Basée à Londres, la Cour internationale de résolution des différends fournit des services d'arbitrage, de médiation et autres procédures ADR (Alternative dispute résolution). Chaque année, plus de 303 affaires sont traitées en moyenne.
Entretien avec Abdelhakim El Kadiri Boutchich, premier Marocain à y occuper le poste de juge.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Il y a 22 jours exactement, vous avez été nommé juge à la Cour internationale de résolution des différends (INCODIR) à Londres et président de la Haute unité judiciaire spéciale des relations arabo-africaines et européennes. La nomination d’un Marocain à cette importante juridiction n’est pas fortuite. Qu’en est-il ?
Abdelhakim El Kadiri Boutchich : La nomination n’est pas du tout fortuite, puisque le Maroc est riche en capital humain jouissant des compétences incontournables dans tous les secteurs, tant sur le plan national qu’international. Les Marocains occupent des postes de responsabilité dans des secteurs sensibles, notamment en Europe, en Chine ou encore aux Etats-Unis. A mon niveau, ma désignation a été faite sur la base des supervisions et accompagnement par le corps judiciaire du tribunal «INCODIR» depuis plus de deux ans, ainsi que mes diverses interventions dans des forums internationaux, où j’interviens dans plusieurs thèmes juridiques et économiques. Il est vrai que mon acquis professionnel de plus de 42 ans, en tant qu’expert et consultant international, en plus de mes référencements auprès des organisations mondiales, ont constitué une matière bien fondée pour décrocher ce titre.
F.N.H. : Justement, vous êtes le premier marocain à occuper ce poste de responsabilité. En quoi consiste votre mission et quelle contribution pouvez-vous apporter à cette haute instance juridique ?
A.E.K.B. : Effectivement, la cour nous dote de tous les pouvoirs pour nous engager dans les négociations. Tout d’abord, avec des entités privées en vue de les convaincre de transmettre leurs litiges au tribunal INCODIR pour les traiter, soit par l’arbitrage, la médiation ou tout autre moyen alternatif «ADR». Ensuite, mener les entités gouvernementales à opter pour la résolution de leurs différends auprès de la Cour internationale de résolution des différends en signant à ce sujet des conventions bilatérales d’investissement «BIT». Nous avons aussi des prérogatives pour entrer en négociation avec des instances gouvernementales et non gouvernementales en vue de lancer des opérations de paix pour régler ou éviter des conflits, et consulter les instances gouvernementales au cours des opérations de paix et transmettre à ce sujet des rapports aux instances compétentes. J’expose, à titre d’exemple, le traitement d’une opération de paix qui a été effectuée au mois de septembre 2022 en Thaïlande : au milieu de la tension croissante en Thaïlande entre les loyalistes et l'opposition, et l'entrée de la justice dans la ligne de confrontation, il est apparu depuis juin que la situation nécessite qu'un expert se rende sur place pour trouver une solution pacifiste. Son excellence le président du Tribunal international pour le règlement des différends, maître Gregory Minto, a demandé au chef de la circonscription de la Cour au Moyen-Orient et Afrique du Nord, son excellence le conseiller Medhat-Al-Banna, de se rendre sur place pour calmer la situation auprès de la Cour constitutionnelle de Thaïlande. Cette dernière ayant émis une ordonnance de précaution pour geler le travail du Premier ministre thaïlandais.
Le président de ladite circonscription a dû redessiner le plan d'action afin de faire passer le processus de construction de la paix (pour éviter les conflits) à la médiation de la paix (pour résoudre les conflits). Il a tenu un certain nombre de réunions avec des politiciens du gouvernement et un certain nombre de juges de la Cour constitutionnelle thaïlandaise. Au final, il a pu obtenir une solution provisoire en permettant au Premier ministre d’assister aux réunions du cabinet en sa qualité de ministre de la Défense. Par la suite, l'équipe de travail a rédigé un mémorandum de défense pour le Premier ministre et a demandé qu'il soit traduit en thaïlandais, puis soumis à la Cour constitutionnelle du pays. Espérant qu'il réussirait à attirer l'attention de la Cour constitutionnelle thaïlandaise sur l’erreur qu'elle a commise en gelant le travail du Premier ministre thaïlandais sans raison. Je suis chargé aussi de faire des investigations dans des conflits à l’échelle internationale et de soumettre mensuellement des rapports à la présidence de la circonscription dont je dépends. Toutefois, ma contribution à cette haute instance judiciaire consiste en la réalisation de la paix et le règlement des litiges.
F.N.H. : Le Tribunal international de résolution des différends joue un rôle important dans l’économie et la stabilité sociale et politique. Expliquez-nous cette équation qui rassemble trois domaines vitaux ?
A.E.K.B. : Les modes alternatifs de règlement des conflits tels que l'arbitrage, la conciliation, la médiation ou encore les négociations de paix permettent d'éviter ou de stopper un procès, d’instaurer la stabilité politique, de maîtriser la durée et le coût du règlement des litiges. Ce qui encourage les investisseurs nationaux ou étrangers à injecter des fonds pour que l’économie nationale connaisse une rotation financière importante par la création d’un pouvoir d’achat solide et durable. Cela permet effectivement de générer des flux commerciaux et monétaires à l’Etat récepteur, surtout que le Maroc dispose d’une zone géographique influente par sa stabilité politique et un coût de revient tolérable dans le tissu commercial et de services par rapport à l’étranger. C’est grâce à une sécurité judiciaire, une équité sociale et une fluidité fiscale que tout État peut atteindre son essor économique et financier. A titre d’exemple, la Cour a pu intervenir en Thaïlande pour résoudre un problème des impôts avec les citoyens.
F.N.H. : Le Maroc a une place de choix en tant qu’investisseur de taille au niveau continental. Partant de ce constat, dans quel cas de figure le Royaume peut être une destination incontournable d’investissement et de règlement des litiges ?
A.E.K.B. : Le Maroc a pu influencer ces dernières années les investisseurs étrangers vers la destination de l’Afrique. Mais, malheureusement, il rencontre encore certains points faibles, dont l’infrastructure routière, le foncier, l’orientation académique vers des formations à valeur ajoutée... De même que la sécurité judiciaire est touchée par la lenteur des procédures, l’entassement des dossiers et l’encombrement des affaires. Mais, malgré ce diagnostic, la résilience du Royaume progresse chaque année, grâce à son économie mondialisée par le biais des conventions bilatérales avec certains pays imposants et influents. Cette stratégie va sans conteste attitrer les investisseurs vers le Royaume en s’ouvrant sur toute l’Afrique. De même, l’adoption par le Maroc d’une nouvelle loi sur l’arbitrage et la médiation conventionnelle, notamment la loi 95/17, constitue un atout additionnel dans sa politique. Dans sa mise en application, l’État impose aux opérateurs économiques et financiers de soumettre leurs différends à la compétence des tribunaux d’arbitrage et de résolution alternatives des conflits. C’est pourquoi la représentation au Maroc de la Cour internationale de résolution des différends «INCODIR», dont le siège est à Londres, participera sans doute à la transition définitive du traitement des litiges et des conflits vers le nouveau système de la résolution alternative des différends.
F.N.H. : Opérant sous l'égide des Nations unies, la vocation de cette Cour est complémentaire à celle de la Cour internationale de justice de La Haye. Quelles sont justement les prérogatives de «INCODIR» ?
A.E.K.B. : C’est une question pertinente : pourquoi on fait appel à INCODIR au lieu d’autres cours similaires. La réponse est que cette Cour agit en tant qu’autorité de nomination d’experts ADR (Alternative du règlement de différends). Elle nomme également des experts dans toutes les formes de litiges et de conflits. Rappelons que chaque année, plus de 303 affaires sont traitées en moyenne.
F.N.H. : Comment fonctionne la coopération entre les entités marocaines concernées et leurs partenaires étrangers ?
A.E.K.B. : Il faut savoir que la résolution alternative des conflits, des différends ou des litiges est composé de l’arbitrage, la médiation, la conciliation et les négociations. L’arbitrage est un moyen judiciaire privé similaire à la voix étatique, par lequel des parties conviennent de soumettre leur différend à un tribunal arbitral généralement composé d’un à 3 arbitres. L'arbitre rend une sentence qui s'impose aux parties, sous réserve du respect de certaines conditions prévues par la loi nationale n°95 /17 «Maroc», et internationale, selon le dossier à traiter et conformément aux dispositions de la loi de l’ONU n°2205/1966 régissant les procédures d’arbitrage dans toutes ses formes. L'arbitrage permet donc de régler un litige, en saisissant non pas les tribunaux de l'État, mais une juridiction arbitrale, en confiant le différend à un ou plusieurs arbitres professionnels choisis par les parties. Il constitue dès lors un mode de règlement extra-judiciaire des conflits. La médiation, quant à elle, est une intervention dans un litige ou dans le processus de négociation entre des parties en cause, aidées par un tiers neutre et impartial, sans pouvoir décisionnel. La présence du médiateur a une incidence sur la dynamique de la négociation et contribue souvent à arriver à un règlement final. Il peut aider les parties en conflit à s'entendre pour arriver à un règlement mutuel acceptable des questions en litige.
Pour sa part, la conciliation est une procédure amiable de prévention des difficultés des entreprises. Elle permet à l'entreprise de poursuivre son activité sans que le patron ne soit dessaisi de ses pouvoirs. Elle a pour objectif d'aboutir à la conclusion d'un accord amiable entre l'entreprise et ses principaux créanciers. La négociation, quant à elle, est une forme de communication directe ou indirecte en vertu de laquelle les parties qui ont des intérêts opposés discutent des mesures qu'elles pourraient prendre ensemble pour gérer et éventuellement résoudre le différend qui les oppose. Les parties peuvent traiter du règlement d'un problème existant ou établir les règles de base des rapports qu'elles entretiendront plus tard. De ce fait, les entités marocaines et leurs partenaires étrangers doivent au moment de l’établissement de leurs contrats, insérer une clause compromissoire par laquelle il convient, en cas de provocation de litiges ou de conflits, de les soumettre par exemple à la Cour internationale de résolutions de différends «INCODIR», tout en insérant la loi qui sera applicable pour l’exécution du contrat. Dans ce cas de figure, la sentence est exutoire et incontestable dans le fond. C’est-à-dire que les parties ne peuvent pas remettre en cause les dispositions qu'elle contient, en dehors des voies de recours prévues et que la partie condamnée ne fait pas appel. Une fois la sentence rendue et notifiée, l’exécution volontaire de la sentence par la partie condamnée est l’hypothèse la plus fréquente. Il est conforme à l’esprit de l’arbitrage que le perdant accepte et exécute spontanément la décision des arbitres. La sentence peut donc être volontairement exécutée sans qu’aucune formalité ne soit requise. Sous l’angle procédural, cette exécution s’analyse comme un acquiescement tacite de la sentence. Cet acquiescement sera une fin de non-recevoir des éventuelles voies de recours dirigées ensuite contre la sentence. Mais la procédure d’exequatur sera nécessaire dès lors que la sentence ne sera pas exécutée spontanément. Du coup, les frais et rémunération de la procédure sont supportées par les parties.
F.N.H. : Si le Maroc exige le recours des règlements des litiges à travers la Cour internationale, cette nouvelle démarche permettra-t-elle la création davantage d’opportunités d’investissements dans le Royaume ?
A.E.K.B. : Bien évidemment, c’est un moyen adéquat pour encourager les investisseurs à venir au Maroc pour y investir en toute sécurité, ce qui sera toutefois conditionné par une fiscalité flexible et une assiette foncière encourageante. En conclusion, il est à rappeler que la Cour internationale pour le règlement des différends travaille sous l’égide des Nations unies conformément au droit international (Résolution 31/1976/89), et complète son homologue la Cour internationale de justice de la Haye.