En l’absence d’un texte juridique spécial, les entreprises domiciliataires encourent le risque de supporter les dettes d’un domicilié défaillant ou de mauvaise foi. L’article 93, relatif à la solidarité, n’est pas vu d’un bon oeil par les centres d’affaires. L’AMCA milite pour l’éclosion d’une loi à même de réglementer l’activité.
Une croissance économique est pérenne lorsqu’elle se traduit par la génération de richesses et, surtout, d’emplois. Les équipes qui se sont succédé au pouvoir sont conscientes d’un tel challenge et font de la création d’entreprises leur principal credo. Au fil des ans, une armada de mesures a ainsi vu le jour pour le développement du tissu entrepreneurial. Ces mesures se résument souvent en des dispositions fiscales attrayantes, des facilitations d’accès au crédit, au foncier… Sauf qu’elles restent parfois insuffisantes, voire même stériles, au cas où l’entreprise ne serait pas solide financièrement. Dans cette même foulée, la domiciliation des entreprises se veut également une issue pour celles ne disposant pas de moyens financiers suffisants pour acquérir ou louer un bureau. L’enjeu de la domiciliation est assez simple : elle détermine l’adresse à laquelle seront communiqués tous les documents ayant trait à l’activité concernée par cette domiciliation. Beaucoup d’entreprises recourent, lors du processus de constitution, à la domiciliation. Elles élisent domicile dans l’un des centres d’affaires moyennant une redevance fixée selon les services accomplis par le domiciliataire. La domiciliation prévoit d’ailleurs d’autres services annexes tels que la mise à disposition des salles de réunion, des bureaux équipés, plusieurs lignes téléphoniques, des lignes pour la réception des faxs, une assistance commerciale… Les statistiques fournies par le Centre régional d’investissement du Grand Casablanca montrent que 60% des entreprises créées ces quatre dernières années l’ont été dans le cadre de la domiciliation. Ce qui dénote de la cherté de l’immobilier dans la capitale économique.
En l’absence d’un cadre juridique
Toutefois, cette opération n’est pas exempte de risques lorsque l’entreprise domiciliée se désengage de ses devoirs (paiement des fournisseurs, impôts…). Cela relève d’ailleurs des dangers liés à la domiciliation. D’autant plus qu’il n’existe aucun cadre juridique régissant les conditions de conclusion de contrat de domiciliation ainsi que les obligations et les droits des parties.
«Aujourd’hui, il n’y a aucun cadre juridique qui régit l’activité de domiciliation, si ce n’est le contrat de domiciliation», confirme Anas Chorfi, président de l’Association marocaine des centres d’affaires (AMCA). Une situation qui donne du fil à retordre au domiciliataire dans la mesure où la société domiciliée disparaît parfois dans la nature, sans honorer ses engagements.
A cette problématique, A. Chorfi, répond : «En l’absence d’une loi sur la domiciliation, le contrat régissant la relation entre domicilié et domiciliataire est régi par le DOC (Dahir des obligations et contrats). C’est un contrat synallagmatique qui définit les obligations de chacune des deux parties». Mieux encore, il s’agit d’un contrat qui définit la durée, le contenu de la domiciliation ou ce que le domiciliataire met à la disposition du domicilié ainsi que la durée. Ce contrat fournit une adresse et un domicile fiscal au domicilié pour créer sa société. «Le domiciliataire reste exposé au risque de l’application de l’article 93 du Code de recouvrement des créances publiques (CRCP), qui l’oblige à supporter les dettes du domicilié envers l’Etat, dans le cadre de la solidarité. Il y a eu, certes, une recommandation issue d’une Journée organisée par le ministère de la Justice à Tit Mellil en 2003, qui considère qu’au-delà de six mois, la société est dissoute de fait», tient à préciser le président de l’AMCA. Toutefois, en pratique, la durée de six mois n’est jamais respectée. Pour combler ce vide juridique, un projet de loi portant le numéro 68-13, complétant la loi n°15-95 formant code de commerce, a vu le jour. Un projet qui est toujours bloqué à cause justement de l’article 93, relatif à la solidarité du centre de domiciliation, qui ne fait pas l’unanimité.
Une chose est sûre : cette solidarité qui oblige le domiciliataire à payer les dettes du domicilié risque de décourager la domiciliation et, partant, la création d’entreprises. Cette solidarité va à l’encontre du souci de développement de l’économie de notre pays. «Les centres de domiciliation sont généralement des SARL dont le capital ne dépasse pas 100.000 DH et qui hébergent plusieurs sociétés à la fois. Le fait d’exiger de ces centres d’acquitter les dettes de leurs clients les entraînera à la faillite et, parallèlement, mettra fin à l’activité des sociétés domiciliées, qui du jour au lendemain, vont se retrouver sans siège social. Ce qui entraînera ipso facto un déséquilibre de notre économie», s’alarme le président de l’AMCA. Et pour couronner le tout, le passage du délai de prescription de 4 à 10 ans pour les entreprises qui ne font pas de déclarations risque d’aggraver la situation des domiciliataires en cas de fraude ou de défaillance, si l’on garde à l’esprit que la durée de six mois n’est jamais respectée. A. Chorfi plaide pour faire sortir la loi au grand jour et exonérer les centres de domiciliation de la solidarité prévue par l’article 93. Le Maroc est appelé à s’inspirer d’autres législations (France, Hong kong, Londres…).
Soubha Es-siari