◆ L'Exécutif table sur une récession de 5% en 2020 et un déficit budgétaire de 7,5% du PIB.
◆ Mais la conjonction de faisceaux défavorables risque de compromettre sérieusement les projections économiques.
Par D. William
Donner du tonus à l’économie, redémarrer l’outil de production, sauver des centaines de milliers d’emplois en péril: c’étaient, entre autres, les principales raisons qui ont sous-tendu la première phase du déconfinement entrée officiellement en vigueur le 11 juin.
Plus de deux mois après, le constat est bien amer. L’outil productif tourne toujours au ralenti et l’économie nationale, dans sa globalité, patauge, avec en toile de fond de fortes incertitudes entretenues par un manque de visibilité criard. Il faut dire que la hausse subite des cas de contamination a déjoué tous les plans du gouvernement.
S’il s’attendait certes à une augmentation des cas en raison de la levée du confinement, il ne s’imaginait pas, sans aucun doute, qu’elle serait d’une telle ampleur, avec de surcroît des hausses conséquentes de la létalité et des cas critiques. Le ministre de l’Economie, des Finances et de la Réforme de l’Administration, Mohamed Benchaâboun, avait parfaitement raison d’avertir que «la crise n’est pas encore achevée» et que «la vigilance devra rester de mise, car (…) les risques économiques et sociaux susceptibles d’être induits par la crise Covid-19 sont loin d’être totalement écartés».
L’on se rend compte, aujourd’hui, que le Maroc est bel et bien en pleine crise sanitaire et économique. Au point que l’évolution de la situation épidémiologique dans le Royaume risque de faire bien plus de dégâts que prévu. «Les scénarii de reprise qui se dessinent maintenant sont plus en «W» qu’en «V», sur lequel les premières estimations du cadre macroéconomique ont été élaborées», avait-il déclaré dans une interview accordée à Finances News Hebdo en juillet dernier. Sauf qu’au regard de la propagation de la pandémie sur le territoire, toutes les prévisions risquent d’être compromises.
Les agrégats macroéconomiques malmenés
Les finances publiques sont mises à rude épreuve et les agrégats macroéconomiques sont au plus mal. Deux sécheresses consécutives doublées de cette crise sanitaire ont fini par mettre l’économie nationale à genoux. Rappelons, à ce titre, que le gouvernement table sur une récession de 5% en 2020 et un déficit budgétaire qui devrait atteindre 82,4 milliards de DH, soit un taux de 7,5% du PIB. Le haut-commissariat au Plan (HCP) prévoit, quant à lui, une contraction de la croissance de 5,8%, accompagnée par un creusement du déficit budgétaire à 7,4% du PIB.
Mais cette pandémie persistante rend très aléatoire les projections économiques. Simplement parce qu’elle continue de plomber la machine économique. Force est de constater, en effet, que toutes les entreprises qui ont stoppé leurs outils de production pendant le confinement n’ont pas encore repris une activité normale.
Au mois de juillet 2020, la deuxième enquête réalisée par le HCP auprès des entreprises a révélé que 86% de celles qui ont arrêté leurs activités pendant le confinement ont repris totalement et/ou partiellement leurs activités après le déconfinement. Par ailleurs, la reprise d’activité en rythme normal a concerné 40% des grandes entreprises, 35% des PME et 31% des TPE.
Avec un virus circulant actuellement de façon très active, entraînant l’apparition de foyers épidémiques qui conduit à des confinements localisés, à la limitation des déplacements et à la fermeture de certaines unités de production, aucune condition n’est réunie pour une relance économique vigoureuse. «Pour le moment, les prévisions du gouvernement sont réalistes et peuvent être revues soit à la hausse, soit à la baisse selon la conjoncture. Mais plusieurs paramètres aléatoires entrent en jeu et peuvent facilement pousser les indicateurs vers le bas. Outre la situation épidémiologique qui reste un facteur déterminant dans l’évolution économique, la croissance est liée aussi à la conjoncture internationale, puisque plusieurs secteurs dépendent étroitement des partenaires du Maroc à l’étranger», explique l’économiste Mohamed Amrani.
«Par exemple, toutes les prévisions prévoient un marasme quasi total pour le secteur touristique et toutes les activités qui lui sont rattachées, non seulement pour cette année, mais pour 2021 également. Les transferts des MRE seront également impactés sous l’effet de la conjoncture défavorable dans leur pays d’accueil. Pour leur part, les métiers mondiaux du Maroc souffrent également de la demande mondiale. L’activité automobile a repris, mais n’arrive pas à retrouver son rythme normal et il ne faut espérer une véritable relance qu’à partir de 2021», renchérit-il. Youssef Oubouali, professeur universitaire, ne dit lui aussi pas autre chose.
«Tous les gouvernements du monde ont fixé des prévisions et ont été obligés de les réviser quelque temps par la suite. Nous sommes dans un environnement économique dominé par de fortes incertitudes. C’est le cas aussi pour le Maroc. L’exécutif a fait ses hypothèses sur la base des données actuelles. Les projections seront à coup sûr modifiées avec le temps, surtout pour la croissance. Le démarrage de la prochaine campagne agricole est très important», note-t-il. Par ailleurs, poursuit-il, «pour le déficit, le gouvernement fera de son mieux pour le maîtriser au maximum afin que la notation souveraine ne soit pas dégradée. Si la crise sanitaire s’aggrave avec un retour au confinement, l’Etat sera amené à faire davantage d’effort budgétaire qui alourdira son endettement ou se réalisera aux dépens d’autres secteurs ou dépenses qui seront annulées ou différées».
Le monde des affaires est, donc, moribond. Il attend et observe, faute de visibilité et face aux incertitudes. Les 120 Mds de DH à injecter dans l’économie et annoncés par le Roi lors du discours du Trône suffirontils à créer cet électrochoc nécessaire pour un insuffler un nouvel élan à l’économie ? Il faut l’espérer.
Les réunions successives tenues les 24 et 25 août entre le chef du gouvernement, Saad Eddine El Otmani, et les membres du gouvernement, s’inscrivent dans cette optique. Car il s’agit de surmonter rapidement «les difficultés économiques et sociales nées de la pandémie de la Covid-19» et de «jeter les fondements d'une économie forte, compétitive et intégrée». Un objectif qui, pour l’instant, est sérieusement altéré par un coronavirus qui se répand comme une traînée de poudre et qui est encore plus meurtrier.