Jérôme Bouangel et Tarik Amiar, d’African Financial Investment, livrent dans cet entretien leur lecture du marché, entre optimisme mesuré et vigilance face à une valorisation jugée exigeante.
Propos recueillis par A. Hlimi
Finances News Hebdo : Après un épisode marqué par une forte volatilité, notamment à la suite de l’escalade commerciale impulsée par Donald Trump, la Bourse de Casablanca semble reprendre des couleurs. Où en est-on aujourd’hui ?
Tarik Amiar : En effet, le MASI a frôlé récemment le seuil des 18.000 points, un niveau que nous avions identifié comme cible lors de notre intervention au Salon de l’épargne en novembre dernier. Ce rebond a été favorisé par la décision surprise de Bank Al-Maghrib en mars de baisser son taux directeur de 25 points de base, une mesure qui a clairement soutenu le marché. Par ailleurs, nous anticipions une croissance de 5% des chiffres d’affaires et de 10% des bénéfices des sociétés cotées en 2024. Ces prévisions ont été largement confirmées par les publications. Plusieurs sociétés ont d’ailleurs communiqué des perspectives encourageantes pour 2025. C’est le cas, par exemple, de Maroc Telecom qui anticipe une légère hausse de son chiffre d’affaires, une stabilité de son Ebitda et le maintien de ses investissements à hauteur de 20% du chiffre d’affaires hors licences. Mutandis table sur une progression de 10% de son EBE et de 10 à 15% de son résultat courant, notamment grâce à la montée en régime de l’usine de Dakhla. CFG Bank prévoit, quant à elle, une croissance de plus de 20% de son RBE et au moins 12% de son RNPG. Globalement, plus de la moitié des sociétés cotées - représentant environ 80% de la capitalisation - ont publié des résultats en hausse. Seules 16 sociétés affichent des replis, et 7 sont déficitaires. C’est un climat plutôt favorable pour les investisseurs.
F.N.H. : Vous suivez également des indicateurs prospectifs, notamment la croissance attendue des bénéfices. Que disent-ils aujourd’hui ?
T. A. : Cet indicateur est clairement orienté à la hausse. Il se situe actuellement à près de 20% en glissement annuel, au-dessus de ses moyennes mobiles. Cela renforce notre optimisme quant aux fondamentaux du marché actions. Jérôme Bouangel : Ce niveau élevé montre que les analystes révisent positivement leurs anticipations de bénéfices. C’est un signal favorable, car il reflète une dynamique de réévaluation des valeurs cotées.
F.N.H. : D’autres indicateurs macroéconomiques vont-ils dans le même sens ?
J. B. : Oui. Les taux d’intérêt à long terme continuent de baisser, ce qui est également un facteur positif pour les marchés. Cependant, il ne faut pas négliger certains éléments d’incertitude, notamment liés aux politiques tarifaires américaines et à leurs répercussions sur l’économie mondiale.
F.N.H. : Y a-t-il un risque de surévaluation du marché marocain ?
J. B. : Il commence à apparaître. L’écart entre la croissance du PIB et celle de l’indice MASI atteint un niveau historiquement élevé. Le PER prospectif du MASI est aujourd’hui autour de 21, proche du seuil d’alerte que nous fixons à 22. Cela suggère qu’il existe encore un potentiel de hausse - environ 5% -, mais le risque est désormais présent.
F.N.H. : Qu’en est-il de la prime de risque ?
J. B. : Notre indicateur de prime de risque montre actuellement un excès d’optimisme de la part des investisseurs. Lorsqu’elle est très basse, cela signifie que le marché est en excès d’appétit pour le risque. C’est souvent un signal pour adopter une posture plus prudente, voire contrarienne.
F.N.H. : Un autre indicateur que vous suivez est celui de la participation des valeurs à la tendance de fond. Que nous dit-il ?
T. A. : Cet indicateur mesure combien de valeurs participent effectivement à la dynamique haussière. Après un recul observé en fin d’année dernière, il est reparti à la hausse début 2025, en phase avec le rebond du marché. Cependant, il semble marquer un nouveau sommet, ce qui pourrait signaler un essoufflement progressif de la dynamique actuelle.
F.N.H. : Et l’analyse technique dans tout ça ?
T. A. : Elle confirme cette lecture. Le MASI reste au-dessus de ses moyennes mobiles hebdomadaires de 26, 52 et 100 semaines. Le RSI, qui mesurait une situation de surachat, vient de casser un support long terme. Cela pourrait indiquer une divergence haussière cachée, souvent synonyme de poursuite de tendance à la hausse. Toutefois, compte tenu de l’ensemble des indicateurs fondamentaux et techniques, nous anticipons plutôt une consolidation. Une phase de respiration entre 18.300 et 15.500 points serait saine et constructive pour le marché.
F.N.H. : Donc pas d’alerte rouge sur la tendance long terme ?
J. B. : Non, la tendance reste haussière à long terme. Mais une pause s’impose, et cette consolidation pourrait poser les bases d’une prochaine jambe de hausse.