Ce que l’on retiendra avec force des revendications de la population ces derniers temps, c’est sans doute une désapprobation de la gestion de la chose locale.
Les griefs touchent de plein fouet la pratique de la décentralisation dont les performances en termes de responsabilité, de transparence et de participation engendrent une sensation fort embarrassante. Tant il est vrai que la réussite d'une politique de décentralisation se concrétise en partie au niveau de sa pratique sur le terrain des réalités. La décentralisation doit profiter d'abord aux citoyens. Or, il est symptomatique de constater que le processus de décentralisation communale, qui s'identifie au processus de démocratie locale, ne doit son existence qu’à la volonté politique, dans la mesure où «les élus n'ont pas eu les compétences nécessaires pour utiliser les pouvoirs et les moyens dont ils disposaient, tandis que l'insuffisance, voire l'absence d’équipements collectifs élémentaires aussi bien dans les villes que dans les campagnes, suscite le scepticisme des habitants à l'égard de l'utilité de l'institution communale» à l’heure même où le Maroc est engagé dans une dynamique qui est censée donner une nouvelle impulsion à la décentralisation, notamment régionale, avec des attributions élargies aux pouvoirs locaux.
Ce constat décevant d’une décentralisation inachevée remet sur le devant de la scène politique en ces temps difficiles, certes, la question de la gouvernance qui est associée à une volonté de développer des stratégies de participation de tous les acteurs de la société dans l’élaboration des décisions en les impliquant davantage dans la conception des choix collectifs.
Dans ce contexte, la gouvernance territoriale, en tant que nouvelle démarche managerielle, offre bien des opportunités qui impliquent «un approfondissement des relations entre les institutions publiques (décentralisées, déconcentrées), la société civile et le secteur privé, dans la perspective de définir un intérêt collectif local. Elle a pour fonction de contribuer à relégitimer et catalyser une action publique qui réponde aux aspirations des populations et aux enjeux spécifiques des territoires locaux».
S'il est largement admis que l'institution communale au Maroc est une réussite sur le plan politico-administratif dans le sens de l'enracinement et de l'approfondissement de la démocratie locale, elle a cependant démontré ses limites quant à la gestion de la chose publique ; bien que les pouvoirs publics ne cessent de vanter ses mérites, considérant souvent qu'elle constitue le pivot de toute l'administration territoriale et de la démocratie locale.
Ce postulat suppose au préalable que le citoyen doit être suffisamment éclairé sur les enjeux de ses choix pour que cet acte soit véritablement un acte responsable et médité.
Or, il est patent de constater que dans le contexte propre à notre expérience communale, le choix d'associer étroitement la population à la gestion des affaires publiques n'a pas permis, ou du moins peine à atteindre cet idéal démocratique.
Au niveau des principes, le Maroc entendait inscrire ses choix politiques dans ce courant qui est en même temps pratique et un état d'esprit. La réforme de la décentralisation communale multiplie les cadres juridiques ouvrant la voie à de telles associations ; les nouvelles dispositions de la loi nº 17-08 portant organisation communale sont explicites à ce sujet, puisqu’elles ambitionnent de consacrer les conditions de la bonne gouvernance dans la perspective d’encourager la participation des citoyens à la gestion locale, et ce par la création d’associations ou coopératives en matière d’urbanisme et d’habitat (article 38) et de promouvoir les organisations et associations locales à caractère social, culturel et sportif (article 41). D’autant plus qu’elles consacrent une nouvelle approche de développement économique et social local axée sur la planification stratégique participative.
L’appui que le chef de l’État vient d’apporter à ces concepts novateurs conforte ainsi les choix politiques irréversibles du Maroc tendant à renforcer ce mode de pensée et d’action. «La bonne gouvernance est devenue un outil majeur pour la gestion des grandes villes. Nos cités doivent, donc, s'orienter vers un système permettant d'ouvrir la voie à des initiatives fondées sur une approche contractuelle et participative associant l'État et les villes, et favorisant l'adhésion des divers acteurs politiques, économiques et sociaux, ainsi que la participation des citoyens aux différentes phases d'exécution des programmes locaux».
Il est par ailleurs significatif de constater que le contexte actuel de la gouvernance au Maroc se singularise particulièrement «par une vitalité remarquable de la société civile marocaine et le succès des partenaires sociaux qui ont réussi globalement à conquérir une légitimité certaine, non seulement aux yeux de l’État, mais également aux yeux des citoyens».
Cependant, l’intégration des acteurs non étatiques dans le processus d’un développement participatif est loin d’être systématique, les passerelles entre les élus locaux et les acteurs associatifs semblent rencontrer de nombreuses difficultés ; tout d’abord une double méfiance supposée ou réelle de la part de l’élite locale qui voit dans ces nouveaux acteurs de potentiels concurrents politiques, et celle de la population elle-même qui peut parfois appréhender le rôle du réseau associatif comme un levier pour l’accès au champ politique de ses dirigeants ; ce qui dénote «la difficulté d’établir une séparation très nette entre l’action associative, au sens strict du terme, et l’activisme politique».
Le diagnostic établi par une littérature juridique abondante consacrée à la gestion locale ne porte pas à l’optimisme, il décrit une situation sérieusement érodée par les carences manifestes et les déficits de gestion en termes d’expertise et d’accompagnement, notamment pour des projets de délégation des services publics locaux.
La montée en puissance du régime des délégations de services publics dans tous les domaines de compétences locales notamment pour l'eau, l'assainissement, le transport et la collecte des ordures ménagères, a conduit paradoxalement à une concentration économique autour d'une ou deux entreprises de dimension internationale ; «ce processus a abouti, dans nombre de cas, à une inflation des coûts au détriment des usagers et à une dilution de l'éthique de services publics reconnectés aux contingences économiques d'une régulation marchande». De ce point de vue, il est permis d’affirmer que le malaise de la population rejaillit sur la légitimité même des élus locaux qui sont perçus comme seuls responsables de la défaillance de la gouvernance locale ; telle qu’elle est ressentie et vécue dans certaines grandes villes du pays. Tant il est vrai que «la participation citoyenne est un mécanisme de feedback nécessaire à la propre action municipale, dans la meure où elle permet de répondre de façon précise aux besoins réels de la population».
Certes, la décentralisation ne constitue pas à elle seule la panacée de toutes les contraintes auxquelles se heurtent les collectivités locales, mais elle a la vocation de consolider la démocratie par le bas à un moment où le pays s'engage dans des chantiers de transformations structurelles de l'État qui devraient le préparer à affronter les défis de développement économique et social durable à l'aube du XXIème. Siècle.
Tocqueville n’écrivait-il pas à ce sujet que c’est «dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple, elles lui en font goûter l’usage paisible et l’habituent à s’en servir».
(*) Professeur universitaire de Droit