La transformation structurelle des économies de l’Afrique du Nord est un prérequis pour l’augmentation de la productivité régionale.
Zoubir Benhamouche, du Bureau pour l’Afrique du Nord de la Commission économique pour l'Afrique (CEA) des Nations unies, analyse les obstacles à la croissance de la plupart des pays du Maghreb.
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Finances News Hebdo : Selon vous, les pays d’Afrique du Nord ont-ils un problème de mobilisation des ressources ou plutôt d’allocation de celles-ci ?
Zoubir Benhamouche : Les données de notre organisation indiquent clairement une difficulté dans l’allocation des ressources au sein des économies de la région. A l’évidence, ce dysfonctionnement constitue un frein à la production, avec des conséquences négatives sur la croissance des pays du Maghreb.
F.N.H. : Au cours de ces dernières années, l’Afrique du Nord a affiché des taux de croissance moins élevés que les autres régions du continent. Dans quelle mesure le déficit de qualité du capital humain est-il un obstacle majeur à la productivité de la région ?
Z. B. : Toujours en se basant sur des données objectives, l’on aperçoit qu’entre 1980 et 2000, les Etats du Maghreb ont fait partie des 20 pays dans le monde ayant consenti le plus d’efforts pour le développement de l’éducation, notamment en termes d’accès et de nombre d’années d’étude. Cependant, le bât blesse à deux niveaux, en l’occurrence la qualité et le sous-emploi du capital humain dus à l’insuffisance des créations d’entreprises. A ce titre, il est utile de rappeler qu’en 2015, l’Algérie et la Tunisie qui ont participé au Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa), ont été mal classées. Les deux pays ont occupé respectivement les 69ème et 65ème places. Du coup, la faiblesse du capital humain est perceptible sur le marché du travail, car les entreprises se plaignent de ne pas trouver les profils et les compétences souhaités.
Le déficit de création d’entreprises est également défavorable à l’amélioration du capital humain, qui doit être mobilisé et utilisé par le secteur privé, notamment par les entreprises créatrices de richesse et de postes de travail. Il est évident qu’il faut une transformation structurelle des économies régionales, indispensable pour la montée en puissance des ressources humaines dont dispose la zone. Pour ce faire, le développement de nouveaux secteurs et l’essor des entreprises constituent des impératifs à même de résorber le chômage. En définitive, les pays du Maghreb sont confrontés à deux entraves, celle de la qualité du système éducatif et de la capacité des économies à utiliser de façon optimale les ressources humaines en les développant et en augmentant leur rendement. A mon sens, il est nécessaire d’œuvrer pour la création des conditions favorables à l’édification d’un processus cumulatif.
F.N.H. : Lors de la réunion d’experts organisée par votre organisation, il a beaucoup été question des méfaits des privilèges à l’origine, en partie, des distorsions économiques dans la plupart des pays de la région. Selon vous, les Etats sont-ils conscients des dangers induits par l’abondance des privilèges, accordés en l’absence de critères objectifs ?
Z. B. : Justement, l’intérêt de cette rencontre et du rapport effectué montrent qu’au-delà des politiques publiques à mettre en œuvre, il est crucial pour les Etats de s’intéresser aux distorsions qui pénalisent leurs économies. Les questions liées aux privilèges et aux administrations jouissant d’un pouvoir arbitraire et qui traitent de façon différente les entreprises, par exemple, sont de vrais sujets au Maghreb. Ces pratiques ne permettent pas aux Etats d’utiliser efficacement leurs ressources. Ce qui constitue un frein à la croissance régionale.
La lutte contre les privilèges est insuffisamment mise en avant dans les politiques de développement. L’intérêt est accordé davantage aux stratégies à adopter au détriment de l’impact de celles-ci sur le cadre institutionnel dans lequel s’opèrent les différentes politiques. D’où l’opportunité de se poser la question suivante: Le cadre institutionnel est-il suffisamment efficient pour l’allocation des ressources dans les économies de la région ?
Ceci dit, les nouvelles technologies de l’information sont des outils à même d’améliorer la transparence, tout en réduisant les distorsions. Elles contribuent également au meilleur fonctionnement des institutions, en limitant l’intervention humaine, parfois arbitraire.
F.N.H. : Comment jugez-vous les efforts du Maroc en matière de réformes structurelles ?
Z. B. : Au regard des différentes présentations faites lors de la réunion d’experts organisée à Rabat, le Maroc a déployé beaucoup d’efforts en matière de transformation structurelle, notamment dans le domaine industriel, comme en témoigne la montée en puissance de la région de Tanger.
Toutefois, au niveau du fonctionnement institutionnel, les présentations montrent qu’il existe encore des axes d’amélioration. Au demeurant, les réformes déjà opérées et celles en cours traduisent une vraie prise de conscience du Royaume de la nécessité d’améliorer le fonctionnement de ses institutions. ■
Propos recueillis par M. Diao