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Affaires Raissouni et Radi: Le Conseil national des droits de l'homme livre ses premières conclusions

Affaires Raissouni et Radi: Le Conseil national des droits de l'homme livre ses premières conclusions

                       Le Conseil national des droits de l'homme livre ses premières conclusions dans les affaires des deux journalistes Omar Radi et Soulaimane Raissouni. Nous publions le texte de ces observation dans son intégralité: 

 

Conformément à l’article 161 de la Constitution, aux articles 4 et 11 de la loi réorganisant le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH), ainsi qu’aux différentes dispositions de la Résolution 48/134 de l'Assemblée Générale sur les Principes concernant le mandat des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l'homme (dits Principes de Paris), notamment celles mandatant les INDH pour la mise en œuvre des dispositions législatives et administratives et celles relatives à l’organisation judiciaire dans l'objectif de protéger et d'étendre les droits de l'homme ; et compte-tenu de l’importance capitale, pour la société et les citoyens, dont relève la lutte contre les agressions et violences à caractère sexuel, notamment à l’encontre des populations vulnérables ; mais compte-tenu également de la Volonté Suprême de notre Pays d’œuvrer pour la consolidation de l’Etat de Droit et pour la réforme du système judiciaire de manière à garantir un recours égal, équitable, et sans discrimination à la Justice,

 

Le CNDH tient à porter à l’attention de l’opinion publique les éléments suivants:

  • Ayant relevé, depuis quelques années, l’inquiétante multiplication de campagnes publiques de vilipendaison et de stigmatisation de victimes, présumées ou avérées, d’agressions et de violences sexuelles, notamment lorsque les auteurs desdites agressions et violences jouissent d’un certain statut dans la société ;

  • Ayant procédé, conformément à l’article 6 de la loi réorganisant le CNDH, à 10 visites aux détenus Soulaimane Raissouni et Omar Radi , dont celle effectuée à M. Soulaimane Raissouni le 27/06/2021 par une délégation du CNDH qui avait conclu à un état de santé très stable du détenu ; et la dernière, par une équipe de la CRDH  en date du 3 Août 2021, date à partir de laquelle le détenu Souleiman Raissouni a déclaré «avoir décidé d’interrompre sa grève de la faim» et a mis terme à son refus d’adhérer à la prise en charge médicale indiquée dans un contexte de diminution drastique de ses apports. A l’heure de la publication du présent communiqué, M. Soulaimane Raissouni a bénéficié, en date du 7 août 2021, des analyses médicales et des examens à l’hôpital, semblant être extrêmement rassurants ;

  • Ayant assuré le suivi des conditions de détention des deux détenus ; 

  • Ayant intervenu afin de faciliter la prise en charge appropriée des détenus, tout en assurant les liens de communication avec leurs familles ; 

  • Ayant suivi, à travers deux équipes de sa CRDH Casablanca-Settat l’observation directe du déroulement de 28 audiences des procès en première instance des accusés suscités, 

  • Ayant tenu une rencontre avec le coordinateur de la défense de M. Omar Radi concernant les deux audiences tenues à huit-clos lors de son procès ;

  • Et après recoupement et vérification des informations collectées et recueillies pas ses équipes, et en s'appuyant sur les procès-verbaux des séances, éditées par le greffier, ainsi que les décisions rendues par le Tribunal dans la salle, en sus des procès-verbaux rédigés par le greffier et la police judicaire et remis à la direction de l’établissement pénitentiaire ; 

Le CNDH tient à présenter à l’opinion publique quelques-unes de ses observations préliminaires, en attendant de présenter ses conclusions définitives après publication des jugements et aboutissement des affaires :

  Observations préliminaires communes

  • La condition de publicité des procès a été respectée ;

  • Les procédures d'arrestation étaient conformes à la loi et à la procédure pénale ;

  • Les défenses des deux accusés ont requis un procès en présentiel, demandes acceptées par les juges ;

  • Un délai raisonnable a été respecté pour les deux procès ;

  • Les accusés ont été informés des accusations portées contre chacun d’eux, ils ont eu accès à l’avocat de leur choix, et ont pu disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de leur défense, avec l’octroi de nombreux reports pour la préparation des procès, conformément à la demande de leurs défenses respectives.

Observations préliminaires sur le déroulement du procès de M. Souleiman Raissouni

  • L’accusé a assisté aux sept premières séances de son procès, la dernière datant du 15/06/2021. Il s'est abstenu de comparaître au reste de son procès à partir de cette date, justifiant cette absence par son état de santé. Le Tribunal, jugeant les motifs de non-comparution de l’accusé comme illégitimes, a procédé à la poursuite du procès en présence de la défense seulement et en l’absence du prévenu et après avertissement de ce dernier, comme il a été dressé dans le procès-verbal de la police judiciaire examiné par le CNDH, et conformément à l'article 423 du Code de la Procédure Pénale ;

  • La défense a annoncé son retrait de l’audience après la décision du Tribunal de poursuivre le procès en l’absence non justifiée de l’accusé. Suite à cette décision, le juge a ordonné au Bâtonnier de faire bénéficier l’accusé, dans le cadre de la procédure d’assistance judiciaire, d’un avocat de son choix, comme a pu le vérifier le CNDH. Le Bâtonnier a désigné Trois avocats, mais la défense du prévenu  a annoncé n’avoir pas retiré son soutien au prévenu et qu’elle le représentait toujours.  il n’y avait donc pas motif de le faire bénéficier de l’assistance judiciaire. Ce retrait n’ayant aucun effet juridique au regard de la loi réglementant la profession d’avocat, le Tribunal a décidé de poursuivre l’audience ;

  • Le Tribunal a maintenu sa décision de poursuivre le procès en l’absence de l’accusé, malgré la demande de la défense, conformément aux articles 443 et 446 du Code de la Procédure Pénale ;

  • Le prévenu n’a pas été convoqué pour les audiences ultérieures, le Tribunal ayant réitéré sa décision portant sur l’article 423 du Code de la procédure pénale. Conformément aux dispositions de ce dernier, le prévenu a été maintenu au courant, depuis sa cellule, du contenu du procès-verbal de chaque audience par un greffier ;

  • Une expertise a été ordonnée par le juge d’instruction sur l’enregistrement présenté par le plaignant, à la suite de laquelle l’enregistrement a été inséré dans le dossier ; 

  • En date du 09/07/2021, le Tribunal a ordonné au prévenu sa comparution pour assister au prononcé du jugement, comme a pu le vérifier le CNDH. Face à son refus, le jugement a été prononcé en son absence et en présence de sa défense ; un greffier s’étant déplacé par la suite afin de l’informer du verdict.


 

Observations préliminaires sur déroulement du procès de M. Omar Radi

  • Les moyens de la défense portant sur les vices de forme ont soulevé la question de la non-signature des procès-verbaux lors de l’audition des prévenus par la Gendarmerie Royale, ce à quoi le Parquet a répondu que cette dernière était soumise à une procédure propre, conformément au  Dahir Royal 1.57.280, qui prévoit l’inclusion des déclarations de toute personne auditionnée dans un « Registre des Déclarations », lequel, lui, comprend les signatures des personnes entendues. Le contenu des déclarations figurant dans ledit Registre n’a pas été contesté par la défense ;

  • La défense a demandé la comparution de témoins interrogés précédemment par le juge d’instruction. Le Tribunal a rejeté cette demande, faisant valoir la jurisprudence de la Cour de Cassation selon laquelle il n’y a pas obligation de de rappeler des témoins ayant déjà comparu et prêté serment devant le juge d’instruction (décision 283 du dossier 19016/99 en date de 03/02/2000 de la  Cour de Cassation) ;

  • Bien que la plaignante ait été immédiatement entendue par le Procureur Général après son dépôt de plainte, il n’y a pas eu de demande d’examen afin de s’assurer et de documenter son état de santé ;

  • Deux audiences ont été tenues à huit-clos conformément à la demande de la partie civile.

Quoique les deux procès, ayant fait objet d’observation, se soient déroulés conformément à la loi et à l’article 110 de la Constitution selon lequel: « Les magistrats du siège ne sont astreints qu'à la seule application du droit. Les décisions de justice sont rendues sur le seul fondement de l'application impartiale de la loi », le CNDH  conclue, à la lumière des observations préliminaires susmentionnées, qu’il subsiste des éléments qui interpellent dans le déroulé de ces deux procès, lesquels éléments ne sont ni spécifiques ni propres à ces deux affaires, mais résultent d’une insuffisance et d’une carence de la loi, notamment de la loi sur la procédure pénale, par rapport aux normes internationales ; ces deux affaires ne représentant que deux études de cas sur l’inadéquation entre certaines des dispositions de ladite loi et les dispositions constitutionnelles et internationales en matière de procès équitable, notamment l’article 120 de la Constitution du Royaume et l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont l’alinéa e) stipule que l'accusé a le droit « d’interroger ou faire interroger les témoins à charge et à obtenir la comparution et l'interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ». Le CNDH rappelle qu’il est recommandé, selon les normes internationales en la matière, de se référer dans certaines circonstances aux déclarations faites devant le Tribunal, en sus des déclarations faites lors de l’étape de l’enquête, afin d’encourager les dépositions de témoins devant le tribunal en audience publique.

Enfin, le CNDH insiste sur le fait que la prise en charge judiciaire des victimes de crimes et délits sexuels comprend leur prise en charge médicale et psychologique, conformément à l’article 117 de la Constitution du Royaume, selon lequel : « Le juge est en charge de la protection des droits et libertés et de la sécurité judiciaire des personnes et des groupes, ainsi que de l'application de la loi ».

 

Le CNDH, en tant qu’institution constitutionnelle nationale des droits de l’homme, conscient de ce que représentent ces affaires, comme de précédentes, pour les droits des justiciables, hommes et femmes, dans notre Pays, et conformément à son mandat :

  • Avise l’opinion publique de sa profonde préoccupation quant au traitement, contraire aux principes, valeurs et culture des Droits de l’Homme, dont bénéficient les affaires de violences sexuelles dans notre société ;

 

  • Condamne fermement la campagne de diffamation, de harcèlement et de dénigrement, acharnée et inédite dans son ampleur, dont sont victimes les plaignants dans ces deux affaires ainsi que les calomnies, attaques et menaces répétées, attentatoires à leur dignité et mettant en péril leur sécurité, leur santé et leur bien-être ;

 

  • Avertit l’opinion publique qu’il a relevé la circulation, au sujet de ces deux affaires, de nombreuses informations erronées et non-vérifiées, notamment sur les réseaux sociaux ;

 

  • Réitère sa recommandation visant la criminalisation des discours de diffamation, de discrimination, et d’incitation à la haine et la violence comme il réitère sa recommandation sur la mise en place d’un cadre légal approprié ayant dans le but de lutter contre la désinformation et les « fake news » ;

 

  • Rappelle qu’aucune personne ne peut faire l’objet, comme le soulignent le Préambule de la Constitution du Royaume et l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils, de   discrimination ni de persécution à cause de son sexe, son identité, son origine sociale, son opinion ; notamment dans un but d’intimidation ou pour le contraindre au silence ; 

 

  • Insiste pour rappeler à l’opinion publique que ni le métier, ni la notoriété ni les relations, ni même les opinions des concernés, ne peuvent constituer, à eux seuls, des éléments à charge ou à décharge de crimes et/ou délits ; comme ils ne peuvent aucunement remettre en question le principe d’égalité des citoyens devant la loi garantit par l’article 6 de la Constitution ;

 

  • Invite le corps de judiciaire à œuvrer pour faire prévaloir, lorsqu’il le juge approprié, les dispositions internationales ratifiées par le Royaume du Maroc, en l’attente d’une mise à niveau des lois du Royaume avec les normes internationales et les dispositions de la Constitution, comme le précise son préambule ; 

 

  • Recommande de pouvoir assister aux audiences à huit-clos des procès faisant l’objet de son observation ;

 

  • Rappelle sa recommandation visant à l’harmonisation de la loi organisant la Gendarmerie Royale avec les dispositions de la Constitution et les normes internationales relatives à la signature des procès-verbaux ; 

 

  • Réitère la recommandation mentionnée dans son rapport annuel pour l'année 2020 relative à la nécessité pour les avocats d'adhérer aux principes des droits de l'homme et aux libertés fondamentales reconnues par les lois nationales et internationales, et d’agir conformément à la loi, aux normes internationales et aux règles de déontologie, comme le rappellent les Principes de base relatifs au rôle du barreau ;

 

  • Recommande d’instaurer dans la loi la possibilité d’un recours judiciaire indépendant concernant toutes les décisions privatives des libertés, selon les normes internationales en la matière ;

 

  • Réitère sa recommandation visant l’adoption par le Parlement, dans les plus brefs délais, de la réforme du code pénal en consacrant les principes de légitimité, nécessité, proportionnalité et prévisibilité des lois ;

 

  • Réitère ses recommandations d’amendement du Chapitre VIII du Code Pénal, notamment les  articles 468 les articles 489-493, outre sa recommandation de faire du consentement le socle de la législation en matière de délits et de crimes à caractère sexuel, comme il réitère son appel à faire de la lutte efficace contre l’impunité des auteurs des agressions et violences sexuelles une constante à effet dissuasif ;

 

  • Appelle à l’accélération des efforts du Parquet Général concernant la rationalisation du recours à la détention préventive ;

 

  • Appelle à la mise en œuvre  des dispositions de loi 103-13 relatives à la protection des victimes ainsi que les procédures de protection des victimes, témoins et des dénonciateurs, conformément à la 37-10 ;

 

  • Appelle à la nécessité de mettre en place un mécanisme spécifique de prise en charge médicale, psychologique et légale des victimes d’agressions et de violences sexuelles ;

 

  • Informe nos concitoyens, ainsi que les acteurs institutionnels et non-institutionnels de la publication au courant des mois prochains de son mémorandum portant sur la réforme du code de la procédure judiciaire, réforme qui s’impose de manière urgente et nécessaire ;

 

  • Rappelle ses différentes recommandations, notamment celles de son rapport annuel 2019, concernant la nécessité du respect des données à caractère personnel ;

 

  • Informe l’opinion publique qu’il continuera le suivi des conditions de détentions des concernés et l’observation des procès en appel, en veillant à informer l’opinion de tout développement, lorsqu’il le juge nécessaire et conformément à son mandat.

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