Malgré des finances publiques résilientes, les investisseurs se sont montrés extrêmement prudents quant au financement du Trésor ces derniers mois. Pourquoi les signaux du Trésor étaient-ils inaudibles par le marché ?
Par A. Hlimi
Après un semestre quasiment en apnée, la direction du Trésor peut enfin souffler. Les investisseurs se remettent à acheter des bons du Trésor en masse après une crise de confiance qui aura duré plusieurs mois. La direction du Trésor, pilotée par Fouzia Zaaboul, a mis quelques semaines à peaufiner ces obligations indexées pour enfin trouver une formule qui attire les investisseurs. Mais cette solution a pris beaucoup de temps, de l’avis du marché, et cette reprise de confiance, qu’elle soit durable ou pas, il faut en tirer les bonnes leçons.
Et pour ce faire, il faut en comprendre les causes. Petit retour en arrière…
Au dernier trimestre 2021, alors que l’inflation pointait le bout de son nez aux Etats-Unis, la planète finance voyait venir un resserrement de la politique monétaire américaine. Jerome Powell, patron de la FED, en avait même averti les marchés, laissant entrevoir une dernière fenêtre de 6 à 8 semaines avant de relever les taux de la Banque centrale américaine et rendre difficiles les conditions de financement pour toutes les économies, y compris les émergents et les pays aux économies similaires à la nôtre. C’est à ce moment que le Trésor aurait dû agir et lever à l’international, de l’avis des observateurs. Non que nous avions besoin de devises, mais pour éviter des pressions sur le marché intérieur de la dette. Pour Fouzia Zaaboul, ce raisonnement n’est pas fondé.
«Il n’y avait pas de besoin particulier pour recourir au marché financier international en 2021. Tout d’abord, nous venions juste de faire deux émissions en 2020, l’une en Euro et l’autre en Dollar. Et par rapport au besoin en devises, il n’y en avait pas du tout. Par contre, et dès que la hausse des taux de la FED a commencé à se profiler dans un contexte de pressions inflationnistes, le Trésor a réalisé plusieurs opérations de swap, en 2021, sur des prêts initialement assortis de taux variables indexés sur le Libor USD 6 mois, portant sur un montant total de 507,3 millions USD. Ces opérations ont permis de fixer les taux de ces emprunts à des niveaux bas, réduisant ainsi notre exposition au risque de hausse des taux d’intérêt à l’international», explique-t-elle.
Bien que pas obligatoire, la procédure consiste à mandater des banques d’affaires souvent étrangères, puis de prendre un avion, direction les grandes places financières pour rencontrer les investisseurs. Un roadshow dans lequel on vend la qualité des fondamentaux de l’économie marocaine un peu comme une entreprise se mettrait en avant pour son introduction en Bourse. La dernière fois que le Maroc a émis de la dette à l’international, c’était en 2020. Il avait levé 3 Mds de dollars à un taux moyen un peu au-dessus de 3%. Une opération remarquable, avec une sursouscription de plus de 4 fois, près de 500 investisseurs du monde entier servis grâce à un roadshow mené exclusivement en ligne par Mohamed Benchaaboun, ministre de l’Economie et des Finances à l’époque, et Fouzia Zaaboul. Un an plus tôt, le même ministre et les équipes du Trésor ont mené un large roadshow, cette fois-ci physiquement, à Paris, Zurich, Londres, Francfort et Amsterdam pour une sortie en Euros.
Complications budgétaires
2022 démarre et, tout de suite, le conflit russo-ukrainien donne le la d’une année qui s’annonce difficile. L’inflation est appelée à s’accélérer, le budget de compensation à exploser et les besoins du Trésor à se tendre. La fenêtre de tir sur l’international est maintenant fermée et ne subsiste plus que le marché local et les financements bilatéraux. Les investisseurs locaux tiennent compte de ces données, puis se mettent à exiger des rendements élevés pour prêter au Trésor. C’est la loi de l’offre et de la demande. Et c’est ici la deuxième erreur du Trésor, selon le marché, sans doute la plus grave. Celle de vouloir bloquer la courbe des taux pour éviter une envolée des taux. Étouffer les exigences des investisseurs a tout de suite été décrié. Nous en parlions dès l’été 2022. Cette situation était anormale, un peu comme si on bloquait une action en Bourse pour éviter qu’elle chute. Les institutionnels se sont souvent plaints, arguant que cette situation allait leur porter préjudice. Car en bloquant la courbe des taux et en refusant de prendre en compte les transactions à taux élevés, le Trésor a indirectement faussé les valorisations des portefeuilles des OPCVM où les caisses de retraite placent leurs fonds, provoquant un «dangereux» risque de valorisations.
Sur ce point, Zaaboul relativise : «c’est la première fois que notre marché a été confronté à une si grande incertitude et une si grande volatilité. L’objectif maintenant est de le doter des moyens de se renforcer davantage face aux évolutions qui pourraient survenir et nous travaillons sur ça avec la Place. Plusieurs scénarios sont à l’étude». Une manière pour la responsable de tourner la page, les leçons étant tirées. Les régulateurs du secteur financier voyant la situation devenir dangereuse, ont réagi pour libérer la courbe. Cela a été décidé la première semaine de janvier pour éviter aux banques et aux institutionnels de prendre des pertes à la dernière séance de l’année, en prenant en compte les nouveaux taux qui allaient plomber fortement la valorisation de leurs portefeuilles.
Discours inaudible
Le marché des taux fonctionne aux signaux. Ceux de la Banque centrale et ceux du gouvernement. Ceux en provenance du gouvernement sont sous-pondérés par les investisseurs. Ils estiment que la gestion de la chose budgétaire n’est pas optimisée. D’abord, à cause du fonctionnement en silo, où la direction du Trésor et celle du budget se chevauchent avec, d’une part, des opérations de structuration d’OPCI public - l’Etat étant un important promoteur et bénéficiaire de ces véhicules qui drainent l’épargne vers cette classe d’actifs-. Et de l’autre, un Trésor qui ne trouve pas assez de liquidités sur le marché pour se financer. L’autre reproche des opérateurs est le manque de réactivité des équipes du Trésor. Car il a fallu beaucoup de temps pour mettre en place les obligations indexées et les calibrer. Aujourd’hui, des voix s’élèvent de plus en plus pour la mise en place d’une agence dédiée à la gestion de la dette publique. L’idée fait même son chemin au sein du ministère des Finances, mais Fouzia Zaaboul n’y voit pas d’intérêt particulier, comme elle nous l’explique dans l’entretien.