Une nouvelle réforme permettra bientôt de libérer le Dirham de son ancrage au panier de devises.
Ce nouveau système réduira la dépendance du Maroc aux fluctuations de l'Euro et du Dollar qui ont connu une volatilité accrue ces dernières années.
Les exportateurs marocains pourront mieux se positionner sur les marchés étrangers.
Fini le corset du panier de devises, composé de l'Euro (60%) et du Dollar américain (40%). Place à un régime de change plus flexible, où le Dirham reflètera un peu plus l'offre et la demande exprimée par le marché, sans pour autant devenir complètement flottant comme en Egypte ou en Turquie par exemple. Bank Al-Maghrib s'apprête en effet à abandonner l'ancrage du Dirham au panier de devises, un système en place depuis les années 70. Une décision qui augure d'une nouvelle ère pour la monnaie nationale, qui sera désormais plus flexible et plus agile.
Un changement de paradigme qui promet également de chambouler les habitudes des opérateurs économiques et d'ouvrir la voie à de nouvelles opportunités. Interpellé à ce sujet lors du point de presse tenu à l'issue de la première réunion du Conseil de BAM pour l’année 2024, le wali de Bank Al-Maghrib (BAM), Abdellatif Jouahri, a précisé que «même si le Fonds monétaire international insiste, je ne recommanderai le passage à la nouvelle phase du régime de change flexible que lorsque je serai convaincu que le tissu économique marocain est prêt». Mais la Banque centrale n’a pas complètement rejeté l’idée et entend bel est bien passer vers cette étape intermédiaire qui libèrera le Dirham de son ancrage actuel.
«La deuxième étape ne consiste pas à laisser le marché déterminer librement la valeur du Dirham, ce qui correspondrait à un flottement total. Elle vise plutôt à abandonner l'ancrage au panier de devises et à adopter un ancrage via le taux directeur et la politique monétaire, tout en continuant à surveiller les mouvements du marché interbancaire de devises. En d'autres termes, si des mouvements anormaux surviennent dans un sens ou dans l'autre, la Banque centrale interviendra pour indiquer l'orientation qu'elle souhaite donner», a affirmé le wali.
Contactés à ce propos, de nombreux responsables de salles des marchés nous apportent plus d’éclaircissement sur cette réforme : «le prix du Dirham sera désormais déterminé par les forces du marché, c'est-àdire par l'offre et la demande exprimées par les banques et leurs clients. Cela signifie que la valeur du Dirham fluctuera en fonction des besoins de l'économie marocaine». En revanche, «la bande de fluctuation du Dirham sera vraisemblablement maintenue, ce qui signifie que sa valeur ne pourra pas varier de manière excessive. Cette mesure vise à limiter les risques liés à la volatilité du marché».
Pourquoi maintenant ?
Les raisons sont multiples. D'abord, le système actuel bride la compétitivité du Dirham, le rendant vulnérable aux fluctuations des devises internationales. Ensuite, ce régime limite l'efficacité de la politique monétaire de BAM, qui peut se retrouver pieds et poings liés face aux chocs externes d’ampleur. En outre, la montée en force des exportations et le niveau relativement élevé des réserves de change sont de nature à faciliter cette transition. Selon une source du marché, le nouveau système réduira la dépendance du Maroc aux fluctuations de l'Euro, du Dollar et des matières premières. Cela permettra de mieux protéger l'économie marocaine des chocs externes. Également, la volatilité du Dirham sera désormais un facteur moins important pour les exportateurs marocains et les rendra plus compétitifs sur les marchés étrangers. «Par exemple, en 2022, un choc sur l'Euro a eu lieu. Les importateurs ont subi la hausse de la monnaie européenne, tandis que les exportateurs en ont profité. À chaque choc sur l'une des deux monnaies, le Maroc subit les effets du taux d'intérêt associé. Avec le nouveau système, nous ne subirons que l'offre et la demande sur notre propre monnaie», souligne notre interlocuteur.
Des conditions à remplir
Lever la main sur le système actuel et laisser le marché déterminer son cours de change, nécessite une panoplie de conditions réunies. Pour Jouahri, «il est essentiel que certains équilibres soient confirmés avant ce passage, notamment la soutenabilité budgétaire à moyen terme, un niveau adéquat de réserves de change, un système bancaire résilient et la capacité de la Banque centrale à gérer à la fois les réserves de change et le ciblage de l'inflation». Par ailleurs, ce passage vers un régime de change plus flexible n'est pas écarté pour 2024. Le wali nous confirme en conférence de presse qu'ils sont déjà en train de préparer avec le FMI l'assistance technique du projet. Ils revoient notamment tous les modèles de prévisions pour s'assurer qu'ils restent adéquats face aux crises passées et pour évaluer la préparation des banques aux risques de change, dans le cadre d'un ciblage d'inflation et d'un régime de change plus flexible. Ils analysent également leurs cartographies de risques avant de franchir le pas. Si l’ensemble de ces conditions semblent réunies, il demeure un point à améliorer, selon le Wali : la préparation des opérateurs économiques. «J’ai plus peur pour les petites entreprises que pour les grands groupes. Ils devront gérer un environnement où le taux directeur évolue plus souvent. On doit s’assurer qu’ils sont prêts», notet-il.
Le cas de la Chine et de l’Égypte
Ailleurs dans le monde, plusieurs pays ont déjà mis en place des modèles de change différents pour leur monnaie nationale. Parmi les exemples les plus notables, un expert nous cite la Chine qui a opté pour un système de change à bande glissante. La valeur du Yuan est autorisée à fluctuer dans une bande étroite autour d'un taux de change central fixé quotidiennement par la Banque centrale chinoise. Ce système permet à la Chine de gérer la volatilité du Yuan tout en lui permettant de s'apprécier progressivement face au Dollar américain.
L'Égypte, quant à elle, a décidé de supprimer purement et simplement sa bande de fluctuation. Le flottement libre de la Livre égyptienne a permis d'améliorer la compétitivité des exportations égyptiennes, mais il a également exposé l'économie égyptienne à une plus grande volatilité. En s'inspirant de ces exemples, BAM semble vouloir adopter un système intermédiaire, combinant la flexibilité d'un régime de change flottant avec la stabilité d'une bande de fluctuation. Cette approche permettrait au Maroc de profiter des avantages des deux systèmes tout en minimisant les risques.