Droits de douane : la revanche des frontières

Droits de douane : la revanche des frontières

Le vent souffle de nouveau sur les frontières commerciales. Et cette fois, ce n’est plus une brise idéologique mais une véritable bourrasque géopolitique. En moins de trois jours, les droits de douane sont redevenus l’arme de prédilection des grandes puissances.

De Washington à Pékin, les gouvernements dégainent leurs tarifs comme on déploierait des troupes à la frontière. Ce n’est pas un retour au protectionnisme, c’est sa consécration.

Dans cette cacophonie d’annonces, d’intimidations et de calculs diplomatiques, une certitude émerge : le commerce international n’est plus une affaire de libéralisme pur, mais une guerre d’influence économique, où chaque taxe traduit un rapport de force, et chaque exception tarifaire, un pacte politique.

La doctrine du tarif comme levier stratégique

À l’adresse de la Chine, le ton est monté d’un cran : Trump a annoncé vouloir appliquer un tarif additionnel de 50 % sur les produits chinois, si Pékin maintient sa rétorsion tarifaire prévue le 10 avril. Cette mesure viendrait s’ajouter aux 54 % déjà imposés sur certains produits, portant le total à 104 %. Un chiffre qui a fait frémir les places financières et déclenché des sueurs froides à Shanghai.

À ses électeurs, Trump a promis une renaissance industrielle et la fin de la dépendance aux importations. Mais à ses alliés, il offre l’incertitude. Car derrière cette rhétorique protectionniste se cache une réalité brutale : l’Amérique s’isole pour mieux imposer ses règles.

La réponse d’un géant blessé

La Chine n’a pas tardé à réagir. Officiellement, elle "se battra jusqu’au bout". En coulisses, elle prépare une riposte ciblée, en visant particulièrement les secteurs agricoles et technologiques américains. Déjà, le ministère du Commerce a dénoncé une "provocation économique" et s'est dit prêt à engager des représailles "proportionnées et immédiates".

Plus inquiétant encore, Pékin pourrait restreindre l’accès aux terres rares ou à certains composants électroniques stratégiques, dont dépend toute la chaîne de production occidentale. Le signal est clair : la Chine ne se contentera plus de négocier, elle compte frapper là où ça fait mal.

Dans les faits, l’Empire du Milieu s’emploie aussi à diversifier ses marchés, notamment en Afrique, en Asie du Sud-Est et en Amérique latine. L’Occident veut la taxer ? Elle ira vendre ailleurs, sur des terres moins hostiles.

L’Union européenne : équilibre instable et arbitrage stratégique

Coincée entre les deux titans, l’Europe tente d’éviter l’escalade. Mais pour combien de temps encore ? Ursula von der Leyen a appelé la Chine à "une réponse tarifaire responsable" et à ne pas alimenter le cycle de représailles. L’UE, qui dépend encore fortement de ses échanges avec la Chine, cherche une voie médiane.

Cela dit, Bruxelles n’est pas en reste sur le front commercial. Depuis plusieurs mois, l’Union européenne enquête sur les subventions chinoises dans le secteur des véhicules électriques. Une taxe antidumping pourrait être annoncée cet été. L’objectif : protéger l’industrie automobile européenne, en particulier en Allemagne et en France, contre des prix artificiellement bas venus d’Asie.

Dans les couloirs de la Commission, l’on parle d’une "guerre froide commerciale", où chaque tarif devient un geste diplomatique, et chaque silence, une stratégie.

Russie : isolement économique et recentrage forcé

La Russie, frappée de plein fouet par les sanctions occidentales depuis 2022, n’est pas directement concernée par les nouveaux tarifs américains. Mais elle n’en est pas pour autant épargnée. La baisse du pétrole – son principal levier d’influence – conjuguée à une dépendance accrue vis-à-vis de la Chine, la rend plus vulnérable que jamais.

La Banque centrale russe alerte déjà sur un ralentissement brutal de l’économie, dans un contexte où les marchés mondiaux deviennent de plus en plus imprévisibles. Moscou parie désormais sur un réseau parallèle d’échanges avec les BRICS, misant sur une résilience orientée Sud-Sud.

Mais les analystes sont sceptiques : en voulant s’affranchir de l’Occident, la Russie s’enferme dans une dépendance asiatique, et sa marge de manœuvre commerciale s’amenuise.

Maroc : vulnérabilité ciblée et fenêtre d’opportunité

À l’ombre de ces géants, le Maroc se retrouve, lui aussi, sur l’échiquier tarifaire mondial. La récente annonce de l’administration Trump d’inclure le Royaume dans la nouvelle grille tarifaire universelle – à hauteur de 10 % sur toutes les exportations vers les États-Unis – a pris Rabat de court. Ce tarif concerne potentiellement des secteurs stratégiques comme le textile, l’agroalimentaire ou encore l’automobile, où le Maroc s’est imposé ces dernières années comme un hub industriel régional.

Mais cette décision, aussi brutale soit-elle, pourrait aussi servir d’effet catalyseur. Car dans un monde où la Chine devient risquée, et l’Europe protectionniste, le Maroc a une carte à jouer. Grâce à ses accords de libre-échange (UE, USA, ZLECAF), sa proximité logistique avec l’Europe et ses infrastructures modernes (Tanger Med, zones franches industrielles), le Royaume pourrait devenir une plate-forme de production alternative pour les multinationales cherchant à contourner les nouvelles barrières.

Encore faut-il accélérer la montée en gamme industrielle, renforcer la compétitivité logistique, et mieux communiquer sur les atouts marocains. À défaut, Rabat risque d’être un dommage collatéral de la guerre commerciale en cours.

Ce retour en force des droits de douane pose une question plus large : sommes-nous en train d’assister à une reconfiguration totale de l’ordre économique mondial ? La mondialisation, autrefois fluide et libérale, laisse place à une logique de blocs, de barrières, et d’arbitrages nationaux.

Le commerce ne se décide plus à l’OMC, mais à coups de tweets présidentiels, de coups de menton diplomatiques, et de stratégies d’influence. Chaque pays redevient un territoire économique, défendu, protégé, parfois même replié sur lui-même.

 

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