◆ Ali Chorfi, Directeur général adjoint en charge du Corporate au Crédit du Maroc, nous parle de la réaction de la banque face à la pandémie et ses conséquences sur les entreprises, du produit Damane Relance, du comportement du portefeuille clients de CDM en termes de besoins et de risques, ainsi que des premiers enseignements de cette crise historique.
Propos recueillis par A. Hlimi
Finances News Hebdo : Qu'a fait le Crédit du Maroc pour accompagner les entreprises depuis le début de la crise sanitaire ?
Ali Chorfi : Depuis le début de cette crise sanitaire, toutes les forces vives du Crédit du Maroc se sont mobilisées pour accompagner nos clients entreprises, avec un seul mot d’ordre : être à leurs côtés lors de ces moments difficiles et les accompagner à les traverser dans les meilleures conditions.
Pour nous, il y a eu deux temps forts depuis le début de cette pandémie. Un premier temps où nous nous sommes organisés rapidement pour mettre en place notre plan de continuité d’activité (PCA), et un deuxième temps où nous nous sommes connectés à nos clients.
Notre objectif était d’abord de garder le lien avec eux, les écouter, les soutenir pour ensuite les aider à identifier les meilleures solutions pour leurs besoins. Nous avons la conviction que c’est important pour nos clients, que dans un contexte de crise, la qualité de la relation est essentielle.
En un mot, la banque s’est mobilisée pour ses clients entreprises et a mis en place un dispositif pour accompagner ceux dont l’activité a été fortement impactée par la crise sanitaire via le déploiement des reports d’échéances, de facilités de trésorerie, notamment l’offre Damane Oxygène, et le traitement à distance des opérations de banque au quotidien. Aujourd’hui, grâce aux contacts récurrents avec nos clients, nous disposons d’une vision fine de chaque secteur d’activité et nous sommes en mesure d’adapter nos services et nos solutions à leurs besoins de relance.
F.N.H. : Un mot sur le produit Damane Relance ?
A. C. : Damane Relance est une solution de financement complémentaire qui vient en continuité du dispositif d’accompagnement des entreprises mis en place par l’Etat. Après Damane Oxygène qui a permis de régler les charges vitales du 2ème trimestre, Damane Relance vient à présent répondre aux besoins en fonds de roulement des entreprises, pour les aider à redémarrer leurs activités après une période de fort ralentissement, voire parfois d’arrêt.
Ce prêt garanti par la CCG, selon des critères bien précis, est mis à la disposition des entreprises pour régler leurs fournisseurs, reconstituer les stocks de reprise et régler les dépenses courantes sur une période de 6 mois. Ce crédit est plafonné à un mois et demi de chiffre d’affaires pour les entreprises industrielles et un mois pour les autres.
Face aux impacts de cette crise sur les entreprises et pour soutenir le tissu économique dans sa reprise, cette solution a été conçue de manière à permettre aux entreprises de se concentrer sur la relance de leurs activités, avec un remboursement à moyen terme et la possibilité d’en différer les amortissements pendant 2 années.
Aujourd’hui, nous constatons un réel intérêt pour cette solution de financement. Cet engouement est un signe pour nous que ce produit correspond à un vrai besoin des entreprises. Crédit du Maroc s’est naturellement mobilisée pour traiter les demandes de ses clients dans les meilleurs délais.
Aux entreprises qui hésitent encore à recourir à ce financement, je rappelle qu’il n’est pas trop tard, et je mets en avant quelques critères clés pour les aider à prendre leur décision :
• La vigueur de la reprise d’activité, post confinement, est incertaine. Il est donc important d’anticiper les futures difficultés de trésorerie, afin de maintenir l’outil de production à flot.
• Le paiement des fournisseurs et des autres charges vitales est essentiel pour tenir le cap.
• Les fournisseurs étrangers comme les locaux sont éligibles.
• La période de tirage sur ce crédit Relance est de 6 mois, ce qui permet de régler des commandes futures.
Enfin, le taux d’intérêt est très compétitif sur cette durée, actuellement de 3,5% l’an. Pour toute information complémentaire sur les avantages de ce financement, j’invite les entreprises impactées par cette crise à se rapprocher des chargés d’affaires du Crédit du Maroc.
Ils sauront leur indiquer s’ils sont éligibles en matière de ratio d’endettement. Ils leur préciseront également les limitations temporaires en matière de versement de dividende, et toutes les autres informations sur la nature des dépenses à renseigner.
F.N.H. : Quel est le comportement du portefeuille Corporate en termes de besoins pendant la crise ?
A. C. : Quand on observe cette crise sanitaire devenue également économique, nous constatons plusieurs temporalités et nos clients n’ont pas échappé à cette règle. Nous avons effectivement remarqué plusieurs comportements en fonction des différentes périodes qui ont caractérisé cette crise.
Dans un premier temps, les besoins des entreprises étaient d’abord de pouvoir suivre de près leurs comptes et exécuter leurs opérations courantes, malgré le confinement.
Nous y avons répondu en combinant à la fois du présentiel sécurisé de nos équipes et en assurant le traitement à distance des opérations de nos clients dans le respect des règles de conformité. Pendant cette phase, les entreprises ont manifesté également une réaction de forte prudence.
Nous avons ainsi fait face à des retraits de placements SICAV et à des demandes de lignes de crédits additionnelles pour certains clients. Les entreprises avaient besoin de se rassurer et de garder leurs liquidités ou leurs lignes de crédit disponibles.
D’autres entreprises, ayant eu la chance d’opérer dans des secteurs d’activité clés, tels que les équipements de santé, les importations de produits de première nécessité, ont quant à elles dû accélérer leurs importations et la distribution de leurs produits. Nous avions le devoir de traiter leurs demandes dans des délais très courts.
Depuis quelques semaines, nous assistons à un retour progressif de la confiance. Les entreprises ont commencé à décaisser et à payer leurs fournisseurs. Les utilisations sur les lignes de fonctionnement (Damane Oxygène ou autres) ont significativement augmenté à partir du mois de mai. Aujourd’hui, la reprise redonne de l’espoir à nos entreprises clientes. L’heure est au financement de la relance de l’activité économique.
F.N.H. : Quel est le comportement du portefeuille Corporate en termes de risques ?
A. C. : Globalement, et grâce aux mesures de report d’échéances, nous n’avons pas constaté d’augmentation significative des impayés, ce qui est une bonne nouvelle. Au niveau du Crédit du Maroc, nous avons mis à profit le plan de contact clients pour réaliser une revue de portefeuille de la situation de nos clients et qualifier ainsi l’impact sur les risques.
Nous avons analysé les différents domaines de la chaîne de valeur, des problématiques RH, aux sujets d’approvisionnement et logistique, les ventes, le recouvrement, et plus globalement l’état d’esprit du dirigeant face à la crise.
Cet exercice nous a permis d’anticiper les difficultés de certains clients, déjà fragilisés avant la crise, et ceux dont la reprise sera plus longue comme l’hôtellerie, les activités de loisir, ou encore l’aéronautique. Il est à noter que notre politique de provisionnement et d’anticipation des risques a toujours été prudente. Par ailleurs, nous disposons de fondamentaux financiers solides.
F.N.H. : Quels sont les perspectives et les enseignements de la crise ? Quelle est la vision de Crédit du Maroc sur la banque de demain et l’évolution des besoins des clients ?
A. C. : Cette crise, caractérisée de difficile, de compliquée et d’imprévisible, nous a transformés. Elle a bouleversé nos habitudes, notre quotidien, nos modes de travail et nos certitudes. Comme toute expérience de la vie, nous pouvons en tirer des enseignements et explorer de nouvelles opportunités qui nous aideront à nous réinventer.
Ma lecture des enseignements de cette crise se résume dans les points suivants :
• Une agilité extraordinaire, avec une capacité à travailler différemment dans des délais très rapides et un déploiement dans un temps record du plan d’urgence face à la crise.
• La mise en exergue de la nécessité de l’accélération de la digitalisation et de la dématérialisation des processus.
• L’importance des TPME dans l’économie marocaine et la nécessaire inclusion du secteur de l’informel.
Le secteur bancaire représente une composante majeure de l’écosystème marocain, avec un rôle de moteur et de financeur de l’économie. Un rôle qui s’est trouvé amplifié dans ce contexte difficile. Un rôle qui appelle à la transformation pour assurer la pérennité du secteur.
Cette transformation pourrait passer par :
• Une approche risques revisitée, qui tient compte des évolutions dues à la crise;
• l’accélération de l’expérience client digitalisée, sans rompre le lien avec l’humain;
• la réduction du cash comme moyen de paiement et la promotion des nouveaux moyens de paiement;
• une organisation du travail à repenser pour le bien-être des collaborateurs et une efficacité opérationnelle optimale.
Côté entreprises, le challenge est de taille aussi. Elles devront également adapter leurs businessmodels pour rebondir.
Les possibilités sont là :
• des opportunités de diversification des canaux de distribution et des débouchés d’activité;
• des mouvements de rapprochement d’entreprises permettant de consolider les positions avec des quick win et une vision à long terme plus sereine;
• l‘importance du rôle de l’Etat pour stimuler les investissements, en infrastructures notamment, et en partenariat avec le secteur privé;
• selon les secteurs d’activité, nous projetons, d’une part, des repositionnements sur les marchés étrangers et, d’autre part, le développement du ‘made in Morocco’.