De l’avis de plusieurs économistes, le Maroc a manqué beaucoup d’occasions pour réformer son économie et ses finances publiques.
Aujourd’hui, le gouvernement serait sous la contrainte d’un déficit budgétaire élevé et d’une lourde dette publique globale.
Par M. Diao
Les chiffres dévoilés récemment par le hautcommissariat au Plan (HCP), lors de la conférence presse portant sur la situation économique en 2022 et ses perspectives pour 2023, ont surpris peu d’observateurs avertis et d’experts. Pour cause, nombreuses ont été les institutions nationales et internationales qui avaient déjà tablé sur un taux de croissance autour de 1% du PIB pour 2022. Pour l’année en cours, marquée par la sécheresse et la hausse généralisée des prix au niveau national et international, le HCP prévoit un taux de croissance de 1,3% du PIB (contre 7,9% du PIB en 2021).
C’est dire le degré de sinistralité de l’économie nationale, avec toutes les conséquences néfastes, entre autres sur le marché du travail et les finances publiques fortement chahutées depuis la crise liée à la Covid-19. Interrogé sur la situation économique du pays et les perspectives qui se dessinent, Azeddine Akesbi, économiste, fait observer que le taux croissance annuel moyen est faible sur les 20 dernières années.
«2021 est une exception et marque l’effet de rattrapage, compte tenu de la crise liée à la Covid-19 qui a mis à genoux l’activité économique en 2020 (crise de l’offre et de la demande)», explique le professeur. De plus, il estime que le HCP, investi de nouvelles missions en lien avec le nouveau modèle de développement, est optimiste dans ses prévisions de croissance pour l’année en cours et pour 2023 (taux de croissance de 3,7% du PIB prévu).
«Nous ne sommes qu’au début d’une crise (Ukraine-Russie) aux conséquences mondiales et qui fait peser beaucoup d’incertitudes sur les marchés», analyse notre interlocuteur, qui attire l’attention sur la nature structurelle des conséquences de la guerre en Ukraine. Or, les experts du HCP tablent sur un taux d’inflation de 4,9% pour 2022 et 0,8% en 2023. Parmi les recommandations de l’entité dirigée par Ahmed Lahlimi Alami, figure la priorisation du soutien au pouvoir d’achat des ménages dans les politiques publiques mises en place.
Cette suggestion est quelque part légitimée par la cherté de la vie, accentuée avec la reprise postCovid-19, et l’inflation importée qui gagne du terrain au Maroc. Sachant que cette dernière plombe les finances publiques par le truchement de la Caisse de compensation, qui voit ses dépenses exploser à cause de la flambée des prix du sucre, du gaz butane et du blé sur les marchés internationaux. D’ailleurs, l’Exécutif devrait mobiliser près de 32 Mds de DH pour faire face aux dépenses de la Caisse contre 16 Mds de DH prévus par la Loi de Finances 2022.
A la question de savoir si le gouvernement a une marge de manœuvre lui permettant de soutenir substantiellement le pouvoir d’achat des ménages, la réponse de notre interlocuteur est sans ambages. «Le gouvernement marocain, sous contrainte d’un déficit budgétaire élevé et d’une lourde dette publique globale, a une marge de manœuvre très limitée», rétorque le professeur. Notons que le HCP prévoit un déficit budgétaire de 5,4% du PIB en 2022 et 5,5% du PIB en 2023. Pour sa part, le taux d’endettement global devrait passer de 83,3% du PIB en 2022 à 83,6% du PIB en 2023.
«Le Maroc a manqué beaucoup d’occasions pour réformer son économie et ses finances publiques via la réforme fiscale. Je fais allusion ici au mouvement du 20 février 2011 et au nouveau modèle de développement qui, jusque-là, n’ont débouché sur rien de concret», souligne Azeddine Akesbi. Précisant qu’aujourd’hui, le pays paie le prix de l’absence des réformes qui allaient lui permettre d’avoir une large marge de manœuvre budgétaire à même de soutenir substantiellement le pouvoir d’achat des ménages, une composante-clef de la demande intérieure et principal moteur de la croissance. «Il est plus qu’urgent de régler le problème des hydrocarbures, à la base de la hausse des prix de plusieurs produits et services», suggère l’économiste.
Akesbi reste persuadé que les autorités minimisent cette problématique qui fait le lit de la dégradation du pouvoir d’achat des classes populaire et moyenne. Au final, notons que pour mieux faire tourner la roue économique en perte de vitesse, le HCP recommande, entre autres, le ciblage des secteurs économiques en besoin d’appui et la favorisation des cultures résilientes et celles qui garantissent la sécurité alimentaire, tout en préservant les ressources hydriques qui tarissent sous l’effet du changement climatique.