Propos recueillis par M. Diao
Finances News Hebdo : Quelle est la définition juridique du conglomérat financier sur le plan international et au Maroc ?
Abdelatif Laamrani : Un conglomérat désigne un groupe composé de deux entreprises ou plus ayant différentes activités. En général, il s’agit d’une maison-mère et de plusieurs filiales. Les conglomérats multisecteurs sont souvent de grandes multinationales. Un conglomérat financier se définit comme fournissant des produits ou des services relevant de différents secteurs des marchés financiers (secteur bancaire, secteur des assurances et celui des entreprises d'investissement). Sur le plan normatif international, la question des conglomérats financiers a fait l’objet d’un intérêt croissant depuis les années 1990, avec la création en 1996 du Forum tripartite (ou Joint Forum), entre les trois organisations internationales de surveillance des activités financières : le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, l’Association internationale des contrôleurs d’assurance et l’Organisation internationale de surveillance des valeurs mobilières. Le Joint Forum comprend trente membres provenant de treize pays : l’Allemagne, l’Australie, la Belgique, le Canada, l’Espagne, les États-Unis, la France, l’Italie, le Japon, les Pays-Bas, le RoyaumeUni, la Suède et la Suisse.
Les travaux du Joint Forum vont inspirer une Directive du Parlement européen et du Conseil (Directive 2002/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2002 relative à la surveillance complémentaire des établissements de crédit, des entreprises d'assurances et des entreprises d'investissement appartenant à un conglomérat financier). Au Maroc, rappelons à cet égard que le concept de «conglomérat financier» a fait son entrée dans la législation financière par l’adoption de la loi bancaire n°103- 12. Celle-ci l’a défini dans son article 21 comme étant tout groupe remplissant les trois conditions suivantes : être placé sous contrôle unique ou influence notable d’une entité du groupe ayant son siège social ou activité principale au Maroc; deux au moins des entités du groupe doivent appartenir au secteur bancaire et/ou au secteur de l’assurance et/ou au secteur du marché des capitaux; les activités financières exercées par le groupe doivent être significatives.
F.N.H. : Y a-t-il une nette différence entre les compagnies financières et les conglomérats financiers au Maroc ?
A. L. : Il ne faut pas confondre les conglomérats financiers avec «les compagnies financières» prévues par l’article 11 de la loi bancaire, comme des organismes assimilés qui sont des sociétés qui contrôlent exclusivement ou principalement un ou plusieurs établissements de crédit. C’est-à dire qui détiennent la majorité des droits de vote dans les assemblées, ou du droit de disposer de la majorité des droits de vote en vertu d’un accord ou pacte d’associés ou d’actionnaires ou qui exerce avec d’autres actionnaires ou associés le pouvoir de direction, d’administration ou de surveillance (article 20 de la loi bancaire). Le droit français connaît d’autres formes similaires comme «la compagnie holding mixte», qui est une société-mère, autre qu’un établissement de crédit, qui compte parmi ses filiales au moins un établissement de crédit ou une entreprise d’investissement (article L.517-4- 1 du Code monétaire et financier), ainsi que l’entreprise-mère de société de financement qui est un établissement financier ayant pour filiales exclusivement ou principalement, une ou plusieurs sociétés de financement ou établissements financiers (article L.517-1 du Code monétaire et financier).
F.N.H. : Au Maroc, quelle est l’interrogation fondamentale que soulève la question du contrôle des conglomérats financiers sur le plan de la supervision prudentielle ?
A. L. : Au Maroc, la question qui se pose est celle de savoir si les groupes de sociétés répondant aux 3 critères susmentionnés se trouvent ainsi automatiquement soumis au contrôle de Bank Al-Maghrib sur le plan de la supervision prudentielle. Autrement dit, la société-mère du groupe des sociétés estelle soumise au même titre que les autres établissements de crédit et organismes assimilés aux exigences prudentielles, dont les ratios de solvabilité, de couverture et de répartition des risques, et notamment en particulier les fonds propres et de couverture des risques dans les différentes entités du conglomérat, conformément à l’article 76 de la loi bancaire (et les multiples circulaires du wali de Bank Al-Maghrib prises pour son application). La notion de conglomérat financier, comme elle n’existait pas en droit marocain, le contrôle prudentiel de ces groupes s'exerce actuellement exclusivement au niveau sectoriel (c’est-à-dire les établissements de crédit restent contrôlés par Bank Al-Maghrib, les compagnies d’assurances et de réassurance par l’ACAPS et les sociétés d’investissement par l’AMMC), sans vision consolidée des risques et des transferts possibles de ceux-ci d'un secteur à l'autre, même quand la société-mère constitue aux yeux de la loi «un conglomérat financier» mixte, c’est-à-dire offrant des services non seulement financiers, mais aussi non financiers ou commerciaux.
Toutefois, les rédacteurs de la loi bancaire, vraisemblablement conscients de cette problématique, avaient déjà apporté un début de réponse dans l’alinéa 2 de l’article 21 précité de la loi bancaire. Celle-ci dispose que sans préjudice des dispositions applicables aux entités réglementées appartenant aux secteurs des établissements de crédit, de l’assurance et du marché des capitaux, «les organismes qui contrôlent les conglomérats financiers sont tenus d’établir, sur une base individuelle et consolidée ou sous-consolidée, les états de synthèse relatifs à la clôture de chaque exercice, de les publier, de disposer d’un mode de gouvernance, d’un système de contrôle interne et de gestion des risques, de communiquer aux autorités concernées tous documents et renseignements nécessaires à l’accomplissement de leur mission et de désigner deux commissaires aux comptes». Les modalités d’application des dispositions de cet article devaient être fixées par circulaire conjointe des autorités de supervision du secteur financier, après avis du comité de coordination et de surveillance des risques systémiques. Ce comité est chargé d’analyser les risques pesant sur la stabilité du système financier et de proposer les mesures appropriées permettant d’atténuer les effets de tels risques. Il est composé de représentants des autorités de supervision du secteur financier que sont BAM, l’ACAPS et l’AMMC. L’importance systémique des risques est définie par l’article 79 de la loi bancaire qui prévoit que :«l’importance systémique d’un établissement de crédit est déterminée notamment au regard de sa taille, du degré de son interconnexion avec les marchés financiers et les autres institutions du système financier».
F.N.H. : Enfin, selon vous, pourquoi la circulaire conjointe susmentionnée n’a-t-elle pas encore vu le jour ?
A. L. : Cette circulaire conjointe n’a toujours pas vu le jour, certainement pour des considérations liées au frottement entre plusieurs textes juridiques applicables à la matière, aux prérogatives de régulation différentes des autorités de supervision et à la nature des enjeux et des risques qu’elles sont appelées à surveiller, mais aussi à la complexité technique que présuppose la mise en place d’un tel dispositif de contrôle complémentaire. En rapport avec le sujet des conglomérats financiers, dernièrement, le Conseil du gouvernement a adopté le projet de loi n° 51-20, qui va modifier et compléter la loi bancaire au niveau de l’article 21. Et ce, pour prévoir la possibilité d’homologation de la circulaire conjointe des autorités de supervision du secteur financier au même titre que les circulaires du wali de Bank Al-Maghrib. La publication de ladite circulaire au Bulletin officiel, après son homologation par arrêté du ministre des Finances, lui donnerait la force réglementaire pour s’appliquer aux conglomérats financiers, qui ne font pas partie du périmètre actuel de supervision de Bank Al-Maghrib et qui représentent des enjeux importants pour la stabilité financière.