Etat social: «Un investissement pour l’avenir»

Etat social: «Un investissement pour l’avenir»

Le Royaume met progressivement en place les éléments nécessaires à l’édification d’un Etat social, dont l’une des pièces maitresses est l'accès universel à la couverture médicale.

Mais pour le CESE, le modèle d’Etat social marocain devra être construit autour de quatre principaux axes. Détails.

 

Par A. Diouf

Quel modèle d’Etat social fautil pour le Maroc  ? La question était au cœur de la 6ème édition du Morocco Today Forum, organisée par le Groupe Le Matin, sous le thème «Vision d’un Roi  : l’Etat social, en route vers le parachèvement du Maroc inclusif», vendredi 21 juillet 2023 à Casablanca. Pour en discuter et jeter les bases de la structuration de ce chantier royal hautement stratégique, Mohammed Haitami, PDG du Groupe Le Matin, et son équipe avaient invité du beau monde. Notamment les ministres de la Santé et de la Protection sociale, Khalid Aït Taleb; de l'Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports, Chakib Benmoussa; de l'Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l'Innovation, Abdellatif Miraoui; de l'Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour; et le ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaa, représenté par le directeur adjoint au Budget, Aziz Khayati.

D’autres personnalités aussi ont fait le déplacement, dont le président du Conseil économique, social et environnemental, Ahmed Réda Chami; le wali de la Région Casablanca-Settat, Saïd Ahmidouch; le président du Conseil de la région, Abdelatif Maâzouz; ainsi que plusieurs personnalités nationales et internationales, dont des universitaires et experts de la Banque mondiale et de la société civile kenyane et sénégalaise. Les intervenants ont ainsi donné le ton dès l’ouverture du Forum. Le ministre de la Santé et de la Protection sociale a notamment commencé en déclarant que «l’un des fondements de l'État social, c’est l'accès universel à la couverture médicale. Il s’agit aussi de la protection des plus démunis, en fournissant des filets de protection sociale».

La loi cadre n°09.21 relative à la protection sociale en question

Selon Khalid Aït Taleb, l'État social n'est pas seulement un «mécanisme de redistribution des richesses, mais c'est aussi un investissement pour l’avenir». «En effet, SM le Roi a donné ses hautes orientations pour la mise en place d'un système de protection sociale intégrante et inclusive, capable de réduire les risques économiques et sociaux, en particulier au profit des catégories vulnérables», a-t-il également indiqué. Autrement dit, des chocs, comme la crise du Covid19 où le Maroc a vu beaucoup de citoyens basculer dans la pauvreté, malgré les énormes efforts consentis par les pouvoirs publics, ne devront plus avoir cours dans le Royaume après 2025. Pour ce faire, dans un souci de montrer que le sujet de l’Etat social est bien posé dans notre pays, Aït Taleb a rappelé que la loi cadre n°09.21 relative à la protection sociale, adoptée par le gouvernement, a prévu de travailler sur un large spectre d’actions couvrant l’élargissement de la couverture médicale obligatoire de base, la généralisation des allocations familiales, l'élargissement de la base d'inscription dans les systèmes de retraite et la généralisation de l'indemnisation à la perte d'emploi à l’horizon 2025.

Mais est-ce suffisant pour avoir un modèle d’Etat social propre ? En réponse, le président du CESE commence par révéler qu’«il n’existe pas de référence unique de l’Etat social. Néanmoins, quelques modèles d’Etat social se sont imposés, tels que le modèle social résiduel adopté par le RoyaumeUni, le modèle européen continental mis en place par des pays comme la France, l’Allemagne et les Pays-Bas, le modèle nordique, le régime social démocrate et le modèle latino américain implémenté au Brésil et en Uruguay». Poursuivant son propos, Ahmed Reda Chami a ensuite relevé que «bien que la plupart des études montrent une certaine supériorité du modèle nordique, il convient de dire que chaque modèle a ses avantages et ses inconvénients. Et que l’idéal serait un modèle qui satisferait à la fois aux critères d’équité et de viabilité financière». Moralité  : le Maroc devrait s’inspirer des modèles réussis, pour construire son propre modèle d’Etat social qui devra refléter son histoire unique, sa culture propre, ses valeurs, ses ressources disponibles et le contexte mondial dans lequel il évolue.

Quatre axes sur lesquels doit reposer le modèle marocain

Selon le patron du CESE, le modèle d’Etat social marocain devra être construit autour de quatre principaux axes. Le premier axe  devra consister à fixer les priorités en plaçant le citoyen au centre. La première priorité de cet axe, c’est la réduction de l’exclusion sociale, de la pauvreté et des inégalités, notamment les inégalités de revenus et d’accès universel aux services sociaux. Cela suppose des services sociaux publics accessibles et de qualité pour les citoyens, en plus de l’extension des allocations familiales et des aides directes ciblées pour les plus défavorisés. «L’extension des allocations familiales est la manière la plus simple de prévenir la pauvreté», note-t-il.

La seconde priorité  : renforcer la résilience du citoyen face aux accidents de parcours, à travers la généralisation de la protection sociale, mais aussi la mise en place d’une politique active de l’Etat visant à assurer les transitions difficiles (le soutien scolaire par exemple quand il y a eu la pandémie de Covid-19, l’indemnité pour perte d’emploi, etc.). Troisième priorité  : favoriser l’instauration d’un climat social stable avec les partenaires sociaux, en priorisant les conventions collectives afin de permettre plus de souplesse dans la relation employeuremployé. Il s’agit de consacrer le principe de fléxi-sécurité, mais en respectant les clauses du code du travail et les droits des travailleurs, en assurant une garantie des conditions de travail décentes, en veillant à lutter contre les discriminations salariales. Et la quatrième et dernière priorité de ce premier axe, est le rapprochement autant que faire se peut du plein-emploi, l’objectif étant d’assurer la viabilité financière du modèle.

Certaines études internationales suggèrent que le succès du modèle d’Etat social nordique réside, entre autres, dans le fait que c’est le seul, parmi tous les modèles connus, à ériger le plein-emploi en responsabilité de l’Etat social. De manière logique, ce modèle d’Etat social ambitionne de libérer l’Homme de la vulnérabilité excessive des aléas du marché. Cela implique la nécessité de disposer de mécanismes généreux à même de couvrir les risques de parcours de tout un chacun. D’où la nécessité de maintenir constamment des taux d’emploi élevés pour générer suffisamment de revenus et de recettes fiscales afin de financer un tel système de protection sociale.

Impossible de viser le plein-emploi au Maroc

«Au Maroc, il faut être réaliste, on ne peut pas viser le plein-emploi, mais notre objectif devrait être la réduction du chômage longue durée», remarque Chami. Alors, comment faut-il s’y prendre  ? «C’est en assurant une croissance économique plus forte, en encourageant l’entrepreneuriat des jeunes et en développant des services publics d’assistance aux demandeurs d’emplois pour faciliter leur reconversion et leur inclusion», suggère-t-il. Pour le président du CESE, «Il s’agit d’une urgence, dans la mesure où la fenêtre démographique de notre pays se refermera en 2040, alors que le taux de chômage est toujours élevé. Il y aura d’ici là des personnes qui arriveront en âge de retraite, alors qu’elles n’auront jamais travaillé».

Le second axe du modèle d’Etat social proposé par le CESE consiste à fixer des critères d’évaluation aux priorités définies ci-dessus, qui feront partie d’un processus d’évaluation indépendant pour juger de l’efficacité et de l’équité des politiques de l’Etat social. Autrement dit, le Maroc est amené à poser des indicateurs d’évaluation objectifs et de traçage. Par exemple, avec l’indice de GINI, il peut suivre et évaluer la réduction de l’exclusion sociale, de la pauvreté et des inégalités à travers la pauvreté /vulnérabilité, le poids de la classe moyenne, le degré de satisfaction par rapport aux prestations de services publics. «Ce serait bien, par exemple, d’instituer un classement des hôpitaux en fonction des services publics rendus», recommande Chami. Concernant la résilience du citoyen face aux accidents de parcours, on pourrait la surveiller à travers le taux de couverture sociale, la durée de transition entre deux emplois et le taux d’insertion des lauréats du secteur éducatif public. Pour ce qui est du climat social, elle pourra être suivie à travers le nombre de grèves, le gap salarial entre homme/femme, etc. Et pour la quatrième et dernière priorité, notamment le rapprochement autant que faire se peut du plein-emploi, elle pourra être évaluée à travers le taux d’emploi, le taux de chômage longue durée, etc.

«Ces critères devront être respectés lors de l’évaluation de l’ensemble des actions de l’Etat social. Et il est souhaitable que l’évaluation soit faite par une entité habilitée et indépendante du gouvernement», souligne Chami. L’axe trois, c’est d’assumer la convergence entre les politiques publiques relevant du champ de l’Etat social et de réduire la multiplicité contreproductive des programmes et des actions. L’objectif consiste à favoriser la cohérence entre la vision de l’Etat social et les politiques publiques à caractère social. Il s’agit également de dépasser le travail en silo et la complexité de certains programmes, tout en clarifiant les responsabilités au sein de chaque secteur social pour faciliter l’évaluation et la reddition des comptes. «Et l’un des objectifs du Registre social unifié (RSU) devrait être justement de forcer cette convergence», rappelle Chami.

Le financement, l’une des conditions les plus difficiles à satisfaire

Quatrième et dernier axe du modèle d’Etat social proposé par le CESE  : assurer le financement. C’est l’une des conditions les plus difficiles à satisfaire, vu l’ampleur des ambitions annoncées, d’une part, et le caractère limité des ressources disponibles, d’autre part. Pour améliorer le niveau des ressources financières destinées à l’Etat social, le CESE suggère d’élargir l’assiette fiscale à travers la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, la formalisation de l’informel, la digitalisation plus poussée de la collecte d’impôts. Il s’agit aussi d’aller vers plus de progressivité de l’impôt pour s’aligner sur l’esprit social et équitable, et envisager d’instaurer l’impôt sur le patrimoine dormant ou non productif pour renforcer les ressources financières de l’Etat social et réduire les inégalités.

Il faut aussi étudier la faisabilité d’allouer systématiquement une part des recettes issues des ressources naturelles du pays (exemple des phosphates), lorsque les cours de vente dépassent un certain seuil, à un fonds souverain dédié au financement des politiques relevant des objectifs de l’Etat social. Ce fonds pourrait également recevoir les recettes de l’impôt sur le patrimoine. On pourrait également réserver 2 à 4 points de TVA à verser dans un fonds de solidarité sociale qui servira à contribuer au financement des projets de l’Etat social. Enfin, il faut utiliser les PPP autant que possible. C’est une façon de faire en sorte que l’Etat dépense moins, en impliquant le privé, ce qui lui permettra de dégager des marges budgétaires pour financer l’Etat social.

 

 

 

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