n’annonce pas des solutions claires et concrètes pour inclure davantage les acteurs économiques dans la formation et les offres de stage et d’alternance.

• Le projet Bachelor, dans un raisonnement purement financier, prévoit une utilisation exclusive des plateformes numériques pour le développement et l’évaluation des compétences linguistiques et des soft skills. Il s’agit d’un enseignement en mode distanciel sans l’intervention, en présentiel, des professeurs de spécialité. Ce mode s’est avéré contreproductif pendant la pandémie. Le dispositif numérique actuel ne garantit pas l’égalité des chances entre les apprenants à cause de l’absence des mécanismes de vérification de l’identité des candidats lors des évaluations sommatives notées.

• Il faut également envisager des solutions pour la généralisation d’accès à Internet à tous les étudiants afin de ne pas aggraver la fracture sociale entre les apprenants issus de milieux sociaux divers. Assurément, sans la mise en place d’un véritable accompagnement financier et logistique, le modèle Bachelor ne portera pas les fruits escomptés au Maroc. Au contraire, il peut contribuer à la détérioration du niveau des diplômés du secteur public, ce qui entravera leurs perspectives d’embauche et aggravera les inégalités sociales.

 

 

 

 

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