Le recours à la blockchain serait-il de nature à renforcer l’inclusion financière ?
Des experts prônent la mise en place d’un cadre légal qui lui est dédié.
Mais les barrières à l’inclusion financière au Maroc sont autres que technologiques.
Par Momar Diao
Le récent discours du Roi à l’occasion de la rentrée parlementaire est une preuve évidente du long chemin qui reste à faire pour parachever le processus de l’inclusion financière au Maroc, dont le secteur bancaire a un rôle crucial à jouer. «Pourtant, certaines catégories de la population, qui considèrent le secteur bancaire comme un organisme ne recherchant qu’un profit immédiat et sans risque, en ont une perception négative. Cette représentation est justifiée par des faits, tels que le difficile accès des jeunes entrepreneurs au crédit, le faible accompagnement des diplômés et des petites et moyennes entreprises lors de leur création», dixit le Roi.
Ce constat qui sonne comme un rappel à l’ordre, est également une invitation à explorer tous les moyens afin de faciliter l’accès au financement des personnes vulnérables (femmes, jeunes entrepreneurs) ainsi qu’aux TPE, PME et auto-entrepreneurs.
Au regard de ce qui précède, l’Etat et les principaux acteurs du secteur financier (banques, assurances, régulateurs) ont tout intérêt à oeuvrer pour la promotion de la blockchain. Pour cause, celle-ci affiche une grande propension à intensifier l’inclusion financière.
Il est utile de rappeler que la blockchain permet de faire des opérations entre des parties sans passer par une entité centrale ou un intermédiaire. Cette technologie de désintermédiation, avec à la clef le renforcement de la confiance entre les parties prenantes d’une transaction, a bien investi le système financier des pays qui ont adopté les cryptomonnaies par exemple. Très concrètement, la blockchain assure le transfert de la valeur entre l’expéditeur et l’acheteur sans l’intervention d’un établissement bancaire.
Pourquoi ça bloque ?
A la question de savoir dans quelle mesure la blockchain peut faciliter l’inclusion financière à l’échelle nationale, l’expert le plus réputé dans ce domaine au Maroc et qui n’est autre que Badr Bellaj, co-fondateur de la start-up Mchain, rétorque : «Pour être franc, la blockchain n’est pas la panacée ou la baguette magique qui permettra de régler le problème de l’inclusion financière au Maroc», concède-t-il.
Et de souligner que : «Les freins à l’inclusion financière sont non technologiques et davantage plus complexes. Ils concernent, entre autres la réglementation, les taux d’intérêt élevés, les mentalités de certaines classes sociales spécifiques et l’image du système financier, écornée auprès de certaines populations qui ne font pas confiance aux banques».
Une valeur ajoutée pour le système financier
Le co-fondateur de Mchain qui a étendu ses activités à Londres, estime que la blockchain est une technologie adaptée aux exigences de la microfinance qui cible des personnes à revenu modeste et les TPE.
L’intérêt de la microfinance auprès de sa cible est susceptible d’être accru par la blockchain qui peut à la fois contribuer à la baisse des coûts du crédit et à la réduction des délais d’octroi de celui-ci.
«Il faut savoir que les personnes qui ont recours aux microcrédits, sont très souvent dans l’urgence. Par conséquent, elles ne tolèrent pas des délais de déblocage de crédit trop longs», précise l’expert, qui prône la mise en place d’un cadre légal dédié à la blockchain. Cette technologie est à même de faciliter l’établissement du profil financier d’un client (particulier ou PME).
L’une des pistes mises en avant est que le partage de la base de données comportant les profils financiers des clients et pouvant donné lieu à un système de scoring pour l’ensemble des établissements bancaires et des asso-ciations de microfinance, favorise à la fois l’accès au financement et le gain de temps pour l’attribution des crédits.
L’autre avantage qui serait avéré est la réduction des coûts, puisque les process de vérification et de sécurité sont des coûts cachés du système Blockchain.
Dans le même ordre d’idées, cette technologie serait d’un grand apport pour l’essor du financement collaboratif (crownfunding) en cours d’implémentation au Maroc puisqu’elle mettra directement en lien les investisseurs et les bénéficiaires pour la réalisation de divers projets.
Mobile money Vs blockchain
L’entrepreneur marocain défend une idée pour le moins originale, qui va à contre-courant de ce que l’on entend, ici et là, par rapport à la propension du mobile money à inclure davantage les Marocains financièrement.
«Le mobile money est très souvent vanté comme la solution qui renforcera substantiellement l’inclusion financière dans notre pays. Or, cette nouveauté au Maroc ne résoudra pas le problème car ce sont les mêmes banques qui déploient cette solution mobile. Donc la question de la restauration de la confiance, nécessaire pour l’inclusion financière, à mon sens, restera toujours posée», soutient Bellaj.
En d’autres termes, l’accélération de l’inclusion financière dépendra de la capacité des principaux acteurs à créer un nouveau visage du système financier. L’exemple cité de façon récurrente pour contribuer à cela est la banque totalement digitale, dont le socle est la transparence.
La blockchain pourrait également faciliter l’émergence de nouveaux acteurs financiers. Une condition sine qua non, d’après notre interlocuteur, pour inclure les Marocains encore exclus du système financier.