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L’économie d’Israël et le choc «Gaza»

L’économie d’Israël et le choc «Gaza»

Par Hachimi Alaoui Professeur d'économie monétaire et directeur d'équipe de recherche.

Face à l'assaut initial du 7 octobre 2023 et au terme de raids aériens et de frappes maritimes, l’armée israélienne s’est tournée vers l’invasion terrestre de Gaza. C’est on ne peut plus évident et c’est tout autant désolant. Le spectre d’un embrasement régional se profile à l’horizon, et ce dans le cadre de «l’unité des fronts», un principe selon lequel le Hamas, le Hezbollah et d’autres alliés régionaux, en l’occurrence les Houthis au Yémen, s'engagent à se défendre mutuellement. 

Pour Israël, si résolue soit-elle à s’inscrire dans un stratagème d’escalade, que d’aucuns pensaient être une riposte impulsive, le risque est à tout le moins systémique. Sachant que le déploiement de 360.000 réservistes aux zones tampons autour de Gaza, soit environ 4% de la population israélienne, s’avère être une mobilisation militaire des plus massives de l’histoire de la région. Conséquemment, et compte tenu de la conjoncture actuelle et du contexte international, le risque pour Israël est d’abord et par-dessus tout économique. Car là encore, sur cette terre du monde, le cycle économique doit composer avec le cycle de la violence. 

Du côté de la production domestique en Israël, il s’agit là d’un choc d’offre transmis par le facteur travail et qui se matérialise par des restrictions de plus en plus sévères sur la disponibilité et la mobilité des employés. Et du fait que le service militaire demeure obligatoire pour les Israéliens à partir de 18 ans, des milliers d’actifs ont quitté leurs emplois habituels pour rejoindre les fronts, à l’instar de la 252ème division du Sinaï où l’on rapporte une mobilisation de 100% des réservistes. Par ailleurs, les barrières à l'entrée des travailleurs palestiniens, imposées par mesure de sécurité et dont l’ampleur dépend de l’étendue des opérations militaires, devraient réduire la productivité des secteurs de la construction des bâtiments et de la promotion immobilière. Ainsi, l’économie d’Israël opère, et continuerait d’opérer, en deçà de son potentiel de production. 

Du côté de la demande agrégée, il est question d’un choc exogène sur l’absorption domestique de la production intérieure et importée. Ce choc se manifeste par une dépression de plus en plus palpable de la consommation privée, doublée d’une réduction du revenu disponible des ménages. Une dépression aggravée par les tensions inflationnistes qui persistent en Israël et qui s’amplifient par une accélération inouïe de la dépréciation du taux de change Shekel/Dollar américain, observée depuis le 9 octobre 2023. Qui plus est, les primes de risque incorporées aux taux d’intérêt sur le marché obligataire commencent à refléter le climat d’incertitude qui règne dans la région. Ce qui peut mener à une stagnation de l’investissement, due essentiellement à la hausse du coût du capital. Ceci, abstraction faite des tenants et aboutissants de la baisse de la productivité dans les zones menacées et de l’effet du blocage des chaînes d’approvisionnement.

Dans cette perspective, la baisse de la demande privée en Israël devrait être compensée par une hausse conséquente des dépenses publiques. Et quoiqu’une impulsion budgétaire peut soutenir les équilibres macroéconomiques, son essence et ses conséquences sont à puiser dans un calcul purement comptable quant au coût global de la guerre. De même, l’effet macroéconomique de l’augmentation fort probable du poste budgétaire dédié à la défense est à nuancer selon sa répartition entre dépenses courantes de fonctionnement et dépenses d’investissement en acquisition de matériel d’armement. Car si les premières creusent le déficit budgétaire,  les secondes, elles, creusent également le déficit commercial. Ceci, en plus des dépenses publiques liées à la réhabilitation, aux aides et aux subventions aux entreprises implantées dans les zones de combat et à l’ensemble des ménages. Dès lors, des espaces budgétaires sont à conjuguer à l’effort de guerre, quand bien même les recettes fiscales s’en trouvent réduites, sinon retardées. Dans ce sillage, la dette publique d’Israël en serait relativement engraissée.

Somme toute, l’attaque du 7 octobre, de par l'élément de surprise qui la caractérise, est sans conteste un choc exogène et non anticipé. Israël l’a subie et y réagit par le design d’un double choc économique, tant d’offre que de demande, et qui pourrait s’ériger en un choc inédit et sans équivalent. À cet égard, la Banque centrale d’Israël estime le coût potentiel de la guerre à une perte de 70 points de base en termes de croissance économique en 2023, et à une perte de 30 points de base en 2024, ce qui l’amène à un total de 1% de croissance du PIB réel. 

De ce fait, l’optimal, ou le moins onéreux, serait d’arrêter une invasion terrestre aux conséquences humaines désastreuses. Sinon, rappelons-le, le piège terrestre consiste à inciter le plus fort à aller plus loin. Et cela, Washington le sait mieux que quiconque et devrait le faire comprendre à Tsahal.

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