Le Maroc a fait monter la pression d’un cran en décidant la suspension de tout contact avec les institutions européennes, à l’exception des contacts au sujet du recours relatif à l’accord agricole. L’UE a réagi de façon diplomatique, laissant la porte des discussions entrouverte. Se pose alors légitimement la question de l’impact de cet imbroglio sur la coopération bilatérale.
Situation bien embarrassante, voire très délicate que celle que traversent actuellement le Maroc et l’Union européenne. Le vent frais qui circule entre Rabat et Bruxelles a fini par geler les chaudes relations qui ont toujours uni les deux parties, symbolisées, entre autres, par l’Accord d’association entré en vigueur en 2000, le statut avancé dont bénéficie le Maroc depuis 2008, le cadre unique d’appui pour la période 2014-2017, mais également par les négociations en cours pour un Accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca). Autant dire qu’en ce moment la coopération bilatérale ne tient qu’à un fil... diplomatique très tenu. De la diplomatie, le Maroc en a d’ailleurs fait preuve depuis l’incompréhensible décision prise, le 10 décembre dernier, par la Cour de justice de l’UE d’invalider l’accord agricole liant les deux parties, au motif qu’il ne bénéficierait pas assez aux populations du Sahara marocain. Une mesure qui renvoie l’UE à ses paradoxes : d’abord parce cet accord a été approuvé autant par le Parlement que le Conseil européen; ensuite parce que cette décision est en totale incohérence avec les principes fondateurs de l’UE. En effet, cette décision aux relents politiques, qui ne repose sur aucun fondement juridique et à la base de laquelle on retrouve le front polisario, tend à conférer à cette fantomatique organisation une légitimité dont il ne jouit pourtant pas auprès des instances de l’UE. C’est la raison pour laquelle dès l’annonce de cette décision, le Maroc a ouvertement montré son indignation, car il ne s’agit plus d’une affaire «simplement» commerciale, mais plutôt de raison d’Etat, d’autant qu’il est question de la souveraineté nationale. Et l’appel interjeté le 19 février par la Commission européenne contre la décision du tribunal n’a visiblement pas réussi à apaiser les tensions.
Le Maroc met la pression
Il semble évident que l’attitude relativement passive de l’UE et son manque d’allant dans la gestion de ce dossier ont fini par passablement irriter Rabat. Qui a fait monter la pression d’un cran en décidant, le 25 février dernier, de suspendre tout contact avec les institutions européennes, à l’exception des contacts au sujet du recours relatif à l’accord agricole. Une radicalité à la laquelle l’UE, à travers son porte-parole, a répondu le lendemain avec diplomatie, mais avec une pointe d’agacement à peine voilée. «L'UE et le Maroc ont développé, depuis de longues années, un partenariat durable scellé par un Accord d'association couvrant les nombreux domaines de notre coopération bilatérale. L'UE a réagi rapidement à la décision du tribunal de l'UE du 10 décembre 2015 concernant l'application de l'accord agricole avec le Maroc, en décidant unanimement de faire appel de cette décision. Cet appel a maintenant été soumis», note-t-il.
Et d’ajouter que «notre conviction est qu'un véritable partenariat implique l'écoute, le partage, la solidarité et le respect mutuels entre partenaires. De nombreux contacts ont été effectués à tous les niveaux entre l'UE et le Maroc sur cette question depuis le mois de décembre, et le Maroc a été tenu pleinement informé tout au long du processus, dans le cadre des contraintes juridiques qui s'appliquent. L'UE restera en relation avec les autorités marocaines dans les prochains jours». «Nous sommes prêts à fournir les clarifications et assurances complémentaires pour répondre aux préoccupations du Maroc, afin que les contacts et la coopération puissent être pleinement rétablis dès que possible. Nous évaluerons aussi rapidement que possible les implications de la situation actuelle pour nos programmes de coopération existants», conclut-il.
Les portes du dialogue restent donc toujours entrouvertes. Et dans cette affaire, le Royaume a bénéficié, lundi dernier, de l’appui de l’Allemagne qui «soutiendra la position marocaine dans la procédure d'appel contre le jugement de première instance sur l'accord agricole». C’est ce qu’a assuré le ministre fédéral de l'Intérieur allemand, Thomas de Maizière, à son homologie marocain, Mohamed Hassad. Même son de cloche du côté belge dont le Premier ministre, Charles Michel, a réaffirmé le soutien de son pays à la position marocaine à l'égard de l'arrêt du tribunal de l'Union européenne relatif à l'application de l'accord agricole.
Quelles conséquences ?
Mais pendant qu’en coulisse se joue la bataille diplomatique, les officiels marocains se refusent à tout commentaire. Sauf que, au sein de l’opinion publique, l’on s’interroge logiquement sur les conséquences de ce coup de froid entre Rabat et Bruxelles. Pour un opérateur de la place, «indépendamment de l'accord agricole, le clash avec l'UE était inévitable. En effet, économiquement, via le commerce, l’Union européenne gagne annuellement près de 6,5 milliards d’euros avec le Maroc, quand l’aide accordée n’est que de 200 millions d’euros en moyenne, dépassant rarement les 300 millions. De plus, cette aide est souvent conditionnée par la conduite de réformes sur des thématiques retenues par l’UE. Par ailleurs, les financements de la BERD ou de la BEI demeurent in fine des prêts remboursables comme le sont ceux d’autres organismes comme la BAD ou la BID». Par ailleurs, ajoute-t-il, «en plus du commerce, le Maroc joue un rôle important dans le contrôle de l’immigration clandestine vers l’UE. Ce rôle n'est pas reconnu à sa juste valeur en grande partie à cause de la composition actuelle de l’UE dominée par l’Allemagne, les pays scandinaves et les pays de l’Est qui sont au mieux neutres vis-à-vis du Maroc. Aussi, les pays partenaires du Maroc (France, Espagne, Italie ou Portugal) ont vu progressivement leur influence diminuer au sein de l'UE».
Quand d’aucuns laissent entendre que le Royaume a beaucoup à perdre de la suspension des relations avec l’UE, notre interlocuteur, lui, est d’un tout autre avis. «L'impact du gel des relations est plutôt positif, avec le report certain de la libéralisation des services. Surtout, cette libéralisation pourrait causer davantage de dégâts que l'accord sur les marchandises. De même, c'est l'occasion d'exiger un rééquilibre des échanges économiques, en réclamant son chèque à la manière du Royaume-Uni», explique-t-il. Et de conclure qu’«au niveau politique, avec son pragmatisme, l'UE finira par reconnaître l'importance du Maroc et donner du sens au statut de partenariat avancé». Reste maintenant à savoir si un compromis pourra être trouvé. L’avenir nous le dira certainement.
Un partenariat commercial déséquilibré
Si le Maroc et l’Union européenne entretiennent des relations commerciales très étroites, il n’en demeure pas moins vrai que celles-ci sont largement en faveur de l’UE. En effet, d’après les derniers chiffres disponibles, les échanges commerciaux entre les deux parties ont atteint pratiquement 30 milliards d’euros en 2014, soit une progression de 7% par rapport à 2013. Sauf que le Maroc affichait un déficit commercial d’un peu plus de 7 milliards d’euros, avec 18,2 Mds d’euros de biens importés et 11 milliards de marchandises exportées.
Par ailleurs, rappelons que dans le cadre du partenariat Maroc-UE, il a été signé, le 5 novembre 2014 à Rabat, le protocole d’accord relatif au nouveau cadre de coopération bilatéral (Cadre unique d’appui) pour la période 2014-2017. Il établit les secteurs prioritaires, avec un budget indicatif compris entre 8 et 10 milliards de dirhams.
Dossier réalisé par la Rédaction