Immobilier : «Certains chantiers ont été arrêtés en raison de l’éparpillement de la force de travail»

Immobilier : «Certains chantiers ont été arrêtés en raison de l’éparpillement de la force de travail»

Pour les affaires qui étaient en cours de négociation avant la crise, il sera possible de démontrer que la pandémie est une cause sérieuse de suspension.

La pandémie sera certainement utilisée comme un événement de force majeure pour les ventes en l’état future d’achèvement pour allonger les délais de réalisation.

Interview de Romain Berthon, avocat au Barreau de Paris, associé de LPACGR avocats, gérant du bureau de Casablanca.

 

Propos recueillis par B. Chaou

 

Finances News Hebdo : A la suite de la crise sanitaire actuelle, doit-on nous attendre à un rallongement du délai de traitement des dossiers immobiliers, tels que le droit de construction ou encore les délais d’acquisition ?

Romain Berthon : Certains chantiers au Maroc ont été arrêtés en raison de l’éparpillement de la force de travail qui s’est retrouvée confinée dans les régions marocaines. D’autres ont eu des difficultés d’approvisionnement. En outre, les constructeurs ont dû mettre en place des méthodes pour éviter la propagation du virus sur le lieu de travail. Ainsi, l’état d’urgence sanitaire, qui ne semble pas interdire en lui-même le travail sur les chantiers, et la pandémie, ont pu avoir des conséquences sur les délais de construction de certains chantiers.

Par ailleurs, la conclusion des contrats de construction privés, sous seing privé en général, n’est pas empêchée par l’état d’urgence, même si, bien entendu, certaines affaires sont suspendues en raison des incertitudes de l’avenir. Enfin, s’agissant des acquisitions foncières, les notaires ont annoncé avoir repris leurs activités après les avoir suspendues pendant plusieurs semaines ; cela, ajouté à l’immobilisme des affaires et au ralentissement des administrations, a pu retarder les délais d’acquisition du foncier.

F.N.H. : Quelles sont les conséquences de cette crise sur certaines pratiques immobilières telles que la VEFA ou la BEFA ?

R. B. : Les conséquences de la pandémie sur la vente en l’état future d’achèvement (VEFA) et le bail en l’état futur d’achèvement (BEFA) peuvent s’observer à deux moments importants des contrats : leur naissance et leur vie. La conclusion des contrats de VEFA est certainement entravée par la pandémie qui peut empêcher les commerciaux de faire visiter l’appartement ou la villa témoin, et si les discussions sont avancées, la signature des contrats (préliminaire) devant notaire lorsque cela est requis. Par ailleurs, la pandémie sera certainement utilisée comme un événement de force majeure pour les vendeurs en l’état future d’achèvement pour allonger les délais de réalisation.

Enfin, la conclusion des contrats définitifs de vente lorsque le bien immobilier est achevé subira les mêmes difficultés que tous les contrats notariés. S’agissant des BEFA, leur conclusion, qui ne nécessite pas qu’ils revêtent la forme authentique, sera probablement reportée en raison des incertitudes économiques pesant sur les opérateurs. Leur exécution pourra être retardée par les bailleurs qui invoqueront pour certains la pandémie comme un cas de force majeure les ayant empêchés de continuer les travaux pendant l’état d’urgence sanitaire.

 

F.N.H. : Selon vous, la reprise de l’activité notariale peut-elle contribuer à l’amélioration du «climat immobilier» actuel ?

R. B. : Toute reprise est bonne à prendre, particulièrement celle des notaires qui sont un maillon fort de la chaîne de la transaction immobilière : sans eux, pas de possibilité de transfert de droit réel. Tout ce qui peut contribuer à accueillir l’investissement et la transaction immobilière crée un climat propice aux affaires. Bien entendu, les notaires, comme les avocats, ne sont qu’un maillon de cette chaîne commandée par les entreprises qui sont à l’initiative des affaires. Mais bénéficier d’un écosystème en ordre de marche facilite nécessairement ces affaires.

 

F.N.H. : Quel est le sort des transactions immobilières en cours, et celles qui avaient débuté juste avant l'Etat d’urgence sanitaire ?

R. B. : Pour les affaires qui étaient en cours de négociation avant la crise, il sera possible à une partie de démontrer que la pandémie est une cause sérieuse de suspension ou d’arrêt des discussions, à condition bien entendu qu’elle le soit vraiment. Pour les promesses de vente qui ont été conclues avant la déclaration de l’état d’urgence, l’un des décretslois prévoit la suspension des délais légaux, mais pas contractuels. Ainsi, a priori, les délais contenus dans les promesses ne seront pas automatiquement prorogés, et les parties devront proroger de manière amiable la promesse, ou invoquer en justice un cas de force majeure, si les conditions de sa constitution sont bien remplies.

Pour les ventes qui ont été conclues avant la déclaration d’état d’urgence, mais dont les formalités (enregistrement et inscription à la conservation foncière) n’auraient pas encore été accomplies, il sera probablement possible aux parties et notaire de s’appuyer sur la suspension des délais légaux prévu par l’un des décrets-lois, sans certitude que le fisc l’accepte, car on a vu l’administration fiscale considérer pour certaines entreprises que malgré la suspension des délais légaux, ces délais n’étaient pas suspendus vis-à-vis de cette administration.

 

F.N.H. : Qu’en est-il des commerçants qui ne pourront pas s’acquitter en ces temps de crise de leurs loyers ? Et que prévoit la loi en situation d’urgence sanitaire ?

R. B. : Les commerçants locataires de leur local qui ont subi des conséquences négatives en raison de la pandémie ou de l’état d’urgence sanitaire, essaieront certainement de suspendre le paiement de leur loyer, voire de le supprimer. Si la discussion amiable n’aboutit pas, alors le preneur utilisera plusieurs moyens de droit : la force majeure (qui pourrait lui permettre éventuellement de suspendre le paiement des loyers sans que cela ne lui soit reproché) ou la garantie du bailleur (qui pourrait lui permettre éventuellement de suspendre le paiement du loyer, voire de ne pas le payer du tout).

Toutefois, ces moyens ne pourront être efficaces que dans certaines situations (lien fort et direct des événements sur la jouissance du local), et les juges ou les arbitres devront analyser ces moyens pour les admettre éventuellement, et étudieront au cas par cas chaque situation pour déterminer si la règle de droit est applicable à une situation en particulier. Le contrat qui lie les parties aussi sera un élément essentiel pour considérer le partage des risques (notamment celui de la pandémie) entre les parties.

 

F.N.H. : Quelles sont les conséquences de cette crise sur le secteur de manière générale ?

R. B. : L’espérance prend toute sa dimension dans une crise, et dans cette crise l’espérance doit être synonyme de renaissance. Elle aura certainement des conséquences négatives sur le secteur de l’immobilier, mais les crises sont toujours sources d’opportunités, notamment de renouvellement : permettra-t-elle d’accélérer la digitalisation des affaires : on voit des prémices chez certaines administrations, mais pourra-ton bientôt conclure réellement des actes par signatures électroniques comme cela se fait dans certains pays ? Y aura-t-il une véritable révolution de la dématérialisation ? Le télétravail sera-t-il une norme conduisant à revoir la manière d’utiliser l’immobilier des entreprises ?

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