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Primes d’assurance: éternelle discorde entre compagnies et courtiers

Primes d’assurance: éternelle discorde entre compagnies et courtiers

La problématique du recouvrement des créances fait toujours débat entre les compagnies d’assurances et les intermédiaires.

Le stock des impayés dépasse les 3 milliards de dirhams à ce jour.

Une solution d’encaissement direct des primes est en cours d’étude et pourrait voir le jour d’ici 2024.

 

Par Y. Seddik

La relation entre les intermédiaires d'assurances et les entreprises d'assurances est souvent altérée par une problématique chronique : le recouvrement des créances liées aux polices d'assurance automobile auprès des courtiers. Cette problématique, qui persiste depuis des années, est très consommatrice de coûts, de temps et d’effort des deux côtés. Avant 2016, une certaine ambiguïté juridique entourait l'encaissement des primes, ce qui permettait aux intermédiaires de collecter ou de reverser les paiements selon leur convenance. Cependant, la circulaire de 2016 a établi que l'intermédiaire, dans le cas des polices d'assurance automobile, est entièrement responsable de l'encaissement des primes et de leur reversement à l'assureur. Mais les pratiques d’avant-2016 ont la peau dure. Certains intermédiaires, pour des fins commerciales ou de concurrence, encaissent toujours au nom de leur cabinet.

Des pratiques qui gonflent le stock des impayés qui ne cesse de grossir. Ce dernier est aujourd’hui estimé à 3,4 milliards de DH (déclarés par les assureurs comme perçus et non reversés), ce qui représente quelque 6 à 8% du chiffre d’affaires global du secteur. Et sur ces 3,4 Mds de DH, 130 à 150 MDH remontent à avant 2016. Le secteur est donc sur une structure d’arriérés assez récente. Ce sujet a été au centre des débats lors de la 7ème rencontre annuelle de la Fédération nationale des agents et courtiers d’assurance au Maroc (Fnacam). Pour son président, Farid Bensaid, «nous ne comprenons pas pourquoi les intermédiaires ont la responsabilité totale de cet encaissement (primes automobile: ndlr) contrairement aux autres polices qui existent sur le marché. Avant 2016, il y avait un flou juridique, mais la circulaire a responsabilisé l’intermédiaire pour l’encaissement et le reversement de la police Mono (individuelle). En pratique, cela ne se passe pas comme prévu. Nous sommes sur un marché où il y a du cash, où les gens sont habitués à payer par fraction, chez les épiciers par exemple. Plusieurs intermédiaires souffrent aujourd’hui de ces impayés à cause des facilités offertes aux assurés, et les assureurs font la pression pour le recouvrement».

La réalité démontre que le processus d'encaissement des primes ne se déroule pas toujours conformément à la réglementation de 2016. Dans un marché où les paiements échelonnés sont monnaie courante et où les transactions en espèces sont répandues, l'implémentation du concept du «Cash Before Cover» aurait pu potentiellement résoudre cette problématique. «Le regard que nous portons sur le sujet n'est pas exactement le même que celui que porte la distribution. Premièrement, un grand nombre de nos intermédiaires n'a aucun problème. Nous avons un secteur moderne qui recouvre ses primes, mais un pourcentage demeure impayé. En 2016, la réglementation a dit que l'intermédiaire encaisse au nom de l'entreprise d'assurances. Si l'encaissement n'est pas fait au nom de l'entreprise d'assurances, l'intermédiaire est réputé l'avoir encaissé. Mais les intermédiaires ne veulent pas encaisser au nom des entreprises d'assurances, mais plutôt au nom de leur agence. Le cœur du problème est là», a tenu à nuancer Bachir Baddou, vice-président délégué de la Fédération marocaine de l'assurance (FMA), pour qui c’est une problématique qui ne concerne pas tous les courtiers.

Le président par intérim de l’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale, Othman Khalil El Alamy, a souligné que «sur le reversement des primes, il a été constaté une évolution positive durant les trois exercices écoulés, passant d’une créance globale déclarée par les entreprises d’assurances de 5 milliards de dirhams en 2020 à 3,4 milliards de dirhams en 2022. Cette situation est le fruit d’un effort soutenu qui a été fourni par l’ensemble des parties concernées, et en particulier les intermédiaires d’assurances». Et de tempérer : «certes, cette amélioration est louable et s’inscrit dans la dynamique du changement qu’on espère pour le secteur. Toutefois, elle reste en deçà des attentes, dans la mesure où elle continue à peser sur le quotidien des intermédiaires, notamment en ce qui concerne le temps imparti aux tâches administratives qui en découlent, ce qui entrave le travail réel de l’intermédiaire d’assurance, à savoir les actions commerciales susceptibles d’améliorer la pénétration assurantielle».

Cash Before Cover, oui mais…

Le principe du «Cash Before Cover», selon lequel les garanties ne peuvent être effectives qu’après paiement de la prime d’assurance, a été proposé comme solution par la FNACAM, mais écarté par la FMA et le régulateur, pour lesquels ce système ne correspond pas aux réalités économiques et sociales du pays. Ce concept est souvent utilisé pour garantir que l'assureur reçoit les fonds nécessaires pour couvrir les risques et les sinistres potentiels avant de fournir la couverture d'assurance. En exigeant le paiement intégral de la prime à l'avance, l'assureur réduit le risque d'impayés ou de primes non réglées. «Concernant le Cash Before Cover, la réglementation marocaine ne le prévoit pas. Il faudra l’analyser par rapport à la situation économique globale et voir un peu les répercussions, notamment sociales sur les assurés», a expliqué Younes Lammat, directeur de la DPA de l’ACAPS.

La législation marocaine ne requiert donc pas explicitement le paiement intégral de la prime d'assurance avant que la couverture ne soit activée. En cela, la question du paiement intégral de la prime avant la mise en place de la couverture reste un sujet de discussion et de négociation entre les compagnies d'assurances et les intermédiaires au Maroc. De son côté, Bachir Baddou a précisé que  «le Cash Before Cover n’est pas égal à la modernité. Nous n’allons pas revenir en arrière dans un dispositif réglementaire parce que nous n’arrivons pas à trouver un système qui nous permettra de remonter le cash le plus rapidement possible. Cela reviendrait à une régression réglementaire, pas à une avancée». Qui plus est, le vice-président de la Fédération refuse l’apurement de ces créances réclamé par les courtiers ne serait-ce que pour la partie avant 2016 (130 à 150 MDH), et ce par principe d’équité.

Une solution définitive d’ici 2024

L’ACAPS avec les entreprises d’assurances ont entamé une réflexion sur une solution qui permettrait le paiement direct entre les mains de l’assureur et le reversement en temps réel de la commission aux intermédiaires, en profitant des facilités offertes par le digital. Selon Baddou, ce projet sera porté par le leader des solutions monétiques HPS, qui a fait la tournée auprès des différentes parties prenantes (ACAPS, entreprises d’assurances, FNACAM). «L’idée est d’enlever à l’intermédiaire le poids qu’il a en termes de prises de risque qui entravent le développement de son activité», a affirmé le vice-président de la FMA. «Si le projet aboutit, le seul canal de paiement sera le digital, qui permettra aussi le fractionnement, avec un domaine de possible très grand. J’ai bon espoir que d’ici la fin d’année, la solution sera présentée aux différentes parties prenantes avec une opérationnalisation en 2024», a-t-il ajouté.

Une telle approche garantirait une plus grande transparence et faciliterait le traitement rapide des flux de trésorerie. En dehors du Cash Before Cover, Bensaid propose, d’une part, d’accepter d’avoir l’encaissement au nom de la compagnie, et de l’autre, la possibilité de recourir au fractionnement sans majoration dissuasive de la part des compagnies. Pour lui, ces choses peuvent régler 90% du sujet en attendant d’autres solutions. Au final, la problématique de l'encaissement dans le secteur de l'assurance automobile entre compagnies d'assurances et intermédiaires demeure un défi complexe qui requiert une réflexion approfondie et des solutions adaptées. Malgré les progrès accomplis, il subsiste des obstacles à surmonter afin d'assurer une gestion efficace des encaissements et des paiements. Seules la collaboration entre les parties prenantes du secteur et l'exploitation des avancées technologiques offrent des perspectives encourageantes pour résoudre cette problématique et promouvoir une industrie de l'assurance plus moderne et transparente. 

 

 

 

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