Finances News Hebdo : La CGEM organise la première édition du Forum entreprise climat Maroc, qui s’inscrit dans le cadre de l’Initiative entreprises climat Maroc (IECM) lancée en marge de la COP22. Quelle est la finalité de cette rencontre qui vient redynamiser la mobilisation autour des questions climatiques qui s’est relâchée ?
Mohamed Slassi Sennou : A vrai dire, il n’y a pas eu de relâchement. Bien au contraire, nous sommes davantage mobilisés. Preuve en sont les résultats du travail réalisé dans le cadre de l’Initiative entreprise climat Maroc (IECM), qui est une vision de l’entreprise consistant en la mise en oeuvre des Accords de Paris, annoncée officiellement lors de la COP22 à Marrakech. L’objectif étant de confirmer que l’entreprise, acteur non étatique, est partie prenante conformément au rôle que lui a conféré ledit Accord. Le rôle que l’entreprise est amenée à jouer dans notre pays est capital, notamment pour relever les défis climatiques auxquels le Maroc s’expose. Des défis scindés en deux parties. Premièrement, la capacité d’identifier et de caractériser les menaces ainsi que les opportunités extraordinaires qu’offre le changement climatique. Il faut transformer les menaces en opportunités, puisque c’est la meilleure façon d’aborder cette question. Deuxièmement, former et accompagner l’entreprise à intégrer dorénavant les risques climatiques dans son plan de développement. Ces deux volets se déclinent des deux axes de l’Accord de Paris, à savoir l’adaptation et l’atténuation.
L’IECM vise quatre objectifs :
• Inciter à intégrer le risque/opportunité climat dans les plans de développement des entreprises marocaines;
• Proposer des solutions techniques, technologiques, financières concrètes et applicables par les entreprises tant au niveau de l’atténuation que de l’adaptation;
• Accompagner l’émergence d’une économie verte au niveau national avec un rayonnement attendu au niveau de l’Afrique;
• Accompagner/récompenser l’engagement de l’entreprise pour le climat par l’adhésion à une charte climat puis, à moyen terme, l’octroi d’un label climat.
F.N.H. : Quels sont les résultats obtenus depuis le lancement de cette initiative ?
M. S. S. : La mise en œuvre de l’IECM se fera en deux phases : une phase d’amorçage et une autre de déploiement. La phase d’amorçage, qui a déjà démarré effectivement depuis le début de l’année en cours, comprend 4 composantes :
• L’information et la sensibilisation. La prise de conscience des enjeux et défis du changement climatique. Cela passe par l’organisation d’évènements et la mise en place d’outils : séminaires, tables-rondes, bulletin mensuel, guides, films. Une vingtaine de conférences thématique (sectorielle, territoriale, transversale) sont planifiées. Quatre ont été organisées et ont connu un vif succès. Une cinquième conférence en partenariat avec la BERD est prévue au courant de ce mois. Un bulletin électronique «IECM Echos» est édité par la CGEM depuis le début de l’année;
• Des sessions de formation adaptées aux entreprises organisées au sein des fédérations sectorielles et celles fédérées par les CGEM régions. Ces formations portent sur différents volets techniques, technologiques, institutionnels, législatifs et financiers du changement climatique (CC). A ce sujet, la CGEM lance le «Guide entreprise climat», qui propose aux responsables techniques des entreprises et aux consultants pouvant les accompagner, une démarche simple et accessible permettant d’accéder à des technologies en vue d'une atténuation des émissions de GES, d’avoir un développement de l’entreprise adapté aux effets du CC et d’accéder à des financements climatiques pour réussir les efforts d’atténuation et d’adaptation de l’entreprise. Ce guide sera publié lors du Forum entreprise climat, organisée par la CGEM à Casablanca le 6 juillet prochain;
• L’accompagnement sur le terrain aux entreprises dans une approche sectorielle engagées dans une démarche CC. Il s’agit de l’accompagnement technique des entreprises par le Centre marocain de production propre pour : i. La réalisation du bilan GES, l’audit énergétique et le plan d’atténuation, ii. La caractérisation de la vulnérabilité et la proposition de plans d’adaptation et enfin, iii. L’appui pour le montage de projets climat pour les financements selon les critères des bailleurs de fonds;
• Enfin, une consultation de la CGEM auprès de cabinets d’étude spécialisés qui porte sur «l’évaluation des risques autant que des opportunités liées au CC par secteur d’activité» est dans sa phase de dépouillement des offres.
A l’issue de cette première étape, les Fédérations et les CGEM Régions sont à même de prendre le relais pour décliner la démarche de façon spécifique aux associations et branches professionnelles qui les composent. C’est la phase déploiement. Il s’agira notamment de :
• Etablir des échanges permanents avec le gouvernement et les autorités régionales afin de favoriser les synergies d’action;
• Mettre en place un dispositif de veille climatique, technologique et règlementaire;
• Promouvoir et appuyer le recours à la finance climat;
• Créer un cadre permettant aux entreprises les plus engagées de valoriser leurs efforts (Charte climat).
F.N.H. : Pourquoi alors ne pas avoir entamé les deux phases parallèlement afin de gagner du temps ?
M. S. S. : Il existe certes des secteurs et/ ou des régions largement à maturité qui se sont dotés de visions spécifiques et de plans d’action pertinents. Toutefois, l’idée est de montrer que ça marche. Nous croyons à la vertu du modèle – du proof of concept – qui démystifie la question, valorise le ratio coût/bénéfice et favorise l’adhésion massive.
Le succès d’une entreprise d’un secteur / territoire fera en sorte que les autres entreprises du même secteur ou d’autres secteurs/ régions s’approprieront les démarches entreprises. A l’issue de ces deux ans, nous aurons des instruments, un guide méthodologique, des secteurs qui sont sensibilisés et informés et une idée plutôt précise sur les filières à réorganiser ou carrément à créer. C’est le cas de la filière de l’eau et l’assainissement, où il y a énormément de choses à faire, ou celle de la valorisation des déchets. Le but étant également de faire émerger avec les différents acteurs de nouvelles filières structurées grâce à des plans stratégiques et des ressources appropriées qui les aideront à émerger et se développer.
F.N.H. : La CGEM œuvre depuis quelques années, bien avant la COP22, à sensibiliser l’entreprise marocaine à s’inscrire dans cette démarche. Est-elle parvenue à la fédérer, ainsi que les PME qui constituent plus de 90% du tissu économique autour de cette approche ?
M. S. S. : Les PME sont notre priorité, étant donné que la grande entreprise est bien structurée et profite relativement mieux des opportunités. A cet effet, la CGEM a lancé, il y a trois mois déjà, l’Observatoire des métiers et compétences de branches professionnelles et de territoires. Cet instrument est à la disposition des TPME organisées en branche professionnelle ou en association professionnelle qui sont impactées de façon quasi identique par les changements qui s’exercent sur leur environnement. A travers une veille stratégique permanente réalisée par les branches/associations professionnelles, ces TPME pourront anticiper la mutation de leur chaîne de valeur pour réduire les menaces et saisir les opportunités. A la suite du diagnostic stratégique, une ingénierie de formation traduit ces mutations en données prospectives en termes d’emplois, de métiers et de compétences.
En effet, force est de constater que l’environnement de l’entreprise est agité par autant de changements multifactoriels (politiques, socio-technologiques, environnementaux, normatifs et légaux…) que celle-ci n’arrive plus à résoudre. Elle se projette difficilement, puisqu’elle n’est pas dotée de capacité de développement stratégique à l’instar de la grande entreprise. C’est en se regroupant que les PME peuvent espérer capter les opportunités et les transformer en création de valeur.
L’objectif est d’identifier et de caractériser les opportunités qu’offrent les changements quelles que soient leur nature : sociaux, technologiques, climatiques, légaux et réglementaires, etc. Et de les transformer en création de valeurs et d’emplois.
Pour donner un ordre de grandeur, cet instrument permet de financer à hauteur de 1 MDH la veille stratégique de chaque branche professionnelle et de 1 MDH l’ingénierie de formation qui s’en suit, sur une période récurrente de 2 années.
F.N.H. : Suite à la décision des Etats- Unis de se retirer de l’Accord de Paris, la communauté internationale n’a toujours pas de visibilité par rapport à la feuille de route financière, à savoir les fameux 100 Mds de dollars par an pendant 5 ans. En attendant d'y voir plus clair, le secteur privé marocain compte-t-il mettre la main à la poche pour accompagner le pays dans sa mise à niveau environnementale ?
M. S. S. : Nous n’attendons pas les financements pour démarrer la mise en œuvre de l’Accord de Paris, car nous y travaillons déjà. D’ailleurs, l’IECM est l’exemple vivant de l’engagement du privé à faire aboutir l’Accord de Paris. Rappelons qu’en tant qu’organisme non étatique représentant le business, nous avons initié, en marge de la COP22 le Réseau de patronats, à savoir Marrakech Business Action for Climate (MBA 4) qui regroupe 43 organisations professionnelles d’employeurs à travers le monde. Un réseau qui est aujourd’hui arrimé à une Organisation mondiale des entreprises, le BizMef.
Le MBA 4 C a l’ambition d’orienter et accompagner les entreprises de tous les pays (développés et en voie de développement) sur la question du climat. D’ailleurs, nous organisons en marge de cette rencontre une première réunion avec la participation de plusieurs pays signataires (Algérie, Allemagne, Belgique, Brésil, Congo,
USA…). Le but étant d’adopter des positions communes sur les points clés de négociation, soutenir l’organisation du sommet patronal de la COP (HLBS), préparer les déclarations des patronats de la COP23 qui seront émises lors de ce sommet, représenter le secteur privé au niveau des manifestations nationales et internationales consacrées à ces aspects...
Lors de cette réunion, nous allons mettre en place toute la partie structure et organisation que nous présenterons à tous les membres du MBA 4 Climat pour définir comment canaliser les actions des patronats, créer les synergies entre les patronats du monde, en particulier Nord-Sud et Sud-Sud autour de la nouvelle économie, ses possibilités technologiques, financières, emplois et métiers. ■
Propos recueillis par L. Boumahrou.