Protection sociale: «Notre pays pourra enfin avoir un système de santé solide et juste»

Protection sociale: «Notre pays pourra enfin avoir un système de santé solide et juste»

Le méga chantier de la protection sociale est lancé.

22 millions de nouveaux bénéficiaires de l’assurance maladie vont s’ajouter aux 11 millions de citoyens bénéficiant déjà de l’AMO.

Entretien avec Abdelmajid Belaïche, expert en industrie pharmaceutique et membre de la Société marocaine de l’économie des produits de santé.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

 

Finances News Hebdo : Les jalons de la refonte du système de santé ont été posés pour mener à bien le chantier de la généralisation de la protection sociale. Ce projet de réforme se base sur des piliers fondamentaux, pouvez-vous nous en dire davantage ?

Abdelmajid Belaïche : Le ministre de la Santé et de la Protection sociale avait exposé devant sa Majesté le Roi, que Dieu le glorifie, lors du Conseil des ministres du 13 juillet 2022, le grand projet structurant de la réforme de notre système de santé et qui est basé sur 4 piliers. Le premier consiste en l’adoption d’une bonne gouvernance visant le renforcement des mécanismes de régulation de l’action des acteurs, la consolidation de la gouvernance hospitalière et la planification territoriale de l’offre sanitaire à tous les niveaux. D’abord, au niveau stratégique avec la création de la Haute autorité de régulation intégrée de la santé ainsi que des agences dédiées à la santé, telles que l’Agence nationale des médicaments et des produits de santé, l’Agence du sang et produits dérivés du sang.

Au niveau central, la nouvelle gouvernance se traduira par la révision des missions, des fonctions et de l’organisation de l’administration centrale de la santé. Au plan territorial, cela se traduira par la création de groupements sanitaires territoriaux (GST) et des Agences régionales de développement de la santé (ARDS), qui seront chargés principalement de l’élaboration et de l’exécution du programme national régional et du renforcement des mécanismes de coopération et de partenariat entre les secteurs public et privé. Le deuxième pilier de la réforme concernera la valorisation des ressources humaines, notamment à travers l’élaboration de la loi sur la fonction publique sanitaire. Son objectif est de motiver le capital humain dans le secteur public, de réduire le manque actuel en ressources humaines, mais aussi de réformer le système de formation médicale et paramédicale, avec l’ouverture de notre pays à des compétences médicales étrangères et l’encouragement des cadres médicaux marocains résidant à l’étranger de revenir exercer dans leur pays.

Le troisième pilier a trait à la mise à niveau de l’offre sanitaire. L’objectif est de répondre aux attentes et besoins des citoyens en termes d’accès effectifs aux services médicaux, avec une meilleure qualité et de manière mieux répartie sur les différentes régions du Maroc, à travers la mise à niveau des hôpitaux, l’instauration de l’obligation de respect du parcours de soins coordonnés. Enfin, le quatrième pilier concerne la digitalisation de notre système de santé, à travers la mise en place d’un système informatique intégré pour le regroupement, le traitement et l’exploitation des principales informations ayant trait au système de santé et à nos patients. Ce système connectera les différents opérateurs entre eux dans le système de santé, ce qui permettra d’identifier un patient à avoir accès à son historique (pathologies, soins etc.) pour s’assurer du respect du parcours des soins coordonnés. Cela permettra aussi d’optimiser les ressources sanitaires offertes et d’éviter tout gaspillage ou abus. Sans oublier la récupération de précieuses données épidémiologiques et économiques relatives à la santé, en plus de la traçabilité des actes et, donc, la transparence qui en découle.

 

F.N.H. : Le chantier de la généralisation de la protection sociale lancé par Sa Majesté le Roi vise à faire bénéficier 22 millions de Marocains d’une assurance maladie. Quels sont justement les enjeux de ce grand chantier Royal ?

A. B. : Je rappelle que ces 22 millions de nouveaux bénéficiaires de l’assurance maladie vont s’ajouter aux 11 millions de citoyens bénéficiant déjà de l’AMO. Cette inclusion ne concerne pas seulement la couverture sanitaire universelle (CSU), mais aussi la protection sociale (retraite, indemnités pour perte d’emploi ou allocations familiales). C’est donc un moment historique où notre pays pourra enfin avoir un système de santé solide et juste, avec une égalité et une certaine équité pour l’ensemble des patients face aux risques sanitaires ou autres. Cela constituera une totale rupture avec un passé où une bonne partie de la population était soit exclue de l’offre des soins, soit incluse dans un système de santé à deux vitesses. Avec d’un côté des adhérents de l’AMO qui avaient le choix d’aller se faire soigner dans le public ou dans le privé, et les Ramedistes qui n’avaient aucun choix que d’aller se faire soigner dans l’hôpital de leur quartier ou de leur ville. Et parfois les ressources humaines étaient insuffisantes, ce qui explique les longs délais pour accéder aux soins ou se faire diagnostiquer.

Notre système de santé a commencé à devenir réactif et adaptatif dès le début de la pandémie, grâce à une forte mobilisation des ressources humaines disponibles dans le public, dans le privé ou dans les forces armées. Egalement grâce à une allocation de ressources financières importantes et exceptionnelles qui ont dépassé largement celles du ministère de la Santé, et à une approche transverse qui a impliqué plusieurs ministères, dont ceux de l’Intérieur, des Finances ou de la Défense nationale. La pandémie de la Covid-19 a été une grande leçon pour tous les pays, dont la plupart ont remis en cause leurs approches en matière de santé. Dieu merci, notre pays a fait preuve de résilience face à cette crise sanitaire et à ses conséquences socioéconomiques. Les pertes humaines, bien qu’importantes (près de 16.000 décès), restent très faibles en comparaison à d’autres pays, y compris les plus développés qui ont déploré des centaines de milliers de pertes. Par contre, les enseignements ont été très riches pour notre pays qui a connu une profonde transformation (travail à distance, digitalisation, livraisons à distance et nouvelle approche de notre système de santé). La pandémie passera, mais ces dernières transformations resteront durables pour de multiples raisons.

 

F.N.H. : Qui dit généralisation de l’assurance maladie, dit une augmentation de la demande de services de santé, de médecins, de médicaments… Qu’est-ce que cela implique pour le système de santé marocain dans sa globalité ?

A. B. : Effectivement, cette inclusion de 22 millions de citoyens supplémentaires se traduira par une forte demande en soins, y compris en hospitalisations, en médicaments et en dispositifs médicaux. Certaines de ces composantes de soins sont très coûteuses, ce qui nécessitera une mobilisation de financements importants. Dans ce contexte, notre approche de ces dépenses doit être celle des dépenses-investissements et non pas de dépenses-pertes. La vie des citoyens et leur santé sont le bien le plus précieux, leur sauvegarde mérite tous les investissements possibles et soutenables.

 

F.N.H. : Ce grand projet nécessite une enveloppe budgétaire conséquente. Comment réussir le financement d’un tel chantier et quelles sont les prochaines étapes ?

A. B. : Je rappelle que pour ce méga-chantier, une enveloppe annuelle de 51 milliards de DH est mobilisée, dont 14 milliards de DH pour la couverture sanitaire universelle et 37 milliards pour la protection sociale, alors que le budget du ministère de la Santé pour les années précédentes n’a pas dépassé les 6% du budget du gouvernement. Maintenant, bien malin celui qui pourra dire si ce budget sera suffisant face aux énormes besoins ou s’il n’y aura pas des dérapages avec des soins injustifiés ou des abus, et si les besoins des citoyens en santé seront satisfaits de manière raisonnable et acceptable. Seul l’avenir nous le dira.

 

F.N.H. : Meilleure gouvernance du médicament et de l’industrie pharmaceutique, un système de santé plus solidaire, promouvoir la recherche scientifique... Autant de finalités que le Maroc compte réaliser pour atteindre sa souveraineté sanitaire. Comment y parvenir ?

A. B. : La souveraineté sanitaire est justement le mot-clé. Il est important que notre pays ait le contrôle sur le devenir de sa population en matière de santé, de médicaments et de dispositifs médicaux. Cela passe par la substitution des importations par la fabrication locale et le renforcement de cette dernière, mais aussi par la diversification des sources d’approvisionnement dans le cas des produits non fabricables au Maroc. Mais il est impossible d’envisager un secteur de médicaments ou de dispositifs médicaux dans le cadre de cette CSU, où la libre concurrence ne joue pas. Celle-ci est toujours profitable aux patients, aux organismes gestionnaires de l’assurance maladie et aux différents fournisseurs de soins. Or, pour faire jouer la concurrence, il faut une offre riche et diversifiée et celle-ci ne peut avoir lieu s’il n’y a pas d’autorisations de commercialisation accordées rapidement aux opérateurs. Malheureusement, les délivrances des autorisations de mise sur le marché (A.M.M.) des médicaments et les autorisations de commercialisation des dispositifs médicaux connaissent un très grand retard et, évidemment, le perdant est avant tout le patient.

 

F.N.H. : Le Maroc va se doter d’une usine de vaccins, dont la première pierre a été posée en janvier. Quel serait l’apport de ce projet industriel basé à Benslimane pour le continent ?

A. B. : En effet, il y a deux projets concernant les vaccins. Il y a celui de Sothema, qui produit déjà les vaccins de Sinopharm, et le mégaprojet Sensyo Pharmatech de Benslimane, avec la production en fil & Finish dans un premier temps et la production proprement dite des principes actifs dans un 2ème temps. Cette unité, qui a bénéficié de financements très importants, est en cours de montage. Ce sont là de véritables éléments de la future souveraineté vaccinale du Maroc et son indépendance en matière d’approvisionnements en vaccins non seulement pour la Covid-19, mais aussi pour d’autres pathologies. De plus, ces projets permettront de réduire la facture à l’importation des vaccins qui ont dépassé rien que pour la Covid-19 les 6 milliards de DH en 2021. Avec cette fabrication de vaccins, le Maroc entrera dans le club très fermé des fournisseurs mondiaux de vaccins, avec une production qui permettra aussi de couvrir en grande partie les besoins de l’Afrique. Toutes les réalisations en cours n’auraient pas pu voir le jour sans les orientations Royales de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, mais aussi son implication directe et sa supervision de ces chantiers géants. Sa Majesté, que Dieu le Glorifie, a imposé à ces reformes et réalisations un rythme et une cadence jamais atteints par le passé. L’année 2022 sera une année historique pour la santé des Marocains. 

 

 

 

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