Le 1er juin 2024, la commercialisation des compléments alimentaires et des produits cosmétiques à base de cannabis légal a offi ciellement débuté au Maroc. Les revenus du cannabis thérapeutique pour l’écosystème du cannabis licite pourraient représenter 4 à 6,3 milliards de dirhams d’ici 2028.
Quelques mois après la reclassification en décembre 2020 du cannabis par la Commission des stupéfiants des Nations-unies, le Maroc a pris une initiative audacieuse en adoptant, en juin 2021, la loi n° 13-21 relative aux usages licites du cannabis. Une étape significative, à travers laquelle le Royaume aspire à endiguer le crime organisé et à devenir l’un des plus grands producteurs et exportateurs mondiaux de cannabis à usage médical, cosmétique et industriel. Visant à clarifier le cadre légal de la culture du cannabis sur le territoire marocain, la loi n° 13-21 a prévu, entre autres, la création de l’Agence nationale de réglementation des activités relatives au cannabis (ANRAC). Cette institution, qui a vu le jour le 14 juillet 2021, a pour principale mission de déployer la stratégie de l’Etat en matière de culture, de production, de fabrication, de transformation, de commercialisation et d’exportation de ladite plante. Elle est notamment chargée de l’octroi, du renouvellement et du retrait des autorisations, doit s’assurer de la conformité avec les normes internationales, et doit assurer le suivi de la traçabilité du cannabis durant toutes les étapes de la filière.
Un bilan «positif»
Pour l’instant, trois provinces seulement sont autorisées à cultiver et produire le cannabis à usage légal, à savoir Al Hoceïma, Chefchaouen et Taounate. Un champ qui pourrait s’élargir dans les années à venir, en fonction de l’intérêt manifesté par les investisseurs locaux et internationaux vis-à-vis des activités liées à la chaîne de production du cannabis. Selon les dernières données révélées par l’ANRAC, 2.905 autorisations ont été délivrées jusqu’au 23 avril 2024, sur un total de 2.942 demandes examinées depuis le début de l’année en cours, contre 609 autorisations en 2023. Dans le détail, 2.737 autorisations ont été accordées en 2024 à 2.637 agriculteurs des trois provinces concernées, et 168 autorisations à 61 opérateurs, dont 1 établissement pharmaceutique, 16 coopératives, 37 sociétés et 7 personnes physiques.
D’après cette même source, la première récolte légale du cannabis a atteint 294 tonnes en 2023. L’Agence fait également état de l’octroi par l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) de 73 autorisations d’utilisation de la semence Beldia pour une superficie de 1.262 ha en faveur de 73 coopératives de production (1.225 agriculteurs) et de 11 autorisations d’importation pour une superficie de 286 ha en faveur de 22 coopératives de production (285 agriculteurs).
Outre la culture de cette plante, les premiers produits finis Made in Morocco à base de cannabis licite ont commencé à pointer le bout de leur nez. Le 1er juin 2024, la commercialisation des compléments alimentaires et des produits cosmétiques à base de cannabis légal a officiellement débuté au Maroc. Dans un premier temps, ceux-ci seront exclusivement disponibles en pharmacie. Rappelons qu’à ce jour, neuf compléments alimentaires et dix produits cosmétiques ont été enregistrés par la Direction des médicaments et de la pharmacie (DMP). Lors d’une réunion tenue en présence de représentants de la DMP et des pharmaciens d’officine, organisée juste avant l’annonce de la date officielle de mise sur le marché de ces produits, il a été précisé que les réglementations en fonction de la teneur en THC (Tétrahydrocannabinol - principale substance active du cannabis) ont été clarifiées. Ainsi, lorsque le THC est supérieur à 1%, le produit est exclusivement destiné à l’industrie pharmaceutique, nécessitant une transformation en médicament.
En revanche, si le THC est inférieur à 1%, les possibilités de transformation s’élargissent, entre autres, à des produits cosmétiques, des compléments alimentaires et des matériaux de construction. De surcroît, les compléments alimentaires devront obligatoirement contenir du CBD (Cannabidiol) et dont le taux de THC devrait être inférieur à 0,3%. Pour ce qui est des produits cosmétiques, ils doivent, selon les professionnels, être fabriqués à partir de CBD avec un THC à 0%.
Un engouement encore timide
«Nous avons effectivement commencé à commercialiser des produits à base de cannabis depuis la première semaine du mois de juin, et les prix sont abordables. Parmi ces produits, nous proposons notamment des infusions et des gouttes contenant du CBD, qui sont idéales pour soulager les douleurs musculaires et articulaires et améliorer le bien-être de manière naturelle. Cependant, l’engouement pour ces produits reste pour l’instant assez faible, ce qui rend nécessaire une campagne de communication d’envergure pour informer le grand public des vertus de ces produits et de leur disponibilité dans les officines du Royaume. Il est également crucial de sensibiliser les citoyens à n’acheter ces produits qu’à travers les points de vente autorisés», nous confie Khadija, une pharmacienne à Casablanca.
Alors que le Maroc a d’ores et déjà exporté son premier lot de cannabis légal, l’importation reste jusqu’à présent non autorisée. Lors d’un atelier de travail organisé le 17 mai dernier à Casablanca par la Fédération marocaine de l’industrie et de l’innovation pharmaceutiques, Mohamed El Guerrouj, Directeur général de l’ANRAC, avait souligné : «Nous n’avons pas encore finalisé avec l’administration des douanes le cahier des charges requis; et tant mieux, puisque nous aurons le temps de valoriser notre production nationale et lui permettre d’être plus compétitive. Nous sommes actuellement en train de travailler avec la douane pour établir la nomenclature requise par rapport à l’importation». Visiblement, la culture ainsi que la transformation du cannabis à usage légal vont bon train. Selon les professionnels, l’apport de cette filière sur le plan économique, social et en matière de rayonnement international s’annonce très important. En effet, le marché mondial du cannabis médical connaît une croissance moyenne annuelle de 20% et devrait atteindre en 2028, 114 milliards de dollars.
Selon Abdelmadjid Belaïche, expert en industrie pharmaceutique, cela offre pour le pays une importante opportunité d’exportation, du fait de son écosystème favorable et de la proximité relative des marchés cibles européens. «Selon les estimations, les revenus du cannabis thérapeutique pour l’écosystème du cannabis licite pourraient représenter 4 à 6,3 milliards de dirhams d’ici 2028. On estime également que la part de marché du cannabis licite sur le marché européen pourrait atteindre 10 à 15%. Il existe également d’autres retombées locales, telles que le développement de la recherche scientifique sur les différents composants chimiques du cannabis et leurs multiples effets thérapeutiques. A cela s’ajoute une offre thérapeutique pour les patients marocains dans de nombreuses pathologies cancéreuses, neurologiques et autres», précise l’expert. De nombreux défis à relever Par ailleurs, Abdelmadjid Belaïche, également analyste des marchés pharmaceutiques, estime que la légalisation du cannabis thérapeutique au Maroc pose de nombreux défis pour les entreprises industrielles. Il s’agit entre autres du défi lié à la réglementation et à la conformité.
«Les entreprises devront se conformer à des normes strictes pour garantir la qualité, la sécurité et l’efficacité des produits. Pour cela, l’Etat doit élaborer des réglementations claires et transparentes pour guider et accompagner les entreprises dans leurs activités, entreprendre des inspections régulières et mettre en place un système de certification de conformité pour la culture, la transformation et l’usage du cannabis licite». Belaïche évoque également la recherche et le développement, notant que l’usage du cannabis thérapeutique nécessite des études approfondies pour comprendre les effets pharmacodynamiques de cette plante et de ses extraits ainsi que ses interactions sur les nombreux sites cellulaires. «Pour cela, les entreprises pharmaceutiques doivent investir lourdement dans la recherche et le développement, en collaboration avec les universités et les centres de recherche, notamment sur le volet des études cliniques. Le but étant de mettre en place des protocoles thérapeutiques basés sur des preuves scientifiques». Aussi, l’expert cite le défi lié à l’acceptation sociale, rappelant que depuis près d’un siècle, «cette plante couramment utilisée par la population marocaine a été diabolisée et interdite, d’abord par les autorités du protectorat, puis par l’Etat marocain.
Ce dernier cherche aujourd’hui à légaliser l’usage médical, cosmétique et industriel, sans légaliser l’usage récréatif malgré les nombreuses voix qui demandent une légalisation tous azimuts». Afin de réussir cette acceptation sociale, Belaïche met en exergue la nécessité de sensibiliser la population et les professionnels de la santé, non seulement sur les avantages thérapeutiques du cannabis, mais également sur ses risques. In fine, la légalisation de l’utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques et industrielles va indubitablement contribuer à la création de richesse et d’emplois, mais va surtout permettre d’assécher les canaux de distribution de cannabis illicite, ce qui constitue l’une des ambitions majeures fixées par l’Etat