La présentation du rapport annuel de Bank Al-Maghrib est un moment fort, qui marque l’actualité politico-économique du pays.
Totalement indépendant des politiques, le wali de l’institut d’émission saisit l’occasion pour partager son regard sur les grandes orientations de l’économie marocaine. L’occasion, également, de mettre la lumière sur les principales actions menées par la Banque centrale au titre de l’année 2014.
La croissance reste fragile
Le gouverneur de la Banque centrale n’a pas ménagé ses critiques à l’égard du gouvernement Benkirane. L’économie du Maroc en 2014, dit-il, est restée sur un palier de faible croissance avec l’absence de signes tangibles d’un dynamisme global générateur de richesses et d’emplois. Selon lui, les progrès réalisés sur le plan des équilibres sont dans une grande mesure attribuables à des facteurs conjoncturels. Jouahri n’a pas non plus été tendre avec les prédécesseurs de Benkirane en soulevant la question de savoir si les nombreuses stratégies sectorielles, lancées en majorité depuis plus de 5 ans, ont pu atteindre leurs objectifs et produire les synergies et l’élan nécessaires pour enclencher une véritable transformation structurelle de l’économie
Une thérapie de choc pour l’éducation
Sans prétendre à l’exhaustivité, le rapport de BAM citera la «dégradation» du secteur de l’éducation comme l’une des raisons à l’origine de la lenteur de la dynamique économique. «S’il y a un domaine où l’écart entre les ambitions et les réalisations tangibles est inquiétant, c’est bien celui de l’éducation et de la formation», peut-on lire dans le document. «L’échec des différentes tentatives de réforme appelle à une thérapie de choc, où toutes les parties prenantes devraient réaliser qu’au-delà des intérêts catégoriels, c’est l’avenir de notre pays qui est en jeu», ajoute-t-on, en rappelant que le niveau élevé des dépenses de l’éducation prouve que le défi n’est pas lié à la mobilisation de moyens, mais plutôt au «manque d’efficacité et d’efficience, qui se traduit par un faible rendement de l’investissement».
Bourse : L’appel à mobilisation de BAM
S’il ne tarit pas d’éloges sur Casablanca Finance City (CFC), qui a pu, en moins de cinq ans, se hisser parmi les centres financiers internationaux les plus prometteurs, le rapport de BAM n’hésite pas à qualifier la Bourse de Casablanca de «maillon faible de cette place». Jouahri invite les autorités concernées (sans les nommer) à se mobiliser pour dynamiser le marché boursier et redonner confiance aux investisseurs. «La persistance de l’atonie, avec notamment un niveau de liquidité et une contribution au financement de l’économie très faibles, reste préoccupante pour le système financier marocain, dans son ensemble», souligne BAM.
Le marché boursier reste relativement cher en comparaison avec les principales Bourses de la catégorie des marchés frontières (avec un PER à 18,5), mais cela ne l’a pas empêché d’afficher un niveau de rendement (dividend Yield) relativement élevé, de 4,47 contre 3,33 pour le Koweït, et 4,34 pour le Nigéria, les deux rincipales bourses de la catégorie des marchés frontières.
Change : Toujours en attente de flexibilité
La flexibilité du régime de change tarde à voir le jour quoiqu’on ne cesse de rassurer que ce serait juste une question de temps.
«Les autorités de tutelle s’attèlent actuellement à assurer les conditions propices à une transition graduelle», lit-on dans le rapport de l’institut d’émission. Bank Al-Maghrib souligne avoir déjà commencé à adapter son cadre d’analyse et de prévision à cette transition et au ciblage d’inflation, comme nouveau régime de politique monétaire. En outre, insiste BAM, il faudrait capitaliser sur le succès de l’opération d’amnistie sur les avoirs détenus par les résidents à l’étranger : «au-delà de l’apport en termes de recettes pour l’Etat et d’impact sur la position extérieure du Maroc, cette réussite devrait être le prélude d’une nouvelle étape dans ce processus de libéralisation de la réglementation des changes»
Vers un endettement plus soutenable
Comment évoluera la dette à l’horizon 2019 ? L’institut d’émission s’est prêté à un exercice de simulation, en retenant comme scénario de base une croissance moyenne de 4,6%, une inflation moyenne de 1,9% et un déficit autour de 3%, entre 2017 et 2019. Des résultats, en définitive, prometteurs. En effet, après la tendance à la baisse du ratio de la dette observée depuis 2010, BAM table sur un retournement de tendance dès 2017, et ce sous l’effet de la poursuite de la réduction du déficit entamée en 2013. Le ratio de la dette (rapportée au PIB) devrait ainsi passer de 63,2% en 2014 à 65,1% en 2016, puis à 62,1% en 2019. Pourvu que ce soit vrai !
Devises : Les dons boostent le stock
181 milliards de DH, tel est le montant des réserves de devises dont dispose le Maroc à fin 2014, en progression de 26,7 milliards de DH sur un an. Ce montant correspond à l’équivalent de 5 mois et 8 jours d’importations de biens et services, contre 4 mois et 12 jours une année auparavant. Il s’agit là de la hausse la plus importante observée depuis 2006, attribuée à l’amélioration notable des exportations (en particulier l’automobile et les phosphates), mais aussi à la contribution exceptionnelle des dons (12,7 milliards de DH), notamment ceux émanant des pays membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG).
BAM : Un résultat net en baisse de 31%
Aforce de suivre les missions régaliennes (supervision des banques, gestion des systèmes de paiement, etc.) qui incombent à la Banque centrale, on a tendance à oublier sa vocation d’entreprise censée supporter des charges (700 millions de DH au titre des rémunérations du personnel et charges sociales) et dégager des revenus. Au titre de l’année 2014, le résultat net de BAM se chiffre à 811 millions de DH, en repli de 31% en glissement annuel. Cette évolution résulte du recul du résultat des activités de la Banque et, plus particulièrement, des résultats des opérations de gestion des réserves de change (-25%). Celles-ci ont pâti des niveaux de taux de rendement très bas, voire négatifs pour les placements en euros, dégageant un résultat de 777 millions de DH, soit une régression de 257 millions de DH par rapport à 2013, et ce en dépit de la hausse des encours des placements en devises. Par ailleurs, BAM rappelle que la stratégie de gestion adoptée en 2014 a continué à privilégier la sécurité et la liquidité des actifs composant les réserves, à travers, d'une part, le maintien de la qualité de crédit et, d'autre part, le placement dans des actifs liquides, en privilégiant les titres souverains. Elle a dû également prendre en compte le nouveau contexte de taux négatifs sur les titres des pays les mieux notés de la zone euro et de la hausse des réserves de change. «Dans ce contexte, la baisse des taux de rendement s'est poursuivie en 2014 en raison des tombées de titres acquis à des taux élevés, et leur réinvestissement à des taux très bas», explique la Banque dans son rapport annuel.
BAM, un gendarme en veille, ici et ailleurs
BAM s’intéresse de plus en plus à la supervision transfrontalière. «En 2014, la coordination avec les autorités de supervision des pays d’accueil s’est davantage intensifiée et a donné lieu, outre les échanges périodiques à distance, à des contrôles sur place conjoints et à l’institution de collèges de superviseurs fédérant les autorités de régulation des banques marocaines panafricaines», souligne la Banque centrale dans son rapport annuel. Ainsi, la Commission bancaire de l’UMOA a participé à deux missions de vérification auprès de deux banques marocaines pour évaluer le dispositif mis en place pour la surveillance de leurs implantations à l’étranger. De même, Bank Al-Maghrib a mené, conjointement avec cette même autorité, une mission de contrôle d’une filiale de banque marocaine en Côte d’Ivoire.
A l’échelle nationale, outre les 13 missions thématiques (portant sur 24 établissements de crédit), BAM a mené trois missions à caractère général auprès d’une banque, et deux sociétés de financement. «Les principales thématiques couvertes par les enquêtes sur place ont concerné notamment l’analyse de la qualité du portefeuille crédit des établissements contrôlés et l’évaluation du dispositif de sa gestion, la vérification de la mise en oeuvre des recommandations des précédentes missions, l’appréciation de la gouvernance des institutions bancaires, de leur système de contrôle interne et de lutte anti-blanchiment», explique le rapport, sans verser dans le détail de ces missions, à l’instar du rapport annuel du CDVM qui, lui, cite au moins le nombre et la nature des sanctions infligées aux sociétés de Bourse se trouvant sous son périmètre de régulation.
Chèques en bois : Le fléau perdure
Pas moins de 579.037 personnes sont interdites d’émettre des chèques à fin 2014, en hausse de 3,5% sur un an. Le cumul des incidents de paiement non régularisés s’est établi à plus de 2,5 millions de cas, pour un encours avoisinant 66 milliards de dirhams, soit une hausse de 4,8% en nombre et de 9,7% en valeur. La répartition de cet encours par catégorie de clientèle révèle la dominance des personnes physiques, avec une part de 81% contre 19% pour les personnes morales.
La fausse monnaie circule de plus en plus
Le taux des contrefaçons de billets de banque est maintenu aux alentours de huit billets de banque faux par million de billets en circulation (BPM), en deçà du seuil d’alerte fixé par Bank Al-Maghrib, lequel est arrêté à 20 BPM. Ce taux avoisine 40 BPM au Canada, au Brésil et dans la zone euro, et 140 BPM en Grande-Bretagne. Pas moins de 10.914 faux billets, d’une valeur de 1,3 milliard de DH, ont été recensés en 2014, contre 7.680 décelés un an auparavant; soit une hausse de 42% en nombre, et de 51,6% en valeur. La plus forte augmentation concerne le billet de 200 dirhams (44% du nombre total des contrefaçons), suivi par les coupures de 100 dirhams, 50 dirhams et 20 dirhams, avec des parts respectives de 19%, 21% et 16%. La progression susvisée, aussi bien en nombre qu’en valeur, est due principalement aux cas de fausse monnaie détectés par les banques commerciales et par les CPT.
Wadie El Mouden