Sécheresse, taux de remplissage des barrages historiquement faible, baisse drastique des nappes phréatiques : le Maroc connaît un sévère stress hydrique. L’Etat organise la riposte, mais sera-t-elle suffisante ?
La situation hydrique au Maroc est alarmante. Le Royaume est frappé de plein fouet par la pénurie d’eau. Mais il n’est pas le seul dans ce cas. Selon les Nations unies, la pénurie d’eau touche actuellement près de 700 millions de personnes dans 43 pays. Et cela va aller en s’empirant. En 2025, 1,8 milliard de personnes vivront dans des pays ou régions touchés par une pénurie d’eau complète et les deux tiers de la population mondiale pourraient vivre dans des conditions de stress hydrique. Selon le scénario actuel sur le changement climatique, près de la moitié de la population de la planète vivra dans des régions soumises à un fort stress hydrique d’ici 2030, dont entre 75 millions et 250 millions de personnes en Afrique. De plus, la pénurie d’eau dans certaines régions arides et semi-arides poussera entre 24 à 700 millions de personnes à se déplacer.
Le Maroc dans le dur
Le Maroc traverse une période particulièrement difficile. Sécheresse, taux de remplissage des barrages historiquement faible, baisse drastique des nappes phréatiques… ont fini par plonger le pays dans un sévère stress hydrique, comme le souligne le rapport du World Resources Institute (WRI). Sur un total de 164 pays, le Royaume se hisse à la 23ème place du classement mondial, se situant dans la case des pays avec un taux de stress hydrique «élevé». Ces données sont confirmées par la Banque mondiale, qui souligne qu’entre 1960 et 2020, les ressources hydriques renouvelables disponibles ont diminué, pour passer de 2.560 m3 à environ 620 m3 par personne et par an, entraînant le pays dans une situation de «stress hydrique structurel».
Au 8 décembre 2022, les réserves en eau du Maroc étaient inférieures à 4 milliards de m3 , avec des barrages qui affichent un taux de remplissage de 23,8% contre 34,6% enregistré l’an dernier à la même période. De même, à cause de l’exploitation excessive de la nappe phréatique, celle-ci connaît une baisse de trois mètres, dépassant, parfois même, les 6 mètres, comme c’est le cas à Zagora et à la Haute Moulouya, selon le ministre de l’Equipement et de l’Eau, Nizar Baraka.
Le Maroc organise la riposte
Face à cette situation critique et une sécheresse qui tend à devenir un défi structurel, l’Etat organise la riposte, à travers notamment le Plan national de l’eau et le Programme national d’alimentation en eau potable et d’irrigation 2022-2027, qui prévoit un investissement de 115 milliards de dirhams. Il s’agit également d’activer la construction des barrages programmés, mettre en place des interconnexions hydrauliques, promouvoir les technologies innovantes dans le domaine de l’eau, et particulièrement le dessalement d’eau de mer, développer de façon soutenue la réutilisation des eaux usées et améliorer l’efficacité hydrique. Dans ce cadre, durant les 3 dernières années, 4 stations de dessalement ont été achevées et mises en service : Al Hoceima, Agadir, Tarfaya et Laâyoune. Et, selon le DG de l’ONEE, Abderrahim El Hafidi, douze projets sont également en cours de développement. La réponse actuelle des autorités suffira-t-elle à garantir la sécurité hydrique du Maroc ? Les projections n’incitent pas à l’optimisme, puisque, selon Baraka qui relève «un véritable problème d’eau qu’on doit affronter», la région méditerranéenne connaîtra à l’horizon 2050 une baisse comprise entre 20 et 30%.
«L’évolution démographique prévisible pour les 30 prochaines années montre que la pression humaine sur les ressources en eau ira en croissant, faisant de la pénurie chronique d’eau une donnée structurelle dont il faut impérativement tenir compte dans les politiques et stratégies de gestion des ressources en eau. Avec l’hypothèse du maintien de la disponibilité des mêmes ressources en eau et le résultat de la projection de la population à l’horizon 2050 qui est de l’ordre de 44 millions d’habitants, nous aurions un ratio de l’ordre de 510 m3 par personne/an. Cette moyenne correspond quasiment au seuil de rareté extrême de l’eau (500 m3 par habitant/ an). Avec la considération des impacts futurs du changement climatique, le Maroc pourrait être situé au cours des prochaines décennies au-dessous du seuil de rareté de l’eau», nous confiait récemment Mohamed Chikhaoui, professeur à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II (IAV) et expert en gestion des ressources sol et eau.
La réponse du Maroc devra donc dès lors être musclée pour faire face à cette situation, et ne point se limiter à des éléments techniques. Ce que confirme Jesko Hentschel, directeur des opérations de la Banque mondiale pour le Maghreb et Malte, pour qui «les événements récents ont montré que les solutions techniques ne suffisent plus à protéger l’économie contre les chocs climatiques et soulignent la nécessité d’adopter des politiques complémentaires, telles que celles décrites dans le nouveau modèle de développement, qui permettraient de tenir compte de la véritable valeur des ressources en eau et d’encourager des usages plus efficients et plus raisonnés».
Mobilisation générale
Qu’ils soient du public ou du privé, tous les acteurs sont actuellement mobilisés pour faire face à cette crise de l’eau. Aujourd’hui, le leitmotiv est de rationnaliser au mieux l’utilisation des ressources hydriques, la principale crainte des autorités étant de ne pouvoir satisfaire les besoins en eau potable, vu la faiblesse des réserves des barrages. Ces besoins ont pu être satisfaits jusqu’à présent grâce au renforcement de l’approvisionnement en eaux souterraines et des barrages réservés au secteur agricole. Parallèlement, diverses mesures d’urgence ont été initiées par le gouvernement, dont notamment le dessalement de l’eau de mer. A Agadir, 15 millions de m3 d’eau ont été traités depuis février 2022. Il est aussi prévu d’accélérer la cadence de réalisation des stations de dessalement d’eau de mer à Casablanca, Safi, El Jadida et Nador, ainsi que la réalisation de la tranche d’urgence du projet d’interconnexion des bassins du Sebou-Bouregreg. En outre, dans le cadre du programme national pour l’approvisionnement en eau potable et d’irrigation, il s’agit également de donner un coup de fouet à la réalisation des petits et grands barrages. Objectif : porter la capacité de stockage à 24 milliards de m3 à l’horizon 2030, conformément aux directives royales.
Clairement, la situation est inquiétante : les décisions urgentes prises ne permettent de régler que partiellement des problématiques ponctuelles, tandis que les mesures structurantes, qui peuvent apporter des solutions durables, ne produiront leurs effets qu’à moyen et long terme. Dès lors, faudra-t-il se préparer dès à présent à une rationalisation de l’approvisionnement dans les grandes villes du Maroc, avec notamment des ruptures dans l’alimentation en eau potable ? Ce n’est pas une option à écarter, au regard notamment des déficits hydriques actuels. Des déficits qui risquent de devenir structurels sous l’effet du changement climatique et qui vont aggraver la crise de l’eau, pas seulement au Maroc, mais dans le monde. La demande sur cette ressource devrait dépasser l’offre de 40% d’ici 2030, selon la Banque mondiale, qui précise que «les sécheresses, les inondations et les autres risques liés à l’eau gagnent en intensité; les eaux souterraines sont surexploitées et polluées; et les villes et les exploitations agricoles sont en butte à de graves pénuries d’eau. Ces phénomènes vont compromettre les acquis du développement et nécessiteront de nouveaux investissements dans des solutions de gestion de l’eau».