Tout allait bien jusqu’au jour où le pôle construction du Groupe s’est effondré, sonnant le début d’un véritable capharnaüm financier. Entre la volonté de se désendetter, la grogne sociale, les affaires judiciaires…, Alliances se bat actuellement, avec le soutien de l’Etat, pour sortir la tête de l’eau. Difficile combat.
Dans son cheminement, le Groupe Alliances aura été visiblement victime de son succès. Ou du moins a-t-il été pris dans la spirale euphorique qui a caractérisé, à une certaine période, le marché de l’immobilier. Et avec l’éclatement brutale de la bulle immobilière, que d’aucuns refusent de qualifier de crise, le retour à la réalité fut tout aussi brutal que douloureux.
Pourtant, tout semblait avoir bien commencé. En 2012 notamment, le Groupe Alliances affichait globalement de bons fondamentaux, avec un résultat net consolidé de 1,1 Md de DH, en hausse de 12%, et un résultat net part du groupe de 875 MDH, en progression de 5% par rapport à l’exercice 2011. Les fonds propres consolidés, pour leur part, enregistraient une forte évolution de 51% à 5,97 Mds de DH.
Pour autant, le chiffre d’affaires s’était déprécié de 7,8% à 4 Mds de DH, sous l’effet du changement du mode de contractualisation des projets au sein du pôle Service (de contractant général à maîtrise d’ouvrage déléguée). Cela, sans impact sur la marge opérationnelle qui gagne 200 points de base. Tout autant, le ratio d’endettement s’améliore de 400 points de base pour s’établir à 50% au 31 décembre 2012.
Quelques mois plus tard, en décembre 2013, Alliances accueillait un partenaire de taille: le groupe décida, en effet, d’ouvrir son capital à la Société financière internationale, du Groupe Banque mondiale. La convention signée entre les deux parties portait sur un montant global de 50 millions de dollars, répartis à parts égales entre une augmentation de capital (qui a eu lieu en avril 2014, la SFI s’offrant environ 3% du capital) et l’ouverture d’une ligne de financement convertible en actions. Cet appui précieux visait notamment à renforcer les fonds propres du Groupe, mais aussi devait lui permettre de poursuivre sa stratégie de développement dans les logements social et intermédiaire. D’ailleurs, sur le plan commercial, le succès était au rendez-vous. Le chiffre d’affaires réalisé au 31 décembre 2013 affichait une croissance de 7% à 4,3 Mds de DH par rapport à fin 2012, porté par le bon comportement des pôles «Habitat social et intermédiaire» et «Résidentiel et golfique». Cela, en plus d’un carnet de commandes bien fourni, avec 3 et 5,5 Mds de DH respectivement pour les pôles «Prestation de services» et «Construction». Mieux, le Groupe nourrissait des ambitions panafricaines légitimes, concrétisées d’ailleurs par la signature de plusieurs conventions avec les Etats ivoirien, sénégalais, congolais (Brazzaville) et malien pour, entre autres, la construction de logements. A cette date (fin décembre 2013), le ratio d’endettement du Groupe s’est même amélioré, s’affichant à 49%.
L’affaire se gâte en 2014
Les premières difficultés du Groupe Alliances apparurent en 2014. Au mois de septembre de cette même année, celui qui a occupé le poste de Directeur général du Groupe Alliances Développement Immobilier, Karim Belmaachi, rendait le tablier au motif qu’il voulait «donner une nouvelle orientation à sa carrière, et ce pour des raisons personnelles». Avait-il senti le vent tourner ? En effet, même si les résultats au 30 juin 2014 laissaient apparaître une hausse du chiffre d’affaires consolidé de 11% à presque 2 Mds de DH, le résultat net part du groupe se dégradait de 16% à 207 MDH et le management commençait déjà à parler de l’amélioration du gearing (ratio de la dette financière et bancaire nette sur les capitaux propres) «grâce au désendettement progressif des projets entrés dans un cycle de cash flows positifs dès 2015». Et, quelques mois plus tard, Alliances prit de court le marché en émettant un profit warning. Le pôle Construction du Groupe (EMT et EMT Bâtiment) allait très mal et allait impacter les résultats consolidés 2014. A juste titre d’ailleurs : le chiffre d’affaires consolidé cède 31% à 2,9 Mds de DH. En cause, les fortes dégradations du CA consolidé du pôle construction (-640 MDH par rapport à 2013) et du CA du pôle golfique et résidentiel (-598 MDH). Le RNPG, pour sa part, passe de 580 MDH à -969 MDH d’un exercice à l’autre, alors que l’endettement net du Groupe passe à 8,6 Mds de DH, en hausse de 10% par rapport à 2013.
Conséquence : l’ancienne équipe dirigeante du pôle construction est virée et un plan social draconien est mis en place, l’effectif passant de 6.500 à 1.200 personnes entre juin 2014 et mars 2015. C’est le début d’un plan de restructuration drastique et marathonien visant à assainir les comptes du Groupe. Avec, en toile de fond, des négociations tendues avec les créanciers pour rééchelonner la dette, mais aussi des affaires judiciaires à rebondissement (Rent Négoce, Comptoir métallurgique marocain). Tout cela, sur fond de grogne sociale. En mars 2015 notamment, suite aux difficultés financières du pôle construction, un sit-in est organisé devant le siège du Groupe Alliances à Casablanca. Les ouvriers affiliés aux bureaux syndicaux de la CDT et de l’UGTM réclamaient le paiement des salaires et des cotisations sociales suspendus depuis 1 mois et demi. C’est finalement en juillet 2015 qu’un accord a pu être trouvé avec les délégués du personnel et les représentants des deux centrales syndicales, pour le cas notamment des sociétés EMT, EMT Routes et EMT Bâtiment.
Désendettement et entré en scène du gouvernement
La débâcle financière du Groupe Alliances n’a pas laissé le gouvernement indifférent. Bien au contraire. Les pouvoirs publics, inquiets, ont décidé d’accompagner ce groupe afin de lui éviter une déconfiture qui serait préjudiciable au secteur immobilier en particulier, et plus globalement à l’économie nationale. Aujourd’hui, le Groupe s’est engagé dans une phase de désendettement soutenu, dans un contexte où le marché de l’immobilier tourne au ralenti, le temps pour les promoteurs d’écouler leurs stocks. L’objectif est de ramener l’endettement à 4 Mds de DH à l’horizon 2016. Rappelons qu’en 2014, l’endettement du Groupe (8,6 Mds de DH) dépassait très largement ses fonds propres (5 Mds de DH).
David William