Commerce extérieur : le Maroc redéfinit ses routes commerciales

Commerce extérieur : le Maroc redéfinit ses routes commerciales

Le Royaume ne veut plus seulement exporter plus, mais exporter autrement. Des marchés diversifiés, plus de valeur ajoutée, une logistique repensée et un soutien numérique aux PME : la stratégie du commerce extérieur 2025-2027 marque un véritable tournant pour le pays, bien décidé à faire de l’export le moteur de sa transformation économique.

Le Maroc a élaboré une stratégie du commerce extérieur très ambitieuse, couvrant la période 2025-2027, avec trois mots d’ordre : diversifier, moderniser et exporter. Les objectifs affichés sont clairs : 84 milliards de dirhams d’exportations additionnelles, 76.000 emplois à créer et 400 nouveaux exportateurs chaque année. Mais au-delà des chiffres, c’est une véritable philosophie de l’export que l’Etat veut infuser dans le tissu économique. Fini les exportations concentrées entre Tanger et El Jadida, dominées par six secteurs et dépendantes de l’Europe.

L’heure est à la reconfiguration géographique, à la montée en gamme et à une vraie inclusion territoriale et sectorielle. «La stratégie repose sur une approche basée sur un diagnostic approfondi et actualisé. En effet, une étude analytique fine a été menée sur plus de 170 marchés internationaux et 1.200 couples produit/marché, associée à une vaste concertation nationale ayant impliqué toutes les régions du Royaume et l’ensemble des parties prenantes (fédérations, associations, entreprises…)», explique Omar Hejira, secrétaire d’Etat chargé du Commerce extérieur.

En somme, le Maroc ne veut plus seulement exporter plus. Il veut exporter autrement. «La nouvelle feuille de route du commerce extérieur 2025-2027 marque un véritable tournant stratégique pour le Maroc. Elaborée à l’issue d’un vaste processus de concertation avec les acteurs économiques, elle repose sur une approche intégrée, participative et pragmatique pour relever trois défis majeurs : diversifier les marchés, élargir la base exportatrice et créer des emplois», analyse Mohamed Benchekroun, professeur et économiste.

Pour y parvenir, le plan ne manque pas de leviers : ciblage de 22 pays à fort potentiel, 200 produits à valeur ajoutée, création d’un guichet digital «One Stop Store Export», généralisation des offices régionaux de soutien à l’export, assurance publique à l’export pour les marchés risqués et plateformes numériques comme TijarIA et Trade.ma. Le projet TijarIA, présenté comme le premier guichet unique digital du commerce extérieur marocain, promet d’être un véritable GPS pour les PME souvent perdues dans la jungle réglementaire.

Consultation des droits de douane, réponses personnalisées, fiches marché… Tout est centralisé. C’était nécessaire. Car pendant que les grandes entreprises surfent sur la vague, les petites rament encore, faute d’informations claires, d’accès au financement ou de partenaires logistiques fiables. Mais naviguer ne suffit pas. Encore faut-il maîtriser les courants. Le Maroc est aujourd’hui trop dépendant de l’Europe, qui absorbe près de 70% de ses exportations. D’où la volonté affichée de s’ouvrir vers l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Amérique latine, voire des contrées plus exotiques comme l’Asie du Sud-Est. Un vrai virage.

 

Le défi de la valeur ajoutée

Le défi est connu. Le Maroc exporte beaucoup, mais souvent des produits à faible valeur ajoutée. Il a encore du mal à bâtir des filières complètes, résilientes et compétitives. «L’enjeu n’est pas seulement d’exporter plus, mais d’exporter mieux, d’exporter plus intelligemment, avec des produits porteurs, créateurs de valeur et adaptés à la demande mondiale. L’enjeu est aussi de proposer des produits et services avec une réelle valeur ajoutée, répondant aux besoins réels des 22 pays visés, notamment en Afrique, en Europe ou en Asie», précise l’économiste Tahiri Said Mohammed.

Cette approche invite aussi à réévaluer les outils traditionnels. Les accords de libre-échange (ALE) ont permis d’ouvrir des marchés, d’attirer des IDE et de muscler certaines filières (automobile, aéronautique, phosphates…). Mais ils ont aussi creusé le déficit commercial. L’exemple de l’accord avec les Etats-Unis est édifiant : le déficit avec Washington atteint 1,8 milliard de dollars en 2023. Alors, que faire ? Renégocier ? Durcir les clauses de sauvegarde ?

Miser sur la montée en gamme pour éviter la concurrence frontale ? La question reste ouverte, mais l’idée générale est claire : il devient indispensable pour le Maroc de reconsidérer ses engagements commerciaux à l’aune de la solidité de l’appareil productif. Omar Hejira ne dit pas autre chose. Selon lui, «dans un contexte mondial marqué par des mutations économiques, sanitaires et géopolitiques profondes, il est de notre responsabilité, en tant que gouvernement, de réévaluer l’état d’avancement de ces accords et de promouvoir une nouvelle génération d’accords plus équilibrés, au service de l’économie nationale».

Et d’ajouter que «c’est dans cette optique que le Royaume a entamé, avec certains partenaires, un processus de réévaluation. C’est notamment le cas de l’Accord de libre-échange avec la Turquie». Dans le même esprit, la question africaine s’impose avec acuité. Dans les discours officiels, l’Afrique est partout. Dans les statistiques, elle est encore trop peu visible : moins de 10% des exportations marocaines. Pourtant, le potentiel est réel. Encore faut-il surmonter les obstacles logistiques, les barrières réglementaires et, surtout, les incertitudes politiques. La ligne maritime Agadir-Dakar, l’extension des hubs comme Tanger Med et la ZLECAf sont autant de pistes à explorer. Mais ce sera un marathon, pas un sprint.

Et cela passera par la mise en œuvre de réformes structurelles solides. En effet, le Maroc a beaucoup investi dans ses ports, aéroports et zones franches… Mais il reste pénalisé par une pénurie chronique de compétences techniques dans les régions les moins industrialisées, une dépendance aux armateurs étrangers, une flotte maritime nationale atrophiée et des coûts logistiques élevés. C’est pourquoi d’ailleurs l’Etat a identifié, grâce à la Stratégie nationale de développement de la compétitivité logistique, le besoin de développer un réseau national intégré de zones logistiques à travers les 12  régions du Royaume sur une superficie globale d’environ  3.300  ha à l’horizon 2030.

En définitive, le commerce extérieur est appelé à devenir le cœur battant de la stratégie économique du Royaume. Car l’export ne peut réussir sans une politique industrielle cohérente, un soutien bancaire adapté, un environnement réglementaire stable et une diplomatie économique proactive. Autrement dit : il ne suffit pas de lever l’ancre. Encore faut-il savoir où l’on va. Raison pour laquelle il ne faut pas laisser le gouvernail à ceux qui pensent que l’export, c’est simplement envoyer des tomates en Europe et des jellabas à Dakar.*

 

 

 

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