Nouveau gouvernement: montée en gamme des compétences féminines

Nouveau gouvernement: montée en gamme des compétences féminines

Le gouvernement est composé de 25% de femmes, un niveau qui fait écho au taux d’activité féminine dans l’économie marocaine (20%).

L’analyse de la composition gouvernementale est un exercice crucial qui nous permet d’identifier les choix et les priorités de l’exécutif.

Entretien avec Selma El Hassani Sbai, professeur de droit privé à l’Université Mohammed V de Rabat.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

 

Finances News Hebdo : Les femmes ont eu 25% des postes ministériels avec, en plus, certains portefeuilles stratégiques. Quelle lecture faitesvous de cela ?

Selma El Hassani Sbai : Le gouvernement Akhannouch était très attendu sur la question de la parité et du genre. En effet, parti libéral et progressiste, fondé sur une vision moderne de la société marocaine, le RNI s’est appuyé fortement sur ses compétences féminines qu’il a mises en avant tout au long de la campagne électorale. Ce positionnement pro-féminin nous a poussés légitimement à augurer une composition gouvernementale plus inclusive que les gouvernements précédents, avec un nombre significatif de femmes dans les fonctions ministérielles. A cet égard, nous constatons que la composition gouvernementale, du point de vue de la question paritaire, est quelque peu ambiguë. Certes, nous ne pouvons bouder notre plaisir de voir l’un des postes les plus importants du gouvernement occupé par une femme, Nadia Fettah Alaoui, au ministère de l’Economie et des Finances, une première dans notre pays.

De même que nous nous félicitons de la nomination de hautes compétences féminines à des postes aussi stratégiques et exigeants que la transition énergétique et le développement durable pour Leila Benali, et la Transition numérique et la Réforme administrative pour Ghita Mezzour (ministre déléguée). Ces deux secteurs vont conditionner la croissance au cours des 10 prochaines années. Nommer des femmes à leur tête est loin d’être une décision anodine. Cependant, en dépit de cette montée en gamme des compétences féminines au sein du gouvernement, nous regrettons que la composition gouvernementale continue d’être aussi éloignée de l’objectif de la parité. Nous sommes proportionnellement à 25% de femmes. C’est un taux qui fait écho au taux d’activité féminine dans l’économie marocaine (20%). Nous aurions souhaité que la composition gouvernementale soit un élément moteur d’impulsion de nouvelles dynamiques en matière de leadership féminin plutôt qu’un simple prolongement du taux d’activité féminine dans la société marocaine.

 

F.N.H. : La composition du nouvel exécutif est-elle cohérente ? 

S. H. B. : L’analyse de la composition gouvernementale est un exercice crucial, qui nous permet d’identifier les choix et les priorités gouvernementales dès avant l’action du nouveau gouvernement. A cet égard, beaucoup de choses ont été dites. Afin de ne pas tomber dans la redondance, je porterai mon analyse sur 2 nominations qui ont plus particulièrement suscité mon intérêt. Tout d’abord, celle de Chakib Benmoussa à la tête du département de l’Education. C’est une consécration franche des conclusions du nouveau modèle de développement, qui place l’enseignement et l’éducation comme un paradigme essentiel de notre trajectoire de développement. En effet, désigner celui qui a coordonné et catalysé le travail de la CNMD à la tête du secteur de l’enseignement et de l’éducation n’est pas une décision anodine. Le message est clair : l’implémentation du NMD est conditionnée étroitement par notre capacité à révolutionner notre système éducatif, à en faire un levier puissant de croissance et de développement.

Les compétences fines et la haute expertise de Benmoussa, combinées à la feuille de route du NMD, nous permettent de croire raisonnablement au changement tant espéré dans ce secteur. On notera par ailleurs que d’autres membres de la CNMD ont fait leur entrée au gouvernement, ce qui permet de tisser un maillage étroit et opérationnel entre la vision gouvernementale et le NMD. La 2ème nomination qui a attiré mon attention, est celle de Mohamed El Jazouli en tant que ministre délégué chargé de l’Investissement, de la Convergence et de l’Evaluation des politiques publiques. En effet, nommer une compétence éminente du conseil, qui a développé son expertise au sein de grands cabinets de conseil internationaux, notamment Ernst & Young, avant de créer, en 2005, le premier cabinet de conseil marocain «Valyans Consulting», est une décision qu’il faut lire à sa juste mesure. Il ne s’agit plus de faire de la bonne gouvernance un simple discours cosmétique, mais d’utiliser l’évaluation et la cohérence des politiques publiques comme un levier structurant de l’action gouvernementale.

 

F.N.H. : Le programme gouvernemental comporte des engagements budgétivores. Quelles sont les pistes que peut investir l’exécutif pour assurer le financement de ses projets ? 

S. H. B. : Il est vrai que les engagements électoraux du RNI peuvent, par leur ambition et leur ampleur, faire peser de sérieux doutes quant à leur financement, et donc à leur faisabilité. Un système de santé accessible et de qualité avec le système du tiers payant, un revenu minimum pour les seniors, la revalorisation significative des salaires des enseignants, un système solidaire de protection sociale…, ces engagements du RNI traduisent son ancrage résolument social, mais questionnent quant aux ressources nécessaires pour les financer. Les difficultés sont réelles, d’autant que nous traversons une période difficile, marquée par l’onde de choc économique et sociale liée à la crise sanitaire ainsi que par les incertitudes liées au contexte géopolitique régional. Nous remarquons cependant que le RNI a pris soin d’accompagner chaque mesure par un plan de financement qu’il a évalué précisément.

Tout en écartant l’idée d’augmenter les impôts, il sera nécessaire d’élargir l’assiette fiscale, contracter les dépenses fiscales et optimiser les taux d’imposition de manière à correspondre aux capacités contributives réelles des acteurs économiques. D’autres pistes sont également évoquées. Une croissance forte évaluée à 4% permettra de résoudre en grande partie l’adéquation du financement. Par ailleurs, le fonds de solidarité sera maintenu et les contributions optimisées. La vision et les moyens du programme gouvernemental seront précisés incessamment dans le cadre du PLF 2022. Ce projet, bien qu’élaboré par l’équipe sortante, devra cependant être fortement amendé afin de correspondre aux ambitions de la nouvelle coalition gouvernementale. 

 

 

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