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Don et transplantation d’organes : «Au Maroc, ce processus thérapeutique est encore sous-développé et fait face à de nombreux défis»

Don et transplantation d’organes : «Au Maroc, ce processus thérapeutique est encore sous-développé et fait face à de nombreux défis»

Promouvoir la culture du don d'organes à travers des campagnes d'information et de sensibilisation est une nécessité absolue. Le don et la greffe d’organes posent des défis sociétaux importants et des enjeux scientifiques majeurs.

Entretien avec la professeure Amal Bourquia, néphrologue, présidente de l’association REINS, auteur et experte en éthique médicale.

 

Propos recueillis par Ibtissam.Z

Finances News Hebdo : Le 17 octobre est la Journée mondiale du don et de la transplantation d'organes. Que représente cette date pour vous ?

Pr Amal Bourquia : La Journée mondiale du don et de la transplantation d'organes, célébrée le 17 octobre, est une occasion de souligner l'importance vitale de cette pratique qui sauve des vies. Chaque année, et ce depuis l’instauration de la Journée mondiale du don et de la transplantation d'organes en 2005, et après près de vingt ans de travail acharné, sans ménager aucun effort, l’association REINS met l’accent sur la souffrance permanente des patients dans le besoin et leurs familles et la nécessité de développer ce traitement. Cette journée est dédiée à la solidarité humaine, et elle nous invite cette année à examiner le don et la greffe d’organes sous trois angles majeurs : numérique, environnemental et social afin d’assurer ce traitement pour la majorité de nos concitoyens. En cette occasion, l’association REINS appelle à une mobilisation collective car la réussite de cette pratique salvatrice dépend d’un effort global impliquant non seulement les acteurs de la santé, mais aussi les décideurs politiques, les technologues, et les communautés locales.

FNH : Au Maroc, la législation autorise la greffe d’organes depuis 1999. Pourtant, très peu de citoyens adhèrent à cette culture du don et de la transplantation d’organes. Pourquoi à votre avis ?   

Pr A.B : Au Maroc, les besoins sont criants et des milliers de patients souffrent de maladies nécessitant une transplantation d’organes. Malgré une législation mise en place depuis 1999, le don d'organes est encore sous-développé et fait face à de nombreux défis. Le manque d’information et de confiance dans des actes médicaux limite énormément le recours à ce geste de générosité. D’ailleurs, nous avons montré à maintes reprises et à travers plusieurs types d’enquêtes, que les Marocains sont en réalité convaincus de l’intérêt humain de ce geste mais que le manque d’informations sur tous les aspects ne les encourage pas. Des campagnes de sensibilisation nationale sont à développer, et REINS ne doit pas rester la seule structure qui travaille sur cet aspect. Il est urgent de promouvoir la culture du don d'organes à travers des campagnes d'information, impliquant les médias, les associations, et les leaders religieux. Clarifier les aspects éthiques et religieux du don d’organes et encourager les citoyens à s’inscrire comme donneurs post-mortem permettrait de sauver des milliers de vies.

FNH : Concrètement, qu’est-ce qui freine l’évolution du volontariat du don d’organes au Maroc ?

Pr A.B : Les défis du don d’organes au Maroc sont nombreux. Nous pouvons en citer le manque de sensibilisation et de culture du don avec de nombreuses réticences culturelles, religieuses, et un manque d'information freinent la culture du don d’organes. Les familles refusent souvent le prélèvement d'organes de leurs proches décédés. Cela s'explique par des facteurs culturels, religieux et un manque de communication sur l'importance du don d’organes. Beaucoup de familles refusent encore de consentir au prélèvement d'organes de leurs proches décédés, par manque de compréhension ou en raison de croyances personnelles. La pénurie de donneurs est criante et le registre des donneurs après la mort n’a pu enregistrer que près de 1.200 inscrits. Un chiffre très faible, et les greffes de reins réalisées proviennent principalement de donneurs vivants, ce qui ne répond pas aux besoins pour des organes comme le cœur ou les poumons.

FNH : Le coût des soins, notamment la dialyse, n’est pas toujours à la portée des malades souffrant d’insuffisance rénale. Du coup, la greffe reste la solution pour résoudre cette problématique. Sachant que près de 645 transplantations rénales ont été effectuées, comment peut-on remédier à cette situation ? 

Pr A.B : Le numérique, l'environnement et les enjeux sociaux sont intimement liés dans ce domaine, et seule une approche intégrée permettra de maximiser l’impact des transplantations tout en minimisant les disparités et les effets néfastes sur notre planète. Il y a une urgence d’action collective pour surmonter les défis. Cette année, il nous a semblé intéressant d'agir autour de ces trois axes principaux. Les technologies numériques transforment la transplantation d’organes en facilitant le suivi des donneurs et receveurs et en optimisant la logistique des transplantations. Des plateformes basées sur l’intelligence artificielle et le big data permettent d’améliorer le jumelage entre donneurs et receveurs, la logistique des greffes et le suivi en temps réel des patients après une transplantation. Le développement de la greffe d’organes au Maroc est non seulement vital pour les patients, mais aussi un enjeu de justice sociale. Assurer l'accès à ce traitement pour tous, surtout à l’ère de la généralisation de l’assurance maladie, doit être une priorité nationale. Cela nécessitera une coopération entre les autorités de santé, les professionnels médicaux, la société civile et les citoyens. Le don d’organes est un acte de solidarité qui sauve des vies, mais il nécessite une mobilisation de l'ensemble de la société marocaine. En ancrant la culture du don d’organes, en renforçant les infrastructures, et en promouvant une approche inclusive et collaborative, le Maroc peut surmonter les défis et offrir une meilleure chance de vie à ses citoyens.

 FNH : Il y a donc un besoin urgent de renforcer la sensibilisation, les ressources médicales, les nouvelles technologies et les politiques publiques pour faire de cette pratique un gage pour sauver des vies. Quelles sont les démarches à adopter pour une prise de conscience collective et efficiente ? 

Pr A.B : Le don et la greffe d’organes posent des défis sociétaux majeurs, surtout en termes d'équité et de sensibilisation. Il est essentiel de renforcer les campagnes de sensibilisation, de favoriser l’équité dans l’accès aux transplantations et d’encourager une approche inclusive qui respecte les croyances religieuses et culturelles. Les médecins sont au premier rang, et l’association REINS avait rapporté un sondage réalisé auprès des médecins, dont 47% exerçant dans le secteur public et 53% dans le secteur libéral. Il en ressort que plus de la moitié d’entre eux juge médiocre leur connaissance du sujet, et 26% en moyenne pour l’information et la formation. 67% déclarent n’avoir jamais assisté à une formation ou rencontre sur le sujet; 74% ignorent la loi marocaine règlementant le don et la transplantation d’organes; et 77% ignorent la position de l’islam sur le don d’organes. Malgré ces insuffisances, 64% se déclarent pouvoir être donneur d’organes (76% après la mort), 80% souhaitent approfondir leur connaissance sur le sujet. Nous pensons que la meilleure solution est essayer d’appliquer progressivement les recommandations de Rabat 2022, qui a fait le point sur les problèmes et difficultés qui entravent l’essor de la transplantation d’organes sur les plans humains, législatifs, religieux, économiques. Et a proposé des actions à mettre en pratique pour l’essor de cette thérapeutique qui doit toujours être guidé par des valeurs éthiques.

FNH : Sensibiliser et orienter sont au cœur de l’action de votre association REINS. Quel bilan faites-vous depuis sa création ? 

Pr A.B : Avec sa large et unique expérience dans notre pays, l’association REINS continue inlassablement ses actions et œuvre davantage pour promouvoir cet acte de générosité et de solidarité qui sauve des vies. La question que pose régulièrement notre association REINS est : qu’est-ce qui bloque ? Le don d’organes est un don pour la vie, un acte de solidarité qui nécessite la mobilisation de toutes les composantes de la société marocaine, en particulier les professionnels de la santé et les médias, afin de contribuer à ancrer cette culture au sein de la société marocaine. L’apport de REINS est énorme. Ainsi, depuis 2005, l’association milite pour le développement de la transplantation d'organes au Maroc. Nous avons sensibilisé, en incluant ce sujet dans de nombreux domaines, activités et groupes de population dont les médias, que nous remercions à chaque occasion. Toutefois, nous avons besoin de plus de mobilisation et d’intérêt. Il s’agit d’un combat national et nous sommes tous responsables.

FNH : Vous avez écrit plusieurs ouvrages pour défendre ce combat que vous menez depuis plus de 20 ans déjà. Pourquoi ce besoin d’écrire ?  

Pr A.B: Écrire n’est pas un besoin, car publier un livre, c’est s’exposer, livrer une part de son âme à la subtilité du lecteur. Éditer un livre surtout sur des sujets scientifiques, et n’étant pas un écrivain de profession, c’est bien plus qu’un simple recueil de mots, c’est le reflet d’une pensée, l’écho d’une sensibilité et une proposition de dialogue. Je considère que c’est un acte de générosité, de dépenser du temps et de l’énergie pour un acte de partage et qui s’expose à la critique et au jugement. J’espère pouvoir continuer à le faire, car j’estime que c’est aussi une voix de militantisme pour le développement de ce traitement vital.

 

 

 

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