Dans ce Maroc en quête d’un nouveau modèle de développement, l’agence MCA-Morocco, en charge de la gestion du programme Compact II de la coopération américaine, fait figure de véritable éclaireur. Il s’agit d’un véritable laboratoire à ciel ouvert du développement économique.
Abdelghni Lakhdar, Directeur général de l'Agence du Millenium challenge account-Morocco (MCA Morocco), nous éclaire sur la philosophie de ce programme, ses mécanismes et son importance stratégique.
Par A.E
Le Compact II, beaucoup de personnes en ont entendu parler, mais peu sauront vous dire de quoi il s’agit exactement. Abdelghni Lakhdar, Directeur général du Millenium Challenge Account-Morocco (MCA Morocco), l’agence en charge de la gestion du programme Compact II, était l’invité de la rédaction de Finances News Hebdo. Il s’est livré au jeu des questions-réponses afin d’expliquer en quoi consiste concrètement le programme Compact II, et expliciter le rôle joué par l’agence MCA-Morocco.
La première chose à savoir est que le Compact est un programme de coopération entre les Etats-Unis (via le Millenium Challenge Corporation) et le Maroc. L’agence MCA-Morocco est un établissement public créé exclusivement pour gérer ce programme pendant une durée de cinq ans.
Une gouvernance spécifique
MCA-Morocco se caractérise par une gouvernance spécifique, puisqu’elle est chapeautée par un Conseil d’administration, appelé Conseil d’orientation stratégique, dont la présidence est assurée par le Chef de gouvernement, et qui rassemble tous les départements ministériels concernés (Finances, Education, Industrie, Intérieur, Agriculture, Emploi, formation professionnelle, etc.), ainsi que les établissements et entreprises publics concernés comme l’Anapec, l’Agence de la conservation foncière. MCC, le bailleur de fonds, siège également dans ce Conseil à titre d’observateur. Le secteur privé et la société civile y sont aussi représentés.
«Le but de cette gouvernance est de gérer, dans une démarche de concertation avec l’ensemble des parties prenantes, des projets de développement innovants, à forts impacts, qui s’inscrivent dans l’ensemble dans les Hautes orientations royales», précise Abdelghni Lakhdar.
«La question de l’impact, celle des bénéficiaires ou celle de l’inclusion, sont des questions centrales du programme Compact», ajoute-t-il.
Précision importante : l’agence a une durée de vie limitée. Elle est dissoute à la fin de l’exécution des projets. La date de dissolution est d’ailleurs prévue dès la création de l’agence. Pour MCA-Morocco, on sait déjà que l’agence disparaitra 120 jours après le 30 juin 2022. «C’est la raison pour laquelle nous avons constamment la pression et la contrainte de mener à bien les projets dans cette durée limitée», indique Lakhdar. C’est une condition inhérente à tous les compacts conclus par MCC dans le monde pour que les projets ne s’éternisent pas.
Lever les contraintes à l’investissement
Notre invité nous a par ailleurs éclairés sur la philosophie qui a animé la construction et la préparation du programme Compact II pour bien identifier les projets à développer. «Il s’agit de relever des défis pour lesquels le pays éprouve des difficultés, qui constituent des contraintes majeures au développement économique», indique-t-il.
Pour cela, a été conduite une analyse détaillée, rigoureuse et scientifique, pour identifier les contraintes qui bloquent l’investissement privé et la croissance.
Les projets développés dans le cadre du Compact II doivent permettre justement d’atténuer ces contraintes.
«Plusieurs contraintes ont été relevées, et les deux parties ont décidé conjointement de travailler sur deux d’entre elles, qui constituent des freins majeurs : il s’agit du foncier et du capital humain», explique A. Lakhdar. A ce stade, les leviers sur lesquels il fallait agir pour lever ces contraintes sont identifiés.
Le défi du foncier
C’est de cette réflexion qu’est née l’idée de travailler sur le foncier industriel. «L’un des freins dont souffre l’entreprise privée est de ne pas trouver le foncier qu’il faut, à l’endroit qu’il faut, au prix qu’il faut», rappelle notre interlocuteur.
Il est vrai que le Maroc compte déjà un nombre important de zones industrielles, dont certaines sont très bonnes. Mais il existe aussi beaucoup de zones industrielles insuffisamment valorisées et qui ne répondent pas aux besoins des investisseurs.
«La clé pour que ces zones soient en phase avec les attentes des entreprises, réside dans la participation du privé dans la gouvernance de ces zones. La gouvernance est un facteur essentiel pour le succès des zones industrielles», souligne Lakhdar.
Dans ce sillage, un nouveau modèle de partenariat entre le public et le privé a été mis en place dans le développement et la gestion des zones industrielles.
Le Compact s’articule donc autour de trois composantes qui se complètent : un projet, un modèle innovant qui sera testé à une échelle significative, et ensuite la réalisation et le suivi.
Le programme Compact s’attaque aussi à la question du foncier rural qui est insuffisamment exploité. C’est toute la problématique des terres collectives situées dans les périmètres irrigués, qui sont exploitées dans l’indivision, ce qui fait que les ayants droit ne peuvent pas investir et profiter de ces terres pour y développer des cultures rentables.
«Nous avons travaillé avec toutes les parties prenantes concernées sur une procédure simple et optimisée, en termes de délai et de coût. Aujourd’hui, cette procédure a été consacrée par une nouvelle circulaire conjointe du ministre de l’Intérieur et du ministre de l’Agriculture. Nous travaillons actuellement sur la melkisation des terres collectives dans le périmètre irrigué du Gharb (51.000 ha) et dans le Haouz (15.000 ha)», nous confie le DG de MCA-Morocco. Cette expérience pilote pourra par la suite être généralisée à l’ensemble des terres irriguées collectives, soit plus de 300.000 ha.
Le rôle de MCA-Morocco va au-delà de la gestion des projets. «Nous sommes en train de mettre en œuvre avec le gouvernement un certain nombre de réformes prioritaires», ajoute-t-il. L’agence accompagne en effet le gouvernement dans l’élaboration d’une stratégie nationale du foncier, conformément aux orientations contenues dans la lettre royale adressée aux participants aux assises sur la politique foncière de l’Etat et son rôle dans le développement économique et social tenues en 2015, et en tenant compte des conclusions et recommandations de ces assises.
Le Conseil économique social et environnemental (CESE) a d’ailleurs été saisi de cette question par le Chef du gouvernement pour donner son avis sur la question, lequel avis servira d’appui à l’élaboration du projet de ladite stratégie, à côté d’un ensemble d’études complémentaires sur la question.
Education et formation
Le capital humain est un autre défi de taille auquel s’attaque le Compact II. L’objectif final est d’améliorer l’employabilité des jeunes. «Nous avons décidé de travailler sur l’éducation secondaire, collège et lycée, la formation professionnelle et l’emploi», rappelle A. Lakhdar.
Pour l’enseignement secondaire, l’approche a consisté à agir sur la performance. Des collèges et lycées ont été sélectionnés (90 établissements, répartis sur 3 régions) et un travail d’indentification des besoins pour améliorer la performance de ces écoles a été mené, afin d’élaborer les projets d’établissement adéquats. L’autre sujet majeur est la formation professionnelle.
«La clé de succès de la formation professionnelle, c’est l’implication du privé. Un système réussi, c’est un système où le secteur privé est présent de bout en bout du processus, car in fine c’est le privé qui recrute», martèle notre invité.
A partir de cette hypothèse-là, un appel à projets du fonds Charaka a été lancé (en 2017), avec des conditions assez ambitieuses. «Nous avons reçu une centaine de projets, et les résultats de cet appel à projets seront bientôt annoncés», nous apprend notre interlocuteur. «Il s’agit d’une quinzaine de centres, en partenariat entre le public et le privé, représentant divers secteurs comme l’agriculture, le tourisme, la logistique, le bâtiment, l’aéronautique, la santé, l’artisanat, etc.», précise-t-il.
A noter que le MCA-Morocco travaille avec le gouvernement pour préparer un nouveau projet de loi qui couvrira l’ensemble des dimensions de la formation professionnelle, en clarifiant les rôles du public et du privé, l’encadrement de la définition des besoins de l’économie en compétences, les procédures d’accréditation des filières, le financement ou encore les questions de genre et d’inclusion sociale. ◆
Encadré : Millenium Challenge Corporation et le Maroc, une belle idylle
Abdelghni Lakhdar a explicité la relation liant les gouvernements marocains et US. Les Etats-Unis considèrent que le Compact est un don du contribuable américain, les règles sont donc très strictes. «Et c’est tant mieux ainsi. A ma connaissance, il n’existe pas d’autres bailleurs de fonds travaillant avec la même démarche», fait-il savoir.
Les procédures sont parfaitement verrouillées, ce qui a le mérite de protéger l’image de l’agence, et surtout de s’assurer que les projets sont bien réalisés au profit de ceux à qui ils doivent profiter.
Avec plus de 1 milliard de dollars de dons accordés par le Millenium Challenge Corporation au Maroc à travers les Compact I et II, le Royaume est le premier bénéficiaire en termes de financements accordés en coopération US parmi la trentaine de pays où le MCC est présent. L’exploit n'est pas mince quand on sait que l’allocation de ces fonds est votée par le Congrès américain sur la base de critères d’éligibilité très stricts.
Ces critères ont trait entre autres à la gouvernance, la liberté économique, la stabilité macroéconomique, la lutte contre la corruption, les libertés civiles et les droits politiques, l’investissement dans le capital humain, etc.
Ces critères sont évalués à travers une vingtaine d’indicateurs, et chaque année, cette éligibilité est scrutée par MCC.! «Il est déjà arrivé que des programmes soient arrêtés pour perte d’éligibilité !», nous apprend Abdelghni Lakhdar.