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Bienvenue dans le monde du «polit-management»

Bienvenue dans le monde du «polit-management»

Dans «Gouvernance : Le management totalitaire», le philosophe et intellectuel québécois Alain Denault nous met en garde contre une certaine novlangue, qui cache tel un cheval de Troie, un florilège de sophismes réunis dans un seul terme : la gouvernance.

Exhumé durant les années 1980 par l’entourage techno-libéral de Margareth Thatcher, ce terme «fourre-tout» vise à dissoudre, selon Denault, «notre patrimoine de références politiques pour lui substituer les termes tendancieux du management», et à réinventer l’Etat à l’aune de la culture de l’entreprise privée. Un «coup d’Etat conceptuel», selon l’expression même de l’auteur, qui a fini par envahir tous les champs de la vie publique, dont ceux qui nous intéressent aujourd’hui, à savoir la communication et le langage.

Revenons à cet effet à la récente intervention du chef du gouvernement sur la chaine publique, qui fut l’objet de plusieurs analyses critiques fort intéressantes. Premièrement, la question de la communication, notamment la polémique concernant l’impérieuse nécessité de rouvrir les frontières. En lieu et place d’une réponse claire et tranchée, nous avons eu droit à une esquive rhétorique autant alambiquée que maladroite. «Je ne fais qu’appliquer les recommandations du Conseil scientifique et technique», nous dit le chef du gouvernement, là où le Conseil scientifique et technique se dit depuis un bon bout de temps favorable à l’ouverture des frontières, à qui le ministre de la Santé rétorque que cela ne relève pas de ses prérogatives, mais du comité interministériel de suivi du Covid; un comité composé de 4 ministères sous la tutelle du chef du gouvernement, qui dit que c’est le Conseil scientifique et le comité interministériel qui décident. Le serpent se mord la queue, la boucle est bouclée, le Maroc l’est tout autant.

Mais le chef du gouvernement se veut rassurant en disant que la question est posée sur la table. Encore heureux qu’elle ne soit pas mise sous le tapis. Quant au manque de communication du gouvernement, loin de faire un «mea culpa», le chef du gouvernement l’assume comme méthode de travail en disant entre autres que :

«Les gens voudraient voir rapidement des résultats plus que de voir le chef du gouvernement». Ou encore : «Les gens savent pour qui ils ont voté… On parle peu, mais on travaille beaucoup … C’est notre méthode et ça ne changera pas».

Or, si dans le monde de l’entreprise, le PDG ou les actionnaires ne sont aucunement obligés de tenir leurs salariés informés en permanence des décisions ou de la stratégie de l’entreprise, il en va, ou il en allait, tout autrement en politique. Car le contrat de travail est un contrat de subordination hiérarchique des salariés auprès de leurs employeurs, là où le contrat politique stipule une subordination du politique élu auprès des citoyens à qui il doit rendre des comptes. Est-il utile de rappeler que l’article 2 de la constitution stipule que la souveraineté appartient à la nation ?

Mais entre la langue de bois de la politique politicienne et le mutisme managérial existe un juste milieu, celui d’une communication régulière, honnête et intelligible.

 

Deuxième volet, la novlangue. 

Inventé par George Orwell dans «1984», ce terme désigne dans ce roman dystopique une dynamique d’appauvrissement du langage, d’inversion de sens et d’annihilation de toute capacité d’esprit critique. Dans le sens qui lui est donné aujourd’hui, ce concept désigne une euphémisation de toutes les réalités violentes au non du politiquement correct, ou pour en occulter ses réalités sous des mots sympathiques ou creux. Dans les faits, le vocabulaire du management, souvent en anglais, tend graduellement à s’imposer au détriment de mots qui décrivent plus adéquatement la réalité. Qui d’entre nous n’a jamais entendu en entreprise des termes comme «rester focus, atteindre les targets, faire un brainstorming, ASAP, partie prenante, benchmarking, team building, … ».

De même, l’ouvrier est qualifié d’agent de production, l’agent d’entretien devient technicien de surface, les employés une ressource humaine, l’usager d’un service public un client, le citoyen un consommateur,… Et c’est là où l’on revient à l’intervention du chef du gouvernement : les ministres ne mettent plus en place des politiques et des stratégies, mais délivrent des produits. La phrase n’est pas de moi, mais bel et bien du chef du gouvernement qui, en parlant de ses ministres, dit : «ils veulent travailler et délivrer leurs produits».

Bienvenue dans le monde merveilleux du polit-management. Alors simple lapsus ou prééminence de la logique managerielle ? Les futures et rares interventions du chef du gouvernement nous le diront. En attendant, et concernant la chose publique, on ne gère pas un gouvernement comme on gère une entreprise ou une startup. Le management et la politique ne font assurément pas bon ménage, a fortiori quand le premier se déploie au détriment du second.  

 

 

Par Rachid Achachi 

 

 

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