La résilience des transferts des Marocains résidant à l’étranger (MRE) en contexte pandémique est factuelle, nul ne peut en douter. On peut néanmoins et en toute légitimité s’interroger quant au pourquoi du comment. Sur fond d’une hausse spectaculaire des afflux de fonds, en l’occurrence via des transferts personnels, les analystes scrutent, autant que les décideurs publics, les tenants et aboutissants de cette solidarité inconditionnelle en des temps difficiles.
De quoi en faire un sujet de débat qui revient invariablement lors des derniers points de presse, tenus à l’issue des réunions trimestrielles du conseil de Bank Al-Maghrib. Ce dernier a tenu le mardi 22 mars sa première session de l’année 2022, et le Wali, lors de la conférence de presse qui s’en est suivie, n’a pas manqué d’évoquer, une fois de plus, le niveau exceptionnel enregistré par les transferts des MRE en 2021.
Le fait est que les chiffres en dirhams des transferts des MRE font état d’un pic exceptionnel de leur taux de croissance en glissement annuel, celui-ci ayant frôlé les 50% lors du deuxième trimestre de l’année 2021. Sachant que ce pic s’élève à pas moins de 70% quand ces transferts sont libellés en dollar américain. Un écart qui s’explique par l’effet de l’appréciation du taux de change sur la contrevaleur en dirham des transferts effectués en devises. Il est lieu de rappeler que, depuis le deuxième élargissement de sa bande de fluctuation en mars 2020, le taux de change effectif nominal ne cesse de s’apprécier et a terminé l’année 2021 en étant littéralement collé au plafond du corridor. Pourtant, les spéculations autour des motifs et des fins de cette hausse certes remarquable des transferts des MRE, ainsi que les explications divergentes qui en découlent, semblent virer au vrai-faux débat.
En principe, les transferts transfrontaliers à des fins de solidarité tendent à diminuer suite à une dépréciation du taux de change et vice-versa. De ce fait, Il est peu probable que nous soyons face à des MRE opportunistes qui répliquent aux fluctuations du Dirham par des comportements de rééquilibrage et de réallocation de portefeuilles. Le cas échéant, l’appréciation récente du taux de change devrait réduire le montant de leurs transferts. Or, les MRE, soucieux de préserver le pouvoir d’achat des monnaies qu’il transfèrent au Maroc, ont choisi d’en expédier davantage en réponse à une revalorisation galopante du Dirham. Le fait est certes simple, mais laisse perplexe. Nos bons et chers MRE se sont trouvés dans un cercle vicieux, ou vertueux, selon la rive où l’on se situe. Il fallait envoyer plus de fonds pour rattraper le renchérissement du Dirham, et plus on en envoyait, plus le Dirham se renchérissait. Ainsi, et de par ce comportement compensatoire dans un climat incertain, tant ici qu’ailleurs, les Marocains du monde ont résolument fait preuve d’une solidarité insoupçonnable.
Qu’à cela ne tienne, les fonds sont là et l’inertie du Dirham est un fait accompli. Maintenant, qu’a-t-on fait de ces fonds ? Et que doit-on faire de cette inertie ?
S’agissant de l’affectation des transferts reçus de l’étranger, ceux-ci sont de nature contra-cyclique et permettent aux destinataires de lisser leurs dépenses de consommation en vue de conserver plus ou moins le même niveau de vie. Dès lors, il est normal de voir ces fonds affectés d’abord à la consommation et, dans une moindre mesure, à l’épargne et l’investissement. Cela dit, continuerons-nous à nous couvrir de draps turcs pour squatter les réseaux sociaux américains à travers les écrans de «nos» smartphones chinois, le tout avec les deniers de nos laborieux marocains de la diaspora ? Continuera-t-on à creuser le déficit commercial en consumant l’excédent financier de nos compatriotes à l’étranger ?
Quant à l’inertie du taux de change du Dirham, et puisque les chiffres record des fonds virés vers le Maroc prouvent que les MRE ne s’en plaignent pas, ne fallait-il pas en profiter pour élargir davantage sa bande de fluctuation ? En cette phase de retournement du cycle économique, marquée par une inflation persistante à l’échelle mondiale, une flexibilisation plus prononcée du taux de change se serait traduite par une appréciation plus ample du Dirham qui, à son tour, réduirait le cout des inputs importés, du moins légèrement. Si cela est sûr, ce qui l’est moins, c’est l’effet nocif d’une telle appréciation sur nos exportations, puisque l’effet volume du taux de change sur la balance commerciale du Maroc peine à trouver une validation empirique. Enfin, c’est ce qui aurait pu être fait, sauf qu’on en a décidé autrement. Le taux de change du Dirham est conduit à marche forcée et l’espace d’ajustement qu’il peut offrir face aux chocs externes est inopportunément étroit.
Aujourd’hui, si le Dirham fluctue dans un corridor préétabli et demeure ancré dans un panier prédéterminé, en dépit de l’accumulation des réserves en devises et de l’amélioration du compte courant de la balance des paiements, c’est uniquement parce que le discours des autorités monétaires demeure ancré dans un récit conservateur. Entendre : protéger les opérateurs économiques, les plus petits en particulier, jugés incapables de gérer les risques de change. Avec ces refrains classiques et usés, et qui plaident pour le statu quo, la flexibilisation du taux de change parait une option guère plus alléchante pour la doxa protectionniste. Cela étant, l’avènement de la crise sanitaire aura eu le mérite de dévoiler une peur peureuse du flottement du taux de change au Maroc, quand bien même la situation y était clairement favorable. Nos MRE étaient au rendez-vous et notre têtu taux de change l’a opiniâtrement manqué.
Par Hachimi Alaoui, Professeur d'économie monétaire et directeur d'équipe de recherche